L’expérience des gacaca au Rwanda : nous avons vu le film « Une des Mille Collines »

par Noémie Martin - 5 août 2024

Alors que le mois d’avril 2024 marque le début des trentièmes commémorations du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda, le dernier film documentaire de Bernard Bellefroid « Une des Mille Collines », en référence au paysage vallonné du pays, est diffusé sur les plateformes Arte et Auvio.
Ce film évoque notamment l’expérience des gacaca, forme de justice transitionnelle expérimentée après le génocide au Rwanda, et d’autres tentatives de réconciliation entre les bourreaux et leurs victimes.
Noëmie Martin assistante programme de l’ONG « RCN Justice & Démocratie » et pour le Certificat interdisciplinaire et interuniversitaire en justices transitionnelles, nous présente le film ci-après.

1. Bernard Bellefroid, réalisateur belge né en 1978, réalise un premier film documentaire sur le Rwanda en 2005 avec « Rwanda, les collines parlent ». Presque une dizaine d’années plus tard et trente ans après le génocide perpétré contre les Tutsi, il réalise « Une des Mille Collines » qui s’intéresse aux trajectoires d’Olivier, Fidéline et Fiacre, trois enfants rwandais tués pendant le génocide de 1994.

2. La première partie du film s’apparente à une enquête pour rétablir la Vérité sur la mort des trois enfants.
Le réalisateur retrace leurs parcours du début de leur fuite jusqu’au moment de leur mort, le spectateur est immergé dans l’expérience des enfants, suivant les chemins qu’ils et elles ont empruntés avec un ami rescapé qui témoigne.
La voix off de Bernard Bellefroid accompagne ce trajet et le ponctue d’explications. Au fur et à mesure que nous retraçons ce parcours, un dessinateur trace leurs trois visages pour en faire des portraits. Sans photos ni preuves de leur mise à mort, l’objectif du film semble être de rétablir la mémoire de l’existence de ces trois enfants, au nom de toutes les victimes de ce génocide.

3. Dans un deuxième temps, nous découvrons des images plus anciennes, notamment tirées de son premier film « Rwanda, les collines parlent ». Nous retrouvons certains visages présentés en première partie, plus jeunes. Il s’agit de vidéos tournées pendant le procès gacaca lié aux meurtres d’Olivier, Fidéline et Fiacre.

4. Les tribunaux gacaca, traduit littéralement « sur le gazon », en référence au lieu où cette justice traditionnelle était rendue, sont des tribunaux populaires mis en place pour juger les personnes soupçonnées d’avoir participer au génocide. Le nombre de dossiers était si élevé qu’il était impossible pour la justice pénale ordinaire de traiter tous les dossiers.
Ainsi, plusieurs niveaux de juridictions ont existé pour juger ces crimes. Au niveau international, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a été mis en place par l’ONU en 1994, et il existe aussi le principe de compétence universelle. Selon ce principe, le crime de génocide étant un crime de droit international, d’autres États peuvent juger sur leur territoire les crimes commis au Rwanda en 1994. C’est le cas de le Belgique, qui entame en avril 2024 le septième procès d’assises lié au génocide perpétré contre les Tutsi.
Au niveau national, le Rwanda a décidé de mettre en place, en parallèle de la justice pénale rwandaise ordinaire, les procès gacaca.

5. Les procès gacaca correspondent à un niveau de juridiction local, ils se tenaient sur la colline, et les juges étaient désignés par et parmi la communauté, selon leur caractère intègre.
L’objectif des gacaca était non seulement de rendre justice, mais surtout d’encourager les aveux considérés sincères. De tels aveux, détaillés et complets qui rétabliraient la vérité sur l’histoire des victimes, sont encouragés dans le but de réconcilier rescapés et bourreaux, ou du moins de leur permettre de vivre à nouveau ensemble, comme voisins sur la même colline.

6. Dans le cas d’Olivier, Fidéline et Fiacre, leur grand-père qui dépose la plainte, n’obtiendra pas d’aveux considérés sincères, et ne saura pas ce qui est réellement arrivé à ses petits-enfants. L’accusé est jugé, mais la vérité sur leur mort reste obscure.

7. La troisième partie du film s’éloigne de la colline sur laquelle ont vécu Olivier, Fidéline et Fiacre.
Nous rencontrons, dans un autre village, un couple dont les enfants ont été tués, et leur bourreau, leur voisin, qui a avoué les meurtres de leurs enfants, sans passer par les tribunaux gacaca.
Les aveux ont été donnés en dehors de toute procédure judiciaire, le couple n’a pas porté plainte. Il y a eu vérité sans justice, pourtant, nous voyons ces voisins côte à côte, se tenant la main tandis qu’ils discutent du pardon que le père a accordé à son bourreau.

Votre point de vue

  • Jacques Fierens
    Jacques Fierens Le 6 août à 21:00

    Le film est très interpellant et vaut vraiment la peine d’être vu. Toutefois, il ne sacralise nullement les gacaca d’après 1994 qui tant ont excité les anthropologues ou criminologues amateurs et qui n’ont que très peu de choses à voir avec le mode traditionnel de règlement des conflits au Rwanda. Je ne suis vraiment pas sûr que l’expérience fut concluante. Les procédures violaient les principes les plus élémentaires du procès équitable. D’ailleurs les milliers de décisions rendues ne sont pas accessibles et a fortiori n’ont jamais fait l’objet d’analyses sérieuses.

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