La Cour constitutionnelle à la recherche d’un équilibre entre la qualité de l’enseignement et la liberté de l’enseignement

par Charlotte Séaux - 17 octobre 2022

La liberté de l’enseignement est garantie par l’article 24, § 1er, de la Constitution. Si, en adoptant un décret, un Parlement porte atteinte à cette liberté, la Cour constitutionnelle peut l’annuler pour autant qu’elle soit saisie d’un recours en ce sens, qui peut être introduit par toute personne ou association ayant un intérêt.
C’est ce qui est arrivé le 16 juin 2022 : par un arrêt n° 82/2022, elle a partiellement annulé le décret flamand du 12 février 2021 ‘relatif aux objectifs pédagogiques pour le deuxième et troisième degré de l’enseignement secondaire et diverses autres mesures connexes’.
Au-delà de ses effets pour l’enseignement flamand, cet arrêt consacre divers principes liés à la liberté de l’enseignement, que Charlotte Séaux, assistante à l’Université de Liège et avocate au barreau de Liège-Huy, met en lumière ci-dessous.

1. Les dispositions du décret du 12 février 2021 qui étaient attaquées par le recours introduit devant la Cour constitutionnelle visent à renforcer la qualité et l’équivalence de l’enseignement obligatoire en mettant en place un nouveau socle de compétences commun entre tous les élèves du secondaire : au terme de ses études, chaque élève, indépendamment de l’établissement secondaire – et donc du réseau d’enseignement – qu’il fréquente est supposé acquérir des aptitudes et connaissances équivalentes sur la base d’objectifs pédagogiques déterminés par le législateur.
Il résulte de l’article 139 du Code flamand de l’enseignement secondaire que ces objectifs sont conçus comme des objectifs minimaux, qui sont donc censés coexister avec les objectifs spécifiques des dispensateurs d’enseignements. Le législateur semble ainsi avoir voulu concilier l’intention d’assurer une certaine harmonisation avec la sauvegarde de l’autonomie des réseaux et des établissements scolaires.

2. Les choix consacrés par le décret du 12 février 2021 ont cependant suscité des critiques et généré un contentieux. Un recours en annulation a donc été introduit par des représentants de l’enseignement catholique et des écoles de pédagogie Steiner, qui estiment que ces nouveaux objectifs pédagogiques violent la liberté d’enseignement.
Les parties requérantes formulent plusieurs griefs à l’égard de ceux-ci.
Selon elles, la mise en œuvre de ces objectifs les amène à consacrer une part trop importante du temps d’enseignement à un programme déterminé et, partant, ne leur laisse pas une marge de manœuvre suffisante pour la réalisation de leur propre projet pédagogique. Additionnellement, elles estiment que les dispositions concernées contiennent des orientations pédagogiques et didactiques limitant, par exemple, les méthodes d’évaluation à disposition des enseignants. Finalement, les parties requérantes font valoir que l’adoption d’objectifs aussi précis est disproportionnée par rapport à la finalité poursuivie par le législateur flamand, à savoir renforcer la qualité et l’équivalence de l’enseignement obligatoire.
Le Gouvernement flamand, quant à lui, estime que les griefs avancés par les parties requérantes sont infondés en raison de la possibilité d’introduire une demande de dérogation à ces objectifs, laquelle est consacrée par l’article 146 du Code de l’enseignement secondaire. Ceci permettrait de pallier aux difficultés invoquées.

3. La Cour constitutionnelle, dans son arrêt n° 82/2022 du 16 juin 2022, a focalisé son analyse sur la compatibilité des dispositions attaquées avec la liberté d’enseignement garantie par l’article 24, § 1er, de la Constitution.
Dans ce cadre, la haute juridiction rappelle d’un côté que la liberté d’enseignement garantit notamment que des personnes privées puissent dispenser un enseignement basé sur des considérations philosophiques et convictionnelles de leur choix.
Elle reconnaît de l’autre côté que les objectifs pédagogiques, bien que constituant une limite à la liberté d’enseignement, peuvent être une manière adéquate pour le pouvoir organisateur d’assurer l’équivalence et la qualité de l’enseignement obligatoire. Toutefois, la juridiction suprême souligne que ces limitations doivent être pertinentes et proportionnées à la finalité consistant à assurer l’équivalence et la qualité de cet enseignement.

4. La Cour constitutionnelle poursuit par une étude des objectifs pédagogiques déterminés par le décret flamand et de leur faisabilité en pratique. Elle pointe ensuite une augmentation importante du nombre d’objectifs en comparaison avec le programme précédent.
Elle constate que les objectifs sont très développés et précis et conclut que cette formulation vaste et détaillée créé, dans les faits, « un programme d’enseignement complet ou quasiment complet ».

5. Par conséquent, la Cour estime que les dispositions attaquées portent une atteinte disproportionnée à la liberté d’enseignement.
Selon elle, les nouveaux objectifs pédagogiques ne sont, en réalité, pas des objectifs minimaux et créent des restrictions substantielles à la mise en place d’un programme d’enseignement propre, autant en ce qui concerne sa forme que son contenu. En pratique, leur application rendrait l’offre d’enseignement homogène, ce qui priverait les parents et les élèves de la possibilité de choisir un établissement en adéquation avec leurs convictions.
À cet égard, elle relève que la demande de dérogation consacrée par le Code de l’enseignement secondaire ne saurait corriger les difficultés précitées. En effet, le nombre de dérogations doit par définition rester limité pour garantir l’équivalence et la qualité des enseignements. En tout état de cause, selon la Cour, ce mécanisme n’est pas de nature à pallier l’insuffisance de la marge de manœuvre laissée aux dispensateurs d’enseignement.
Pour ces raisons, la Cour constitutionnelle annule les articles 2, 3 et 4, ainsi que les annexes 1 à 7, du décret du 12 février 2021.
Elle décide néanmoins de maintenir les effets de ces dispositions jusqu’à l’année scolaire 2024-2025. Ce maintien est justifié par deux motifs. D’une part, il convient de laisser au législateur flamand le temps de définir de nouveaux objectifs. D’autre part, supprimer les objectifs pédagogiques avec effet rétroactif créerait une grande insécurité juridique puisque les écoles avaient organisé l’année scolaire sur base de ces objectifs.

6. L’enseignement est essentiel en ce qu’il construit les citoyens de demain. Des objectifs pédagogiques sont donc mis en place par le législateur dans l’optique de garantir la qualité et l’équivalence de l’enseignement obligatoire.
Dans le même temps, la liberté d’enseignement ainsi que ses composantes doivent être garanties, notamment en ce qui concerne le libre choix des parents.
Les dispositions visant à intégrer de nouveaux objectifs pédagogiques ne doivent donc pas empiéter sur cette liberté et laisser une marge de manœuvre suffisante aux écoles dans l’organisation de leur projet pédagogique. À la lumière de ce raisonnement, l’on constate que concilier la liberté d’enseignement et la qualité de l’enseignement est un exercice délicat, dont la Cour constitutionnelle vient de rappeler les limites.

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