1. Même si la situation s’est nettement améliorée depuis plus d’une décennie, il est souvent arrivé que la Belgique se fasse condamner par la Cour de justice de l’Union européenne pour avoir manqué à ses obligations communautaires, notamment en raison des retards pris dans la transposition des directives. On s’en souviendra, pendant longtemps, la Belgique fut considérée avec l’Italie comme le plus mauvais élève de la classe.
Pendant des décennies, ces arrêts « en manquement » (article 258 TFUE) n’ont pourtant jamais fait trembler les responsables politiques, dans la mesure où ils revêtent un caractère purement déclaratoire. En effet, si le manquement étant constaté par la Cour de justice, il revient à l’Etat de se conformer au droit de Union, en principe « dans des délais aussi brefs que possibles », de tels arrêts ne peuvent en aucun cas obliger l’Etat condamné à verser des dommages et intérêts à l’Union européenne.
2. Ce 17 octobre 2013, la Cour de justice a condamné pour la première fois la Belgique « en double manquement » au titre de l’article 260 TFUE. Cette procédure se distingue de la précédente visée à l’article 258 car elle vise à forcer les Etats récalcitrants, déjà condamnés une première fois en « manquement », à se conformer au droit de l’Union européenne en leur infligeant une sanction. Il s’agit donc de la sanction prononcée par la Cour de justice de l’Union européenne de l’inexécution d’un arrêt de condamnation. Ces sanctions financières, dont le produit doit être versé sur le budget de l’Union européenne, ont pour but de ramener l’Etat défaillant, condamné à deux reprises, sur le droitchemin.
Saisie par la Commission européenne, la Cour peut imposer soit une astreinte visant à inciter l’État défaillant à mettre fin, dans les plus brefs délais, à son manquement, soit une somme forfaitaire, laquelle repose davantage sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des obligations de l’État membre concerné sur les intérêts privés et publics. Ces sanctions sont de surcroît cumulatives.
3.1. L’arrêt en « double manquement » de ce 17 octobre 2013 porte sur la mauvaise exécution par les trois Régions, compétentes en matière d’environnement et plus précisément d’épuration des eaux usées, d’un premier arrêt en « manquement » du 8 juillet 2004 (aff. C-27/03), où la Cour de justice avait constaté que la Belgique n’avait pas respecté les obligations découlant de la directive 91/271/CEE du 21 mai 1991 ‘relative au traitement des eaux urbaines résiduaires’.
Cette seconde condamnation mérite quelques explications.
3.2. Tout d’abord, comme l’Union européenne ne connaît pas les subdivisions politiques des États de l’Union,ici les Régions qui composent le Royaume de Belgique, c’est celui-ci qui est condamné, à charge pour lui – mais ce n’est alors plus l’affaire de l’Union ou de la Cour de justice – de répartir les effets de la condamnation entre les entités concernées en fonction de leur responsabilité.
3.3. Ensuite, non seulement c’est la première fois que notre pays fait l’objet d’une condamnation« en double manquement » mais en outre ce n’est que la treizième fois, en vingt ans, que la Cour de justice condamne de la sorte un Etat membre, la plupart des affaires ayant d’ailleurs trait à des directives sur la protection de l’environnement que les Etats renâclent d’appliquer correctement.
Même si elle est régulièrement brandie, la procédure en double manquement n’aboutit pas nécessairement (la Commission peut se désister) car l’Etat défaillant préfère se conformer le plus rapidement possible au droit de l’Union européenne que de prendre le risque d’une seconde condamnation.
4. Par ailleurs, la condamnation qui frappe la Belgique paraît a priori sévère : elle porte à la fois sur le paiement d’une somme forfaitaire de 10 millions d’euros et d’une astreinte de 859.404 euros par semestre de retard dans la mise en œuvre du programme d’épuration des eaux urbaines résiduaires.
Ces sanctions furent proposées par la Commission européenne conformément ses lignes directrices qui déterminent les montants en fonction de la gravité de l’infraction, de sa durée, et de l’effet dissuasif de la sanction. Si la Commission propose les montants des astreintes etdes sommes forfaitaires conformément à ses lignes directrices, la Cour de justice a le dernier mot. Il lui revient en effet fonction de l’ensemble des éléments pertinents ayant trait tant aux caractéristiques du manquement constaté qu’à l’attitude propre à l’État membre concerné par la procédure initiée sur le fondement de l’article 260 TFUE. En effet, cette disposition du Traité investit la Cour de justice de l’Union européenne d’un large pouvoir d’appréciation.
S’agissant de la condamnation au versement d’une somme de 10 millions d’euros, la Cour a pris en compte à la fois la durée et la gravité de l’infraction, même si elle a revu à la baisse les prétentions de la Commission européenne, qui exigeait le double de ce montant. Elle a aussiréduit les montants proposés par la Commission en raison de la coopération loyale des autorités belges.
5. Comme la Cour de justice ne connaît que des Etats membres et non pas leurs Régions, c’est de manière assez paradoxale l’Etat belge qui se voit condamné et non les trois Régions, lesquelles ont accusé un retard conséquent, soit 21 ans, dans l’épuration de leurs eaux urbaines résiduaires.
Cela dit, il ne serait pas logique que l’Etat fédéral doive ouvrir son escarcelle à la place des Régions défaillantes. Or, depuis le prononcé de l’arrêtcette condamnation a déclenché une nouvelle tempête communautaire. Le Ministre-président de la Région flamande a en effet déclaré à la VRT que la Flandre était« en ordre » depuis juin 2011 (avec la mise en service du collecteur de Beersel), « soit avant la citation » de l’Etat belge devant la Cour de justice par la Commission européenne. Aussi la Région flamande ne devrait-elle pas, aux dires de son président, fournir une contribution « à l’amende de 10 millions d’euros infligée par la justice européenne pour retards dans le traitement des eaux usées ».
Tout d’abord, les lois spéciales de réformes institutionnelles ne prévoient pas de clé de répartition des dépenses entraînées par une « condamnation en double manquement ». Il revient donc aux trois Régions de s’entendre entre elles sur la façon de répartir les montants dus.La répartition des montants devra être réglée par le Comité de concertation, lequel se compose de ministres du Gouvernement fédéral et des gouvernements des Communautés et des Régions.
6.1. A ce stade, nous souhaitons formuler trois observations pour éviter que le débat ne s’envenime.
6.2. Il convient de ne pas mélanger des pommes et des poires : l’astreinte semestrielle devra être payée par la Région qui, au jour du prononcé de l’arrêt, soit le 17 octobre 2013, n’est toujours pas en ordre. L’arrêt indique que quelques agglomérations dans les provinces du Luxembourg et de Liège ne l’étaient toujours pas au jour de l’audience, ce qui paraît être contredit par la Société publique de gestion de l’eau. Si l’épuration dans les deux autres Régions se fait conformément à la directive de 1991, ces dernières ne devraient pas être condamnées au paiement d’une astreinte semestrielle.
6.3. Ensuite, la répartition de la somme forfaitaire de 10 millions d’euros est assurément plus délicate. La Belgique fut condamnée en 2004 du fait des défaillances constatées dans les trois Régions. En effet, 114 agglomérations de la Région flamande, 60 agglomérations de la Région wallonne ainsi que la Région de Bruxelles-Capitale n’étaient à l’époque pas en conformité par rapport à la directive de 1991. A la suite de cette condamnation, des investissements considérables furent consentis à tous les niveaux, ce qui a d’ailleurs permis à la Cour de justice de diminuer le montant des sanctions financières proposées par la Commission européenne.
6.4. L’argument avancé par le Ministre-président de la Région flamande tient-il la route ? Assurément non, car la condamnation au paiement de la somme de 10 millions d’euros vise chaque Région et non pas la seule Région de Bruxelles-Capitale ou la seule Région wallonne. En effet, la Cour de justice de l’Union européenne a bien souligné que le manquement suite au premier arrêt de condamnation, toute région confondue, « a perduré à peu près neuf ans, ce qui est excessif » (point 54 de l’arrêt).
L’absence de conformité par rapport à la directive doit, dés lors, être calculée par rapport au 2 juillet 2004 (premier arrêt de condamnation) et non pas, comme l’affirme le Ministre Président de la Région flamande, par rapport à octobre 2011, date de citation de la Belgique par la Commission (à cette époque, on peut présumer que la Région flamande s’était conformée à la directive).
6.5. Aussi faut-il revenir à la raison : chaque Région doit contribuer au paiement de l’amende en fonction de sa participation aux retards pris dans l’épuration des eaux. Des éléments techniques objectifs (mise en fonctionnement des stations d’épuration, pose des collecteurs, écueils techniques, etc.) établis par chaque administration régionale devraient servir à établir une clé de répartition intra-régionale qui serait proportionnée aux violations commises par les trois entités.
A défaut d’un tel accord, il reviendra à l’Etat fédéral, après avoir payé les 10 millions dus, ce qu’il aurait fait récemment, d’intenter une action en dommages et intérêts à l’encontre des Régions, en invoquant les fautes commises par ces dernières. Mais ceci est une autre histoire. L’actualité toute récente révèle d’ailleurs que l’autorité fédérale et les trois Régions n’ont toujours pas réussi à se mettre d’accord sur la répartition de la charge de cette condamnation. Un communiqué de presse Belga de ce 7 janvier 2013 contient en effet l’information suivante :
« L’État fédéral a payé l’amende de 10 millions d’euros infligée à la Belgique pour ses insuffisances en matière d’épuration d’eaux usées, mais les trois Régions doivent poursuivre leur concertation sur la répartition de cette somme. La Flandre maintient sa position : elle ne doit pas y contribuer, a expliqué mardi le ministre-président flamand, Kris Peeters, en commission du parlement flamand ; [...] La concertation entre les Régions se poursuivra ce mois-ci avant le comité de concertation du mois de février ».
Affaire à suivre donc...
Votre point de vue
skoby Le 2 février 2014 à 12:18
Cette amende devrait être payée par chacune des Régions au prorata des
manquements constatés à l’époque où les travaux auraient dûs être réalisés.
Par contre l’ Etat est-il le patron des Régions ou non ? Si oui, l’Etat est
également responsable. Il devait veiller à ce que les Régions se mettent
en ordre. Ceci d’autant plus que l’Etat sait bien que s’il y a du retard, que
c’est l’Etat qui est mis à l’amende !!!
denis luminet Le 8 février 2014 à 16:19
En effet, l’article 169 de la Constitution "Afin de garantir le respect des obligations internationales ou supranationales, les pouvoirs visés aux articles 36 et 37 peuvent, moyennant le respect des conditions fixées par la loi, se substituer temporairement aux organes visés aux articles 115 et 121..." est restée lettre morte.
Pour qu’il soit mis en oeuvre, dans notre pays de "wafelijzer", il faudrait que la Wallonie et la Flandre se sentent également coupables (cf. il y a une vingtaine d’années, les adjudications irrégulières pour l’achat de bus par la SRWT et pour la rénovation de l’immeuble du parlement flamand)
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