La Cour suprême valide une loi électorale de l’Arizona qui a pour effet de réduire en fait les droits électoraux des minorités

par Anne E. Deysine - 5 novembre 2021

La Cour suprême des États-Unis a rendu le 1er juillet dernier une décision Brnovich qui touchait à deux modalités électorales de l’État de l’Arizona. Ces modalités étaient contestées pour violation de la section 2 de loi fédérale sur le droit de vote (VRA) adoptée en 1965 pour lutter contre les mesures électorales discriminatoires et prorogée depuis à maintes reprises par des majorités bipartisanes au Congrès.

Le refus de la Cour de reconnaître que les deux dispositions ont un impact disproportionné sur les minorités est préoccupant car il intervient à un moment où le droit de vote, attaqué par les États à gouvernance républicaine, a particulièrement besoin de la protection de la loi fédérale, qui prime sur les législations des États fédérés.

Anne E. Deysine nous montre ci-dessous l’enjeu et l’importance de cette décision. Elle est professeur émérite à l’université Paris-Nanterre. Juriste et américaniste, elle s’est spécialisée sur les questions politiques et juridiques aux États-Unis. Ses derniers ouvrages sont « La Cour suprême des États-Unis : Droit, Politique et Démocratie », Dalloz, 2015, et « Les États-Unis et la démocratie », L’Harmattan, novembre 2019.

1. Aux États-Unis, le parti républicain, conscient que les blancs plutôt âgés des classes moyennes qui votent pour le parti de l’éléphant seront bientôt une minorité, a décidé, depuis vingt ans, non pas d’adapter ses priorités et son programme afin de tenter d’attirer les jeunes et les minorités, mais de biaiser les règles du jeu électoral afin de contracter le corps électoral en rendant le vote plus difficile pour les catégories qui tendent à voter démocrate.

2. Parce que la Constitution confère aux États la compétence en matière électorale, il est facile au parti détenant le pouvoir dans un État d’adopter des modalités électorales qui lui sont favorables, par exemple par la diminution des plages de vote anticipé ou la non possibilité de voter par correspondance. Le phénomène s’est accéléré après le raz de marée républicain de 2010, qui lui a donné le contrôle dans 32 États, et il s’est amplifié à nouveau en 2020. Les responsables républicains s’abritent derrière une justification, la lutte contre la fraude, qui n’existe pas dans les faits, ainsi que le prouvent plusieurs études du Brennan Center de l’Université de New York et plus de cinquante décisions de justice déboutant D. Trump et les républicains dans leurs contestations touchant à l’élection présidentielle de 2020.

3. Pendant les années 1970-1980, les juridictions fédérales et la Cour suprême ont jugé qu’il était de leur responsabilité de protéger le droit de vote et d’assurer un accès égal au scrutin pour les différentes sections de l’électorat, en censurant les mesures discriminatoires.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui, où une majorité conservatrice à la Cour procède au démantèlement des protections fédérales.

4. La première étape a touché les sections 4 et 5 de la loi fédérale sur le droit de vote (VRA), qui exigeaient de certains États avec un historique de discrimination qu’ils obtiennent l’autorisation préalable du ministère fédéral de la justice avant de pouvoir procéder aux modifications électorales souhaitées.

En 2013 dans la décision Shelby County v. Holder, une majorité de cinq juges conservateurs a jugé que ce système protecteur n’était plus nécessaire et que, tel qu’il était appliqué, il violait la Constitution. Il restait la section 2 de la même loi VRA, qui permettait dans tous les cinquante États de contester a posteriori une règle électorale si elle était discriminatoire. Et c’est ce deuxième garde-fou que la Cour a largement affaibli dans la décision Brnovich.

5. La première disposition de la loi de l’Arizona contestée par le Comité national démocrate (DNC) et d’autres associations est ancienne ; elle prévoit qu’un bulletin déposé dans un bureau de vote qui n’est pas le bon, sera invalidé en totalité, y compris pour ce qui concerne les postes non locaux au niveau de l’État.

La seconde disposition introduite dans la loi HB 2023 de 2016 interdit à toute personne autre que la famille, un employé de la poste ou des élections de transmettre un bulletin de vote anticipé, sous peine de sanctions pénales. Or, il y a beaucoup d’Indiens-Américains en Arizona qui vivent à plus de 100 kilomètres de leur bureau de vote et qui pouvaient antérieurement confier leur bulletin de vote à un ami ou un voisin. C’est dorénavant interdit et la raison invoquée est la lutte contre la fraude électorale.

Les requérants alléguaient que les deux dispositions ont un impact disproportionné à l’encontre des minorités indiennes, hispaniques et africaines américaines, en violation de la section 2 de la loi VRA, et que la loi HB 2023 a été adoptée avec une intention discriminatoire, violant non seulement la section 2 de la loi VRA mais aussi le XIVe amendement à la Constitution américaine, qui tend à protéger le droit des anciens esclaves afro-américains émancipés par le Treizième amendement de la Constitution des États-Unis .

La juridiction de première instance a rejeté les deux allégations, jugeant que la première disposition n’avait pas d’« impact discriminatoire significatif » sur la possibilité qu’ont les électeurs des minorités d’élire les représentants de leur choix. Concernant la collecte des bulletins, elle a jugé qu’il était improbable que la disposition cause « une inégalité significative » dans les opportunités de voter des électeurs issus des minorités.

La Cour d’appel du neuvième circuit a d’abord confirmé le jugement mais, après recours, elle a, en assemblée plénière, rendu un arrêt infirmant les premières décisions. Pour elle, les deux dispositions imposent un fardeau disproportionné aux électeurs des minorités qui ont davantage de probabilités d’être affectés de façon négative par ces règles.

6. Puis la Cour suprême accepta l’affaire et cassa l’arrêt de la Cour d’appel du neuvième circuit, jugeant que la loi HB 2023 ne viole pas la section 2 de la loi VRA et qu’elle n’a pas été adoptée avec une intention discriminatoire.

L’opinion majoritaire rédigée par le juge Alito, qui obtient le soutien des cinq autres conservateurs, souligne que seuls 1 % des Hispaniques, 1 % des Africains -Américains et 1 % des Indiens seront affectés par la disposition sur l’erreur de bureau de vote alors que le taux est de 0,5 % pour ceux qui n’appartiennent pas à une minorité. Le juge Alito conclut que la disparité raciale est minime en termes absolus et qu’une procédure qui semble fonctionner pour 98 % ou plus des électeurs, minorités et non minorités, a peu de chances de rendre le système « inégalement ouvert ». Il ajoute que les dispositions contestées existent dans de nombreux États et sont généralement bien acceptées.

7. Pour la seconde disposition, la Cour soupèse les différents facteurs en jeu (totality of circumstances) ainsi que le prévoit la loi VRA et cite le langage d’une décision antérieure rappelant que l’acte de voter nécessite de faire un effort et que de simples désagréments (mere inconvenience) causés par certaines modalités électorales ne suffisent pas à les rendre contraires à la loi.

La majorité interprète les dispositions de la section 2 de façon restrictive comme exigeant simplement que le vote soit ouvert de façon égale. Les conservateurs estiment que les progressistes se focalisent à tort sur le critère appliqué pour la section 5, l’ « impact disparate » qu’ils voudraient appliquer aux contentieux intentés sur le fondement de la section 2. Pour la majorité, les juges minoritaires voudraient opérer un transfert total de compétence électorale depuis les États fédérés vers les juridictions fédérales.

8. Les arguments de la majorité ne convainquent pas la progressiste juge Kagan, qui rédige une opinion dissidente virulente rappelant la nécessité des mécanismes protecteurs de la loi sur le droit de vote car les États et les collectivités locales continuent d’inventer de nouvelles règles, le plus souvent apparemment neutres, mais qui introduisent une distorsion discriminatoire lorsqu’elles sont mises en œuvre.

9. Sans entrer dans les détails de la décision, il faut constater les changements de priorités à la Cour suprême.

Durant la présidence Warren (1953-1969), elle a cherché à ouvrir et à égaliser le processus électoral dans le sens de l’inclusion et de la démocratie. La Cour Roberts (présidence encore en cours actuellement), au contraire, fait preuve de défiance vis-à-vis du processus politique et de l’électeur et, sous couvert de lutte contre la fraude, valide les multiples atteintes aux droits de vote par les États fédérés.

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professeure émérite à l’Université Paris-Nanterre

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