Avec l’affaire DSK, on a vu pour de bon la fameuse New York, unité spéciale, bien connue des téléspectateurs. Mais, pour mieux comprendre les procédures américaines, il existe aussi des documentaires. Saluons ici le travail de Jean-Xavier de Lestrade, qui a obtenu l’Oscar 2002 pour Un coupable idéal. Il a ensuite produit les cinq épisodes de Justice à Vegas, réalisés par Denis Poncet, qu’on a pu voir en 2009 sur la RTBF et sur ARTE. On y suit le dossier depuis le début, souvent même depuis le jour du crime, jusqu’à la décision finale.
Jules Messinne déplore dans son article l’absence de garantie d’un débat vraiment contradictoire dans toute la première phase de la procédure accusatoire. Il convient toutefois de préciser qu’en principe le procureur doit pourtant produire les éléments de preuve qu’il a recueillis, même s’ils sont à décharge. Lors de l’arraignment (le 6 juin 2011 pour DSK), c’est en fonction des preuves que le prévenu décide s’il plaidera coupable ou non coupable. C’est d’ailleurs cette « divulgation » (disclosure) qui permet de terminer la majorité des affaires par une transaction (plea bargaining). Chaque Etat a bien entendu son propre code de procédure pénale mais la tendance moderne aux Etats-Unis est d’ouvrir un dossier sur un site et d’y verser chaque nouvel élément au fur et à mesure ; cet open file (dossier ouvert) auquel la défense a accès se rapproche de ce que nous connaissons. La critique reste cependant valable pour New York : plusieurs juges américains me signalent que les procureurs new-yorkais continuent à se montrer parcimonieux dans leur divulgation. Ce jeu dangereux risque d’aboutir un jour à un cuisant non-lieu.
Jules Messinne écrit aussi que la procédure accusatoire n’assure qu’une égalité purement formelle : seuls les prévenus fortunés ont les moyens d’une défense sérieuse face à un procureur disposant de toutes les facilités qu’offre la puissance publique. Le propos doit être nuancé car il ne tient pas compte de l’aide juridique à laquelle ont droit les moins favorisés. Cette aide comprend les honoraires de l’avocat mais aussi ceux des experts et des détectives dans les cas qui requièrent leur intervention Les budgets sont parfois imposants : deux milliards de livres pour l’Angleterre et le Pays de Galles, soit quelque 2 milliards trois cent millions (2.300.000.000) d’euros. Cela permet une défense sérieuse. Bien que les budgets du Québec soient plus modestes, plusieurs juges de Montréal font l’éloge d’une institution où ils ont commencé leur carrière, comme d’ailleurs certains collègues étatsuniens.
Aux Etats-Unis, la Cour suprême a décidé en 1963 (arrêt Gideon v. Wainwright) que le droit à un conseil en matière criminelle consacré par le sixième amendement impliquait l’obligation d’en fournir un aux démunis. Le financement et la mise en œuvre de cette obligation varie selon les Etats et même selon les comtés (subdivisions admnistrativo-judiciaires au sein de chacun des États). Les services sont généralement fournis par le bureau du Public Defender, qui emploie des avocats salariés, mais on rencontre aussi des indépendants qui travaillent au tarif de l’aide juridique, comme en Belgique. New York connaît les deux systèmes : à côté des public defenders, on trouve un millier d’avocats payés 75 $ par heure. Il arrive aussi que des ténors du barreau travaillent pro bono. Les frais d’expertise, de témoignages et d’enquête peuvent être pris en charge jusqu’à la phase de condamnation, pour la recherche de circonstances atténuantes : à cette fin, un juge de Floride a récemment enjoint aux pouvoirs publics de régler 5000 $ à la défense d’un accusé reconnu coupable.
Selon les conditions locales, l’aide fonctionne plus ou moins bien. Ce serait cependant une erreur de croire qu’il s’agit toujours d’une défense de deuxième zone. Le public defender de Jacksonville (Floride), que l’on voit à l’œuvre dans Un coupable idéal, est un véritable bulldozer. Dans Justice à Vegas, les avocats et enquêteurs de l’aide juridique ne donnent pas l’impression de bâcler leur travail par comparaison avec ceux que payent des accusés plus aisés.
En conclusion, comme chez nous, face à la justice, c’est la situation de la classe moyenne modeste qui est la plus difficile. Cette inégalité est aggravée par le système accusatoire (en vigueur aux Etats-Unis), par nature plus coûteux.