La presse audiovisuelle, elle aussi, est libre : la censure ne pourra jamais être établie

par Audrey Adam - 21 mai 2011

Peut-on, en Belgique, interdire judiciairement, avant même toute diffusion, une émission télévisuelle ? La question divisait les juristes et les juges depuis plus de 20 ans. Elle vient d’être tranchée par la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt RTBF c. Belgique, rendu le 29 mars 2011

En 2001, une émission du magazine « Au nom de la loi » de la RTBF, consacrée aux erreurs médicales, a été interdite de diffusion par le juge des référés de Bruxelles, à la demande d’un neurochirurgien qui craignait que l’émission porte atteinte à son honneur et à sa réputation.
La décision a été confirmée en appel et le pourvoi en cassation, introduit par la RTBF, a été rejeté.

La RTBF estimait à titre principal que l’article 25 de la Constitution, qui interdit la censure, empêchait qu’une telle mesure soit ordonnée. A titre subsidiaire, elle soutenait qu’en toute hypothèse, il n’existait pas, en droit belge, une « loi » au sens où l’entend la Convention européenne, qui autorisait le juge belge à ordonner une telle mesure préventive.

Conformément à une jurisprudence antérieure contestée et contestable, la Cour de cassation a estimé que l’article 25 de la Constitution s’appliquait uniquement à la presse écrite et non à la presse audiovisuelle. Elle a également estimé que la « loi » résultait de la combinaison des articles 584 et 1039 du Code judiciaire (qui fondent la compétence du juge des référés et le caractère provisoire des décisions prises par ce juge) à l’article 144 de la Constitution (qui fonde la compétence du pouvoir judiciaire en général pour le règlement des litiges portant sur des droits civils). En conséquence, la Cour estimait que le juge belge pouvait parfaitement restreindre préventivement la liberté d’expression par un ordre de censure pure et simple, s’il l’estimait nécessaire.

Dès lors que la RTBF estimait que cette combinaison légale n’était pas conforme à la Convention européenne, elle a saisi la Cour européenne des droits de l’homme du litige. Pour la RTBF, la base légale décrite par la Cour de cassation ne constituait pas une norme énoncée avec suffisamment de précisions quant à la délimitation de l’interdiction et ne permettait pas un contrôle juridictionnel efficace contre les abus éventuels permettant au citoyen de prévoir les conséquences d’un acte déterminé.

La Cour européenne a, à l’unanimité, entièrement suivi l’argumentation de la RTBF. Elle a, tout d’abord, relevé que la Constitution belge n’autorisait que la répression des délits de presse, ce qui implique une interdiction de toute intervention préventive (article 19 de la Constitution). Ensuite, la Cour, tout en envisageant différentes combinaisons de dispositions légales (les articles 18, 19, 584 et 1039 du Code judiciaire, 144 de la Constitution mais également les articles 1382, 1383 et 1388 du Code civil), a considéré que celles-ci ne répondaient pas aux exigences de la « loi » dès lors qu’elles ne formaient pas un cadre suffisamment précis quant à la délimitation de l’interdiction (§ 108 de l’arrêt). Elle a enfin considéré qu’il n’existait pas de jurisprudence nette et constante autorisant une intervention préventive du juge dans ce type de litige qui aurait pu pallier la carence légale. C’est pourquoi elle a estimé que le cadre législatif belge ne répondait pas à la condition de prévisibilité voulue par la Convention et violait en conséquence la liberté d’expression.

A présent, seule une loi répondant aux critères de qualité énoncés par la Cour européenne pourrait confier au juge belge le pouvoir que cette dernière lui a dénié. Si telle devait être l’intention d’un futur législateur, encore devra-t-il prendre en compte les « instructions » de la Cour : fixer un cadre législatif précis et spécifique pour l’application, à quelque support de presse que ce soit, d’une restriction préventive sans pour autant porter atteinte à l’essence même de la liberté de communiquer des informations.

Par cet arrêt RTBF c. Belgique du 29 mars 2011, la Cour européenne des droits de l’homme a mis un terme à la dichotomie rigide qu’opérait la Cour de cassation entre presse écrite et presse audiovisuelle et a redonné ses lettres de noblesse à l’interdiction de la censure que consacre maintenant pleinement l’article 25 de la Constitution.

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