1. Il y a trois ans, la Cour de justice de l’Union européenne a condamné le décret flamand du 19 juillet 1973 (appelé « décret de septembre » en raison de sa publication pendant ce mois au Moniteur belge), qui imposait l’usage exclusif du néerlandais pour toutes les relations sociales, et notamment la rédaction d’un contrat de travail, en raison de son incompatibilité avec le droit européen (C.J.U.E., 16 avril 2013, aff. Las/PSA Antwerpen, n° C-202/11, http://www.justice-en-ligne.be/article556.html).
Le législateur flamand a rapidement tiré les leçons de cet arrêt et a modifié sa législation en conséquence, en prévoyant désormais, sous certaines conditions, qu’« une version ayant force de loi peut être établie pour des contrats de travail individuels » dans une autre langue de l’Union européenne (nouvel article 5, § 2, du décret).
2. L’ancienne version du décret demeurait toutefois applicable jusqu’au 1er mai 2014, et c’est dans le contexte d’un litige survenu avant cette date que la Cour de Justice a confirmé sa jurisprudence, cette fois-ci à l’égard de la langue imposée pour les factures.
Dans cette affaire, New Valmar, une société de droit belge établie en région de langue néerlandaise, avait confié à une société italienne la concession exclusive pour l’exportation de ses produits en Italie. Cette dernière avait contesté les factures de New Valmar parce que certaines de leurs mentions, et notamment les conditions générales de vente, n’avaient pas été libellées en néerlandais mais en italien. Malgré le dépôt, en cours de procédure, d’une traduction en néerlandais desdites factures, celles-ci demeuraient frappées de nullité absolue en vertu du décret.
3. Saisi de ce litige, le tribunal de commerce de Gand va interroger la Cour de justice sur la compatibilité du droit européen avec une réglementation qui impose à toute entreprise localisée dans la région de langue néerlandaise d’établir les factures à caractère transfrontalier exclusivement en néerlandais, sous peine de nullité à soulever d’office par le juge.
Dans son argumentation devant la Cour, l’État belge va relever que les factures ne font que confirmer la créance découlant du contrat et que le décret flamand ne porte dès lors pas atteinte à l’échange de consentements entre parties, contrairement à ce que la Cour avait condamné dans son arrêt précité du 16 avril 2013.
4. La Cour de Justice, dans son arrêt du 21 juin 2016 , rappelle tout d’abord que toute restriction, même d’importance mineure, à l’une des libertés fondamentales prévue par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) est prohibée par celui-ci. Elle poursuit en indiquant qu’« en privant les opérateurs concernés de la possibilité de choisir librement une langue qu’ils maîtrisent conjointement pour la rédaction de leurs factures et en leur imposant à cette fin une langue qui ne correspond pas nécessairement à celle qu’ils ont convenu d’utiliser dans leurs relations contractuelles », le décret flamand « est de nature à accroître le risque de contestation et de non-paiement des factures, dès lors que les destinataires de celles-ci pourraient se trouver incités à se prévaloir de leur incapacité, réelle ou prétendue, à en comprendre le contenu aux fins de s’opposer à leur paiement. Inversement, le destinataire d’une facture rédigée dans une langue autre que le néerlandais pourrait, compte tenu de la nullité absolue frappant une telle facture, être incité à en contester la validité pour ce seul motif, et ce alors même que cette facture aurait été rédigée dans une langue qu’il comprend ».
La Cour en conclut que la réglementation flamande, même si elle concerne la langue des mentions figurant sur les factures et non le contenu de la relation contractuelle qui les fonde (c’est-à-dire la relation commerciale entre une entreprise et son client, qui est à l’origine de la facture), comporte, « en raison de l’insécurité juridique qu’elle engendre, des effets restrictifs sur les échanges commerciaux qui sont de nature à dissuader la conclusion ou la poursuite de relations contractuelles avec une entreprise établie dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique ».
Rappelant ensuite que l’objectif visant à promouvoir et à stimuler l’emploi d’une langue officielle et la nécessité de préserver l’efficacité des contrôles fiscaux constituent certes des objectifs légitimes et d’intérêt général, la Cour de Justice précise, par analogie avec son arrêt précité du 16 avril 2013, auquel elle renvoie d’ailleurs explicitement, qu’une réglementation qui imposerait l’utilisation d’une des langues officielles d’un Etat membre pour la rédaction de factures relatives à des transactions transfrontalières, « mais qui permettrait, en outre, d’établir une version faisant foi de telles factures également dans une langue connue des parties concernées, serait moins attentatoire à la liberté de circulation des marchandises » que le décret flamand, qui s’avère, partant, disproportionné.
Votre point de vue
skoby Le 5 juillet 2016 à 18:50
Voilà une bonne réaction de la Cour de Justice, vis-à-vis d’une loi ridicule, inventée
par des flamands complexés, qui craignent la disparition de leur langue.
Les vrais flamands n’ont pas cette crainte et peuvent sans problème s’avérer
multilingue. Ce n’est pas en adoptant des attitudes aussi ridicules qu’ils obtiendront
le respect de leur communauté, qui d’ailleurs, aimerait que la Flandre adopte
un comportement nettement plus international que replié sur lui-même.
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