Le contrôle de la procédure de règlement collectif de dettes par les tribunaux du travail sous la loupe du Conseil supérieur de la Justice

par Simon Scouflaire - 20 décembre 2022

Perte d’emploi, difficultés à gérer son argent, crédits à la consommation, etc. : en 2021, plus de 67.000 Belges en situation de surendettement ont eu recours au règlement collectif de dettes. Ce mécanisme judiciaire constitue parfois l’ultime bouée de sauvetage pour les personnes surendettées. Grâce à cette procédure introduite devant le tribunal du travail, celles-ci peuvent alors retrouver des conditions de vie conforme à la dignité humaine.
Mais, en pratique, comment les tribunaux du travail font-ils face à ce contentieux ? Comment la gestion de la procédure pourrait être améliorée dans l’intérêt de toutes les parties prenantes ? C’est notamment à ces questions qu’a tenté de répondre le récent audit du Conseil supérieur de la Justice sur le contrôle de la procédure de règlement collectif de dettes par les tribunaux du travail. À l’instar des mesures de protection judiciaire, la procédure de règlement collectif de dettes présente des risques relativement comparables en termes de sélection et de désignation des médiateurs ainsi que sur le plan du contrôle et de la bonne exécution de leur mandat.
Cet audit mené par le Conseil supérieur de la Justice a concerné l’ensemble des tribunaux du travail du pays. Il est le résultat de plus de 80 interviews, d’analyses statistiques sur près de 40.000 dossiers et du contrôle dans les tribunaux du travail de 115 dossiers de règlement collectif de dettes.
Simon Scouflaire, auditeur au Conseil supérieur de la Justice, nous fait part des grandes lignes de cet audit.

1. En guise d’introduction, il faut rappeler que le règlement collectif de dettes reste une procédure judiciaire. Ce mécanisme a pour but de rétablir la situation financière d’un particulier surendetté.
Pour en bénéficier, différentes conditions légales doivent être respectées. Lorsque c’est le cas, le juge du tribunal du travail prononce une ordonnance d’admissibilité. Un médiateur de dettes est alors désigné pour négocier un plan de remboursement avec les créanciers. Il est renvoyé à cet égard à l’article de Jérôme Martens, « Un particulier surendetté peut-il demander au juge l’effacement de ses dettes ? », mais qui date de 2011, soit d’avant la modification de la loi sur ce point, intervenue le 26 mars 2012. Un autre article de Jérôme Martens, datant de 2017, évoque une question plus particulière : « Peut-on changer de médiateur de dettes ? ». D’utiles explications sont également fournies dans une brochure du SPF Économie publiée en décembre 2012.

2. Le médiateur de dettes dispose d’un an maximum pour proposer un plan.
Si un accord peut être trouvé avec les créanciers, il s’agit alors d’un plan de règlement amiable. Si aucun accord ne peut être trouvé, le juge peut imposer un plan de règlement judiciaire.

3. Durant la médiation, le médiateur de dettes perçoit les revenus de la personne qui est en règlement collectif de dettes. Il doit également restituer à celle-ci une somme d’argent mensuelle sur la base du budget prévu. Le médiateur de dettes procède au paiement des créanciers conformément à ce qui est prévu dans le plan de remboursement.
Au moins une fois par an, le médiateur doit remettre au juge un rapport sur l’état de la procédure. Sous le contrôle du juge et moyennant son autorisation, le médiateur de dettes perçoit des honoraires pour sa mission.
À l’issue de la procédure, le débiteur sera libéré du solde éventuel de ses dettes, à l’exception des dettes incompressibles (exemple, les amendes pénales).

4. Sur le plan quantitatif, l’audit du Conseil supérieur de la Justice pointe la diminution constante du nombre de nouveaux dossiers de règlement collectif de dettes.
Plusieurs éléments expliquent cette diminution.

5. À la suite d’une modification de la loi, les personnes pour lesquelles le juge a prononcé une révocation ne peuvent plus introduire de nouvelle requête pendant une période de cinq ans. La révocation est une forme de sanction. Elle est prononcée par le juge lorsque la personne qui est en règlement collectif de dettes manque gravement à ses obligations (fausses déclarations, insolvabilité frauduleuse, etc.). En cas de révocation, il est mis fin anticipativement à la procédure et, par conséquent, aux avantages de celle-ci. Les créanciers pourront de nouveau procéder à des saisies. Également, les intérêts ne seront plus suspendus et continueront à s’accumuler.
Sont également exclues de la procédure toute « entreprise » au sens du Code de droit économique, pour lesquelles il existe des mécanismes spécifiques lorsqu’elles sont insolvables, c’est-à-dire lorsqu’elles sont devant de grandes difficultés d’honorer leurs engagements (faillite, réorganisation judiciaire, sursis, etc.).
On assiste également à la mise en place de mécanismes non-judiciaires visant à remédier au surendettement.

6. Dans la majorité des cas, c’est un plan de règlement amiable qui est homologué par le juge. Toutefois, il est relativement rare qu’un plan de règlement amiable soit homologué dans les délais légaux, soit six mois à un an maximum. Cela peut s’expliquer par la complexité de la situation socio-économique de la personne surendettée. En effet, il faut du temps pour stabiliser la situation sur la base de laquelle un plan de règlement amiable peut être élaboré.
Le non-respect des délais légaux est une problématique commune à l’ensemble des tribunaux du travail. Dès lors, une évaluation de la pertinence des délais tels qu’ils sont actuellement fixés par la loi serait nécessaire.

7. Lorsqu’une personne est admise à la procédure en règlement collectif de dettes, un médiateur de dettes est alors sélectionné puis désigné par le tribunal du travail.
Au cours de l’audit du Conseil supérieur de la Justice, il est ressorti que le critère le plus souvent utilisé par les juges pour sélectionner un médiateur de dettes est la formation de celui-ci en matière de règlement collectif de dettes.
Toutefois, bien que certaines formations soient dispensées, il n’existe actuellement pas de procédure d’agréation des avocats, notaires ou huissiers pour exercer la fonction de médiateur de dettes. De plus, les matières évoluent. Il est donc indispensable que tout médiateur s’inscrive dans une logique de formation continue.

8. Sur le plan pratique, les tribunaux du travail n’ont actuellement pas la possibilité de connaître le nombre de dossiers qu’un médiateur de dettes gère dans un autre arrondissement judiciaire. Toutefois, pour garantir la qualité de l’accompagnement de la personne surendettée et la bonne communication avec les créanciers, il est important que le tribunal du travail limite le nombre de dossiers par médiateur de dettes. Avec un nombre élevé de dossiers, le risque est grand que le médiateur de dettes se focalise uniquement sur le volet procédural.
Un médiateur de dettes doit aussi consacrer une attention suffisante à l’évolution de la situation sociale et financière, ainsi qu’aux perspectives de la personne en règlement collectif de dettes et ce, comme la loi l’exige.

9. Au niveau du traitement administratif des dossiers de règlement collectif de dettes, les tribunaux du travail mettent en avant la charge de travail très élevée liée à la notification par plis judiciaires (c’est-à-dire par envois postaux recommandés) des différents actes de la procédure.
À titre d’illustration, pour l’année 2020, un tribunal du travail a envoyé plus de 93.000 recommandés et plis judiciaires uniquement dans le cadre de ce contentieux. Outre les coûts considérables liés à de tels envois, la mise sous pli et la gestion des accusés de réception consomme une part importante des ressources humaines des tribunaux du travail. Ce travail se fait même parfois au détriment d’autres tâches de premier plan, comme par exemple la vérification des rapports annuels et des états de frais et honoraires des médiateurs de dettes.

10. En termes de contrôles, le Conseil supérieur de la Justice insiste sur l’importance d’une gestion optimale du risque de fraude, plus particulièrement, dans des cas où l’une des parties est en situation de vulnérabilité et tributaire d’un tiers pour la gestion de ses finances.
Dans le cadre du contrôle des informations contenues dans le rapport annuel, le « principe des quatre yeux » permet de vérifier de manière plus complète les données qui sont soumises à la juridiction par le médiateur de dettes. Selon ce principe, un même contrôle doit être effectué par deux personnes différentes.

11. D’après le Code judiciaire, le médiateur de dettes communique également une copie du rapport annuel à la personne qui est en règlement collectif de dettes. Avec ces informations, celle-ci peut, en principe, exercer aussi un contrôle sur le bon déroulement de la procédure.
Toutefois, la charge du contrôle ne peut reposer exclusivement sur le justiciable. En la matière, le personnel administratif, le greffe et le magistrat sont responsables de la qualité des contrôles effectués.

12. Hormis quelques échanges très ponctuels, il a aussi été constaté lors de l’audit qu’il y a peu de partage de bonnes pratiques entre les tribunaux du travail de rôles linguistiques différents.
Cependant, il existe parfois des échanges de bonnes pratiques entre les différentes divisions d’un même tribunal.
Dans chaque tribunal du travail, des échanges informels et formels ont pu être constatés avec les barreaux, les CPAS et les syndics des médiateurs de dettes.

13. Enfin, la procédure de règlement collectif de dettes devrait prochainement être digitalisée.
Plusieurs fois repoussé, le registre central des règlements collectifs de dettes devrait théoriquement être opérationnel le 1er janvier 2023.
Selon la loi, ce registre est une base de données électronique permettant d’organiser la gestion, le suivi et le traitement des dossiers de règlement collectif de dettes. Il contiendrait les différents documents et données relatifs à la procédure et constituerait une plateforme d’échange d’informations entre le tribunal, les médiateurs de dettes, les personnes surendettées et les créanciers.
Le registre devrait permettre de réduire la charge administrative des tribunaux du travail liée à la gestion de ce contentieux. Davantage de temps pourrait ainsi être consacré au contrôle des dossiers.
Même si l’introduction d’un outil numérique doit être saluée, le Conseil supérieur de la Justice souligne que des ressources suffisantes devront impérativement être allouées au développement du registre, à sa maintenance ainsi qu’à la formation des membres de l’ordre judiciaire à son utilisation.
La digitalisation future de la procédure ne pourra certainement pas être faite au rabais et devra impérativement présenter toutes les garanties suffisantes d’accès à la justice.

14. Le présent rapport d’audit est disponible dans son intégralité sur le site internet du Conseil supérieur de la Justice.

Votre message

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Votre message

Les messages sont limités à 1500 caractères (espaces compris).

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)

Ajouter un document

Avec le soutien de la Caisse de prévoyance des avocats, des huissiers de justice et des autres indépendants
Pour placer ici votre logo, contactez-nous