La Justice ne se résumé pas à l’application mécanique de la loi ou d’une morale préétablie dans sa dureté. Elle est affaire d’humanité surtout.
Voici, en ce sens, un cri du cœur, que nous envoie Réginald de Béco, avocat au barreau de Bruxelles, président de la Commission Prisons de la Ligue belge des droits de l’homme.
Ce texte a été publié dans Forum, le périodique du barreau francophone de Bruxelles, et est reproduit avec son aimable autorisation.

Qui sommes-nous pour mépriser l’autre, quel qu’il soit, en nous ingéniant à le dénigrer et l’humilier ?
Est-ce parce qu’il n’est pas comme nous ? Il s’exprime difficilement et se défend mal. Il utilise des expressions qui font bondir : « Ce n’est pas uniquement ma faute… J’ai fait une bêtise… J’ai juste commis une erreur… Je ne recommencerai plus… ». Il esquive ou minimise sa responsabilité. Il n’a pas un mot pour ses victimes alors qu’il n’est préoccupé que par ce qui va lui arriver.
L’escroc aguerri, par contre, est madré et manipulateur. Il sait ce qu’il faut dire et ne pas dire, comment faire passer des contrevérités avec l’air supérieur de celui qui sait ou croit qu’il est du même monde.
Tandis que l’autre est souvent d’origine étrangère, jeune et maladroit, laminé par les abandons et les rejets successifs. Il est révolté devant les injustices de la vie et tente de surmonter ses angoisses par des comportements suicidaires, que ce soit dans la drogue, la violence ou une sexualité dénaturée.
C’est vrai. Sans doute !
Mais, avons-nous pensé, un seul instant, que nous pourrions être à sa place ? Il n’est pas né dans les meilleures conditions. Il n’a pas été entouré, choyé, gâté, comme nous l’avons été, par des parents aimants qui lui ont offert une jeunesse heureuse et insouciante. Il n’a pas vécu au sein d’une famille d’intellectuels cultivés qui ont tout fait pour lui assurer une bonne éducation et lui payer des études supérieures. Il n’a pas bénéficié des appuis, des introductions, des amitiés qui nous ont permis d’entrouvrir des portes et de nous trouver là où nous sommes, dans une sécurité d’emploi et une aisance financière à faire envie.
Et quand bien même nous nous serions faits tout seuls et hissés à la force du poignet, cela ne nous donne pas le droit de le condamner. Il n’a pas eu notre force physique ou psychique, ni notre volonté et notre courage. Lui, malheureusement, n’a pas rencontré de mains tendues, tuteurs de résilience. Il n’est rien alors que nous avons tout… Et il est à notre merci. Nous avons tout pouvoir, celui de le juger, de le condamner et peut-être même de l’envoyer en prison en lui faisant tout perdre, dignité, emploi, femme et enfants.
Nous avons tous les droits et nous le lui faisons sentir. Et lui, il a juste le droit de se taire et de s’incliner. Surtout, qu’il en dise le moins possible, qu’il n’exprime pas sa souffrance et son mal-être ! On dira qu’il pleure sur lui-même. Le tout-répressif devient inhumanité.
Certains magistrats, de même que certains avocats, sont devenus sourds. Ils vous diront qu’ils sont les avocats de la société, de la tranquillité publique et du besoin de sécurité de la population. Et que cela suffit, qu’il est temps de réagir !
En cela, ils n’ont sans doute pas tort. Mais cela ne justifie pas, pour autant, l’irrespect, le mépris et l’humiliation. Tout homme, quel qu’il soit et quels que soient les faits qu’on peut lui reprocher, a droit au respect inhérent à sa dignité humaine. C’est là une valeur fondamentale et universelle de l’humanité. Respecter un monstre d’inhumanité c’est l’appeler à retrouver une dignité perdue. Tandis qu’humilier un homme à sa merci, c’est l’enfoncer un peu plus encore dans son rejet de la société et de l’autorité.
Un magistrat ou un avocat irrespectueux est un homme qui ne mérite pas le respect. L’irrespect en devient méprisable. S’il en est ainsi dans le domaine de la justice, il en va de même dans la société. Nous avons tous une quelconque autorité, de par notre profession, notre réputation ou notre ascendant. Nous pouvons l’exercer avec la morgue de celui qui se prend pour un être supérieur et méprise ceux qui ne sont pas comme lui, ou nous pouvons, qui que nous soyons et quel que soit l’endroit où nous nous trouvons, rencontrer chacun dans le respect et la bienveillance.

Mots-clés associés à cet article : Condamnation, Bienveillance, Résilience, Respect,

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Réginald de Béco


Auteur

Avocat honoraire au barreau de Bruxelles
_Président d’honneur de la Ligue des droits humains et ancien président de sa Commission Prisons

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