1. Voici la question posée par notre visiteur :
« Dire qu’obtenir une preuve de façon illégale n’est pas contraire à l’article 8 [de la Convention européenne] des droits de l’homme est une porte ouverte aux abus ou erreurs. Quid si quelqu’un trouve des preuves d’un délit dans du courrier qu’elle aurait ouvert illégalement sans savoir que ces preuves sont elles-mêmes des preuves d’un autre délit ? On se retrouve avec quelqu’un accusé d’un délit alors que ce délit est imputable à une autre personne ».
2. L’article 32 du titre préliminaire du Code de procédure pénale a consacré légalement en 2013 la jurisprudence dite « Antigone » relative aux conditions d’admissibilité de la preuve illégale (loi du 24 octobre 2013).
Cette disposition permet ainsi d’utiliser une preuve irrégulière lorsque la forme transgressée n’est pas prescrite à peine de nullité, lorsque l’irrégularité n’atteint pas la fiabilité de la preuve et lorsque celle-ci peut être utilisée sans que le procès en devienne inéquitable.
3. Entre-temps, la Cour européenne des droits de l’homme a aussi validé ces critères d’admission de la preuve irrégulière (Cour eur. des droits de l’homme, Lee Davies c. Belgique, 28 juillet 2009 ; Kalnéniené c. Belgique, 31 janvier 2017, Revue de Jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles (J.L.M.B.), 2017, p. 477) : d’après la propre jurisprudence de la Cour européenne, un procès peut être équitable même si la culpabilité de l’accusé est établie au moyen d’éléments de preuve recueillis en violation d’un droit protégé par la Convention tel le droit au respect de la vie privée (Cour européenne des droits de l’homme, Khan c. Royaume-Uni, 12 mai 2000 ; P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, 25 septembre 2001, Allan c. Royaume-Uni, 5 novembre 2002, Heglas c. République tchèque, 1er mars 2007, Bykov c. Russie (Grande Chambre), 10 mars 2009 ; Kalnéniené c. Belgique, 31 janvier 2017).
4. En cas d’illégalité touchant la preuve, le juge est donc toujours amené à faire la balance entre le droit à un procès équitable et l’usage d’une preuve irrégulière.
Il y a lieu, d’une part, d’éviter que la plus petite erreur de procédure mène à l’exclusion de la preuve (les règles de procédure deviennent de plus en plus complexes) et, d’autre part, de ne pas permettre que les autorités violent impunément la loi sous le prétexte que la fin justifierait tous les moyens, même ceux illégaux.
5. En matière de protection de la vie privée et plus particulièrement de perquisitions, il y a lieu de noter que, récemment, la Cour de cassation a considéré que des irrégularités commises intentionnellement ou à la suite d’une négligence grave assimilable à une irrégularité intentionnelle, ne sont en principe pas conciliables avec la loyauté et la régularité dans l’administration de la preuve que l’on doit attendre des autorités chargées de l’enquête et de la poursuite dans un État de droit.
Elle a ainsi jugé que le juge pouvait légalement exclure, comme contraires au droit à un procès équitable, les preuves provenant d’une perquisition irrégulière lorsque l’irrégularité, bien que non intentionnelle, était inexcusable dans le chef des policiers (Cour de cassation, 4 avril 2023, RG P.22.1730.N, www.juportal.be ; Journal des Tribunaux, 2023, p. 318 ; 25 avril 2023, RG P.23.0081.N, www.juportal.be, Tijdschrift voor Strafrecht, 2023, p. 235).
C’est donc un message clair adressé aux magistrats et aux fonctionnaires de police : les violations du droit à la vie privée et à la protection du domicile commises intentionnellement ou en raison d’une négligence fort grave peuvent conduire à l’exclusion de la preuve recueillie à cette occasion.
Votre point de vue
Pierre Le 5 juillet à 17:51
Bonjour,
J’ai aussi une question un peu similaire : Le recueil d’une preuve par une personne non légalement compétente compromet-il la fiabilité de la preuve ?
Pierre
Justice-en-Ligne Le 14 juillet à 10:34
En réponse à la question de Pierre du 5 juillet 2024, nous ne pouvons que renvoyer à l’article de Damien Vandermeersch auquel elle fait suite : il résulte de l’article 32 du titre préliminaire du Code de procédure pénale qu’un élément de preuve émanant d’une autorité non compétente pour l’établir est en soi irrégulière mais elle n’entraîne la nullité de cet élément que (1°) si le respect de la règle de compétence est prescrit à peine de nullité, (2°) si l’irrégularité commise a entaché la fiabilité de la preuve ou (3°) si l’usage de la preuve est contraire au droit à un procès équitable. Ce sont ces principes qu’il convient d’appliquer si la preuve émane d’une autorité incompétente. Leur interprétation peut certes différer d’une situation à l’autre mais il est impossible pour Justice-en-ligne de toutes les analyser.
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