1. Une ordonnance prononcée le 14 juin 2013 par le Président du Tribunal de commerce de Bruxelles, sur requête unilatérale de la S.N.C.B., a interdit au journal Metro toute nouvelle publication d’une publicité lancée la veille en première page du quotidien gratuit. Un démenti devait également être immédiatement publié.
La publicité litigieuse occupait la première moitié de la Une du journal du 13 juin 2013 et prenait la forme d’un pseudo-article rédactionnel intitulé : « Travaux sur les rails : 1 train sur 2 pendant 3 ans ». Un petit encart figurant en bas à droite de la page indiquait aux lecteurs qu’il s’agissait d’une fausse information. Le message publicitaire final, dont la portée exacte apparaissait en dernière page, avait pour but la vente d’un déodorant de la marque Nivea, permettant de résister au stress. Un stress volontairement provoqué chez les navetteurs du rail par la fausse information, si tant est bien évidemment que les retards et autres annulations de trains soient encore de nature à stresser les usagers de ce mode de transport.
2. La décision de justice a été prise sous le bénéfice de l’extrême urgence, sans qu’un débat contradictoire n’ait pu avoir lieu entre la S.N.C.B. et Metro et/ou Nivea. La S.N.C.B. était justifiée à invoquer l’absolue nécessité requise par le Code judiciaire pour obtenir de telles mesures unilatérales, dès lors qu’en l’espèce, selon le Président du tribunal, les règles devant prévaloir en matière de publicité honnête et loyale avaient été violées de manière flagrante.
Basée uniquement sur le constat de cette violation et sur l’urgence à intervenir, l’absence de débat contradictoire n’a manifestement pas permis une réelle mise en balance des libertés en conflit. S’opposaient pourtant en l’espèce la réputation commerciale de la S.N.C.B. et la liberté d’expression du message publicitaire de Nivea. Si la loi relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur assigne effectivement au message publicitaire des conditions de caractère déontologique et qualitatif et prévoit les sanctions de la violation de ces conditions, ces règles ne doivent néanmoins pas indûment porter atteinte à la liberté d’expression telle qu’elle est garantie notamment par la Convention européenne des droits de l’homme en son article 10.
3. En effet, l’article 10 vaut a priori pour tous les modes et toutes les formes d’expression. Le cadre commercial de l’expression véhiculée n’ôte pas en soi ladite protection, comme l’a déjà admis la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt MarktIntern Verlag Gmbh et Klaus Beerman c. Allemagne du 20 novembre 1989.
En conséquence, prononcer une interdiction de publication d’une publicité, le retrait des exemplaires d’ores et déjà mis en circulation et l’insertion d’un rectificatif, constituent autant d’ingérences dans la liberté d’expression publicitaire. La légalité des ingérences sollicitées, le but ultime qu’elles visent, leur nécessité et leur proportionnalité par rapport au but poursuivi auraient donc dû être analysés. A la lecture de la décision prononcée le 14 juin dernier, cela n’a nullement été le cas.
S’il est acquis que le publicitaire ne bénéficie pas d’une protection aussi étendue que celle dont jouissent les hommes politiques ou les médias d’information et que les Etats bénéficient en conséquence d’une large marge d’appréciation, il n’en demeure pas moins que la nécessité des ingérences et la proportionnalité de l’ensemble des mesures provisoires ordonnées auraient dû faire débat. Le critère de la proportionnalité rejoint d’ailleurs celui de l’absolue nécessité à prononcer les mesures provisoires afin de limiter le dommage prétendument subi. Force est de constater que la SNCB n’a fait qu’invoquer à l’appui de sa requête le lourd dommage soi-disant provoqué par la publication pourtant déjà intervenue, sans aucunement le démontrer à l’appui de pièces probantes. Compte tenu du contexte et du caractère provisoire de l’ordonnance, la publication d’un droit de réponse ne permettait-il pas de limiter le risque de préjudice grave le temps qu’il puisse effectivement être statué au fond quant à la violation – ou non – des règles invoquées ?
4. Relevons également, quant à la légalité de l’interdiction prononcée, que la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt RTBF c. Belgique précédemment commenté sur Justice-en-ligne, a déjà constaté que l’arsenal normatif belge ne disposait pas d’une disposition suffisamment claire, précise et détaillée permettant au juge des référés de prononcer une ingérence visant à censurer une expression ou une opinion. Néanmoins, ici, contrairement aux faits ayant donné lieu à l’arrêt RTBF c. Belgique, une première publication était déjà intervenue. Restait alors au tribunal à examiner si l’interdiction d’un message déjà rendu public constituait ou non une ingérence préventive. A nouveau, cet examen n’a pas eu lieu.
5. Cette ordonnance prononcée sur requête unilatérale démontre toute l’importance que revêt le débat contradictoire afin que les droits et libertés en conflit puissent correctement être mis en balance. Sans le contrepoids de la liberté d’expression, c’est la voix de l’atteinte à la réputation commerciale qui a été entendue.
Votre point de vue
skoby Le 6 août 2013 à 18:47
La SNCB et la Justice semblent être aller un peu vite et surtout un peu loin dans leurs mesures et sanctions. Néanmoins ce type de publicité négative me semble abusive et n’est pas en faveur d’une société telle que Nivéa.
C’est un peu façile et augmente encore l’image déjà assez négative de la SNCB.
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Gisèle Tordoir Le 6 août 2013 à 11:28
Visiblement pour la "justice" les intérêts de la "réputation" de la SNCB sont de loin plus importants que le message publicitaire Nivéa qui, même s’il fut un tant soit peu audacieux du fait qu’il a osé faire allusion à la bien réelle situation des retards répétés de la SNCB causant, bien évidemment, des stress aux usagers...Le mal-être pointé par le biais de la pub’ est tellement vrai qu’il dérange... Comme quoi, entre fonctionnaires existe un semblant de "solidarité". C’est difficile d’admettre, même par le biais de l’humour publicitaire, les erreurs bien connues mais qu’il faut impérativement cacher ou diminuer ...La pub’ est un moyen d’expression et dans ce cas précis l’absence de débat contradictoire prouve très clairement l’incapacité de certains(es) à reconnaître les torts occasionnés. La SNCB comme le monde judiciaire a besoin d’un vrai gros coup de sirocco...Du balai, les incompétents...Ah, susceptibilité et censure quand vous nous tenez...
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