Swissair, seule coupable de la faillite de la Sabena ?

par Bénédicte Inghels - 14 février 2011

Le 27 janvier dernier, la Cour d’appel se prononçait sur l’éventuelle implication de Swissair dans le processus ayant mené à la faillite de la Sabena.

Cet arrêt mérite des explications, que Bénédicte Inghels, spécialiste notamment du droit de la faillite, a bien voulu nous fournir.

Lorsqu’une faillite est déclarée, a fortiori si elle touche une entreprise de grande renommée, la tentation est grande de rechercher un coupable, de désigner le responsable des fautes qui ont pu engendrer un désastre social. On le voit aujourd’hui avec l’émoi suscité par le dossier Brink’s. On l’a vu surtout dès l’annonce de la faillite de la Sabena. Les commentateurs de l’époque ont vite identifié un responsable : Swissair.
« Swissair, seul coupable de la faillite de la Sabena », concluaient donc certains observateurs au lendemain du prononcé de l’arrêt de la Cour d’appel du 27 janvier 2011. Seul coupable ? Saga terminée ? Nous n’en sommes pas certain.

Le droit belge dispose d’un arsenal de règles qui lui permet d’appréhender le comportement de dirigeants dont l’attitude fautive a conduit à une faillite. Ainsi, l’article 530 du Code des sociétés autorise-t-il, en cas de faillite de la société et d’insuffisance de l’actif, le curateur ou le créancier lésé à agir en responsabilité contre tout administrateur ou ancien administrateur, ainsi que contre toute personne qui a effectivement détenu le pouvoir de gérer la société. Il appartient dans ce cas au curateur ou au créancier d’apporter la preuve d’une faute grave et caractérisée dans leur chef, faute ayant contribué à la faillite.
Ce n’est pas sur cette base précise que s’est prononcée la Cour d’appel de Bruxelles, dans son arrêt du 27 janvier 2011, ou du moins pas encore.

En réalité, la Cour d’appel ne se prononce pas sur la « faute grave et caractérisée » qu’aurait pu commettre un administrateur ou une personne qui détenait effectivement le pouvoir de gérer la Sabena. Cette question est tenue en suspens car les comportements visés sont aussi susceptibles de constituer une infraction pénale. Or, on le sait, la faillite de la Sabena a donné lieu à l’ouverture d’une enquête pénale. En vertu de l’adage « le criminel tient le civil en l’état », la Cour d’appel a décidé de réserver à statuer en attendant l’issue de la procédure pénale. Concrètement, la Cour d’appel a considéré qu’il existe un risque que deux appréciations, celle d’un juge civil et celle d’un juge correctionnel, soient incompatibles : dans ce cas, le juge civil peut tenir en suspens sa décision.

Par contre, la Cour d’appel a considéré qu’elle pouvait dès à présent se prononcer sur le sort à réserver aux conventions passées entre les sociétés suisses et la Sabena ou ses actionnaires publics.

De manière très succincte et vraiment très simplifiée, retenons qu’en 1995, Swissair et Sabena ont conclu de premiers accords de partenariat. Au début de l’année 2001, alors que la situation financière de la Sabena est difficile, les sociétés suisses se sont engagées à réinvestir dans la société, au travers d’une augmentation de leur participation dans ses filiales et, au milieu de l’été 2001, les Suisses s’engagent en vue d’une augmentation de capital et d’une reprise de commandes de neuf airbus, sans frais pour la Sabena. L’augmentation de capital était prévue en octobre 2001, mais elle n’aura jamais lieu. Dans le courant de l’année 2001, en effet, les déclarations se multiplient et il apparaît que les partenaires suisses ne comptent plus investir dans la Sabena. La suite est connue : l’Etat belge va tenter en catastrophe de trouver d’autres partenaires ; début octobre, les Suisses font part de leurs propres difficultés financières ; une requête en concordat est déposée par la Sabena le 3 octobre 2001 et, finalement, la faillite est prononcée par le tribunal de commerce de Bruxelles le 7 novembre 2001.

Au terme d’un parcours semé d’embuches au niveau de la procédure ¬ la durée de celle-ci en est la preuve ¬, la Cour d’appel de Bruxelles considère que les sociétés suisses n’ont pas posé d’acte positif pour aider à résoudre les problèmes de trésorerie de la Sabena. Elle estime certain que, si l’augmentation de capital prévue le 3 octobre 2001 avait eu lieu et si la Sabena avait pu récupérer ses acomptes pour les avions commandés, elle n’aurait pas été dans une situation financière telle que la faillite était inéluctable et urgente.

Dans ces conditions, la Cour d’appel fait droit à la demande des curateurs et de l’Etat belge, prononce la résolution judiciaire des conventions de 2001 et condamne les sociétés suisses à indemniser l’Etat belge des frais exposés en vue de négocier ces conventions. Au sujet du dommage subi par la Sabena, elle invite les curateurs à détailler le « passif de discontinuité » de la faillite, c’est-à-dire les dettes qui sont nées à l’occasion du jugement déclaratif de faillite.

Ceci veut dire que, demain, après une réouverture des débats (c’est-à-dire la reprise de la procédure) et au terme de la procédure pénale, il y aura d’autres décisions dans ce dossier : le dommage subi par la Sabena doit être précisé, les responsabilités des administrateurs au sens de l’article 530 du Code des sociétés, dont il est question plus haut, seront examinées et, peut être, des responsabilités pénales pourraient encore être dégagées.

Dans ce contexte, la sage judiciaire liée à la faillite de la Sabena est loin d’être clôturée et il est sans doute trop tôt pour dire que la Swissair est seule responsable de la faillite de la Sabena ou que l’Etat belge ou la curatelle trouveront une indemnisation complète.

Votre point de vue

  • MD
    MD Le 29 septembre 2017 à 17:14

    Encore aujourd’hui, cette faillite reste incompréhensible et sans réponses. Le Gouvernement (l’Etat Belge) en poste à cette époque (et bien avant) a-t-il été capable de gérer au mieux les intérêts de la SABENA et de ses collaborateurs (trices) vers une catastrophe sans précédent ? Perso, j’en garde un goût très amer. De toute façon nous ne connaîtrons jamais la vraie histoire de cette dite faillite, politique oblige. Nous voyons ce qui se passe en Belgique avec la mise à jour des scandales de Nethys, du SAMU Social de Bruxelles ou encore de l’Intercommunale de Santé Publique du Pays de Charleroi ( ISPPC) ceci pour corruption & abus et encore bien d’autres faits hors du communs qui ont été mis à jour durant cette année 2017. C’est presque incroyable, mais pourtant bien réel. Mais voilà chut.... on ne se mangent pas entre loups. Nous connaissons à ce jour très peu de choses de ces divers corruptions, manipulations et détournements de biens publics. On nous dit, ce qui peut-être connu par les concitoyens. C’est cela que l’on appelle en Belgique la DEMOCRATIE !!!!!

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