Des libertés en jeu
Les perquisitions et autres visites domiciliaires sont des actes particulièrement attentatoires à la vie privée vu les procédés mis en œuvre et la nature des informations qu’ils permettent de récolter.
Le droit au respect de la vie privée est protégé des ingérences policières et judiciaires abusives par la Convention européenne des droits de l’homme, qui dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
Il ne peut y avoir d’exception à ce principe que pour autant que l’ingérence soit prévue par la loi et qu’elle poursuive un objectif légitime : ainsi, selon l’article 8.2 de cette Convention, la sécurité nationale, la sûreté publique, le bien-être économique du pays, la défense, la protection de la santé ou de la morale ou la protection des droits et libertés d’autrui sont autant de motifs qui pourraient autoriser des exceptions au principe de l’inviolabilité du domicile. La Convention européenne des droits de l’homme exige également que la mesure soit « nécessaire dans une société démocratique », c’est-à-dire qu’elle ne soit pas disproportionnée.
L’ordre juridique interne recèle également de dispositions tendant à garantir l’inviolabilité du domicile et le droit au respect de la vie privée. Ainsi, l’article 15 de la Constitution dispose que « le domicile est inviolable ; aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit ». L’article 22, alinéa 1er, dispose quant à lui que « chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi ».
Les conditions mises à la limitation de l’inviolabilité du domicile et du droit au respect de la vie privée
Une atteinte à l’inviolabilité du domicile ou au respect de la vie privée ne peut donc se concevoir que dans un cas autorisé par la loi (qui elle-même doit respecter les conditions établies par la Convention européenne des droits de l’homme). Par ailleurs, l’autorité qui choisit d’exercer les pouvoirs spéciaux qui lui sont conférés par la loi doit respecter les modalités et formes prévues par celle-ci. Toute ingérence qui ne répondrait pas à ces conditions pourrait mettre en péril les poursuites pénales diligentées sur la base des preuves ainsi récoltées de manière illégale.
S’agissant d’une violation du droit au respect de la vie privée, la Cour européenne des droits de l’homme exige que toute perquisition soit fondée sur une loi claire, précise et prévisible justifiée par un des buts énoncés à l’article 8.2 de la Convention européenne des droits de l’homme (voir ci-dessus). Si les Etats peuvent estimer nécessaire de recourir à certaines mesures, telles les visites domiciliaires pour établir la preuve matérielle de délits et en poursuivre les auteurs, encore faut-il que leur législation et leur pratique en la matière offrent des garanties suffisantes contre les abus (arrêts Funke, Crémieux et Miailhe c. France du 25 février 1993 de la Cour européenne des droits de l’homme ).
Le rôle du juge
La présence d’un juge autorisant ou non les visites domiciliaires est au cœur des préoccupations de la Cour de Strasbourg : en l’absence d’un mandat judiciaire, l’ingérence dans les droits du justiciable n’est en principe pas proportionnée au but légitime recherché par l’Etat.
En Belgique, plusieurs dispositions permettent aux autorités judiciaires et administratives de pratiquer tantôt des perquisitions, tantôt des « visites domiciliaires ».
Le Code d’instruction criminelle pose ainsi les conditions dans lesquelles une perquisition peut avoir lieu. Les perquisitions ne peuvent en principe intervenir que sur base d’une décision d’un juge d’instruction et supposent donc nécessairement un mandat de perquisition. Toutefois, les exceptions légales à ce principe ne font que croître ; on peut citer par exemple l’accès aux lieux ouverts au public, aux lieux notoirement livrés à la débauche ou aux maisons de jeux, les cas de flagrant délit (ou crime) ou le cas de la réquisition ou du consentement de la victime de violences conjugales.
L’ordonnance de perquisition doit être motivée : la personne visitée doit être en mesure de vérifier l’adéquation de la perquisition telle qu’elle est exécutée avec le mandat donné par le juge d’instruction. Pour la Cour européenne des droits de l’homme, l’élément déterminant est que la personne visée par la mesure dispose d’informations suffisantes sur les poursuites se trouvant à l’origine de l’opération pour lui permettre d’en dénoncer les abus dans le cadre d’un recours. Toute perquisition ou visite domiciliaire illégalement prescrite ou exécutée ne produit aucun effet : les juridictions d’instruction devront tenir pour nulles et inexistantes les preuves ainsi recueillies et toutes les preuves récoltées à la suite de la perquisition illégale.
Les lois particulières autorisant l’intervention de l’administration - le rôle du tribunal de police
Parallèlement à ces pouvoirs d’investigation réservés aux infractions pénales, un nombre croissant de dispositions légales autorisent certaines administrations à mener des visites domiciliaires. Il en va ainsi de l’inspection sociale ainsi que des différents départements de l’administration fiscale. Tous les codes fiscaux reconnaissent à l’administration fiscale un certain nombre de pouvoirs de contrôle.
L’administration fiscale dispose d’un droit de visite domiciliaire qui lui permet de réclamer l’accès à tout local ou terrain où une activité est exercée ou présumée exercée. L’habitation privée du contribuable peut également être visitée si l’administration fiscale a des raisons de croire qu’il y exerce l’une ou l’autre activité professionnelle. La loi a toutefois posé des conditions à l’exercice de ce pouvoir d’investigation : s’agissant de lieux habités, les fonctionnaires fiscaux devront avoir été préalablement autorisés par le juge de police à y pénétrer et devront respecter un horaire strict (entre cinq heures du matin et neuf heures du soir).
L’intervention préalable d’un magistrat indépendant et impartial constitue une garantie importante contre les risques d’abus ou d’arbitraire. Le juge de police dispose en la matière d’un large pouvoir d’appréciation afin de déterminer si les circonstances qui lui sont soumises justifient une atteinte au principe constitutionnel de l’inviolabilité du domicile. L’autorisation qu’il délivre est spécifique : elle concerne une enquête précise, une habitation déterminée et ne vaut que pour les personnes au nom desquelles l’autorisation est accordée.
Toutefois, le simple fait que l’autorisation de pénétrer dans les locaux habités soit délivrée par un juge ne peut être considérée comme une garantie suffisante au sens de la Convention européenne des droits de l’homme dès lors que la personne visée par la visite domiciliaire qui ignore à ce stade l’existence de cette mesure ne peut se faire entendre. En effet la procédure n’est pas contradictoire : lorsque l’administration sollicite du juge de police une autorisation de visite domiciliaire, elle fait parfois oralement état de faits et documents qui ne sont pas consignés dans le dossier de procédure.
Lorsque l’autorisation du juge de police est donnée sans communication de documents ni explications verbales ou motivation circonstanciée ou si elle ne se fonde que sur des explications verbales non jointes au dossier, un tel procédé rend impossible tout contrôle a posteriori de la légalité de la procédure et de l’autorisation donnée.
En outre, à la différence de la perquisition autorisée par un juge d’instruction, l’autorisation de visite domiciliaire accordée par le juge de police n’est pas susceptible de recours. En d’autres termes, l’autorisation de visite domiciliaire ne peut être contrôlée par un autre juge.
Le principe du contradictoire et l’exigence de motivation
Ces spécificités procédurales ont été pointées du doigt par la Cour constitutionnelle (arrêt n° 10/2011 du 27 janvier 2011 ), qui y a vu une atteinte disproportionnée aux droits de la défense. Les documents et déclarations sur lesquels se fonde le juge de police pour donner l’autorisation de pénétrer dans les locaux doivent être soumis au principe du contradictoire (garanti par l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme). Ce principe implique le droit pour les parties de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée devant le juge et d’en discuter. Il faut donc en conclure que les droits de la défense seraient restreints de manière disproportionnée si les documents et déclarations sur lesquelles est fondée l’autorisation du juge de police de pénétrer dans les locaux habités n’apparaissaient pas dans le dossier et étaient ainsi entièrement soustraits au principe du contradictoire.
Par ailleurs, le simple fait que l’autorisation de pénétrer dans les locaux habités soit délivrée par un juge ne peut être considérée comme une garantie suffisante au sens de l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme dès lors que la personne visée par la visite domiciliaire – qui ignore à ce stade la demande qui l’a vise – ne peut se faire entendre. Rendre le débat contradictoire à ce stade risquerait évidemment de rendre toute visite domiciliaire infructueuse. Toutefois, un contrôle juridictionnel a posteriori de l’autorisation donnée par le juge de police doit être possible, à peine de violer l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme et la Constitution.
Enfin, le contrôle juridictionnel effectif de l’autorisation de procéder à une visite domiciliaire et l’exercice effectif des droits de la défense impose que le juge de police motive l’autorisation qu’il donne. Il convient également que les modalités qu’il a fixées figurent dans la motivation de l’autorisation.
Et maintenant ?
On ignore si le Gouvernement persistera dans la voie proposée par le secrétaire d’Etat. A l’heure actuelle, il semble que la proposition du secrétaire d’Etat ne soit déjà plus d’actualité… Il n’empêche que la volonté ouvertement affichée du Gouvernement de faire la chasse aux abus en tous sens ramènera peut-être le sujet sous les projecteurs. Dans le climat actuel, la tentation est grande de confier à l’administration de nouveaux pouvoirs d’investigation et de poursuite.
Or, permettre à l’administration de procéder à des perquisitions sans aucun contrôle judiciaire poserait évidemment la question de sa conformité à la Convention européenne des droits de l’homme. L’inviolabilité du domicile et le droit à un procès équitable sont des principes garantis et protégés.
Une telle mesure se heurterait immanquablement aux contours dessinés tant par la Cour européenne des droits de l’homme que par la Cour constitutionnelle : les deux instances placent en effet l’intervention préalable d’un magistrat indépendant et impartial au cœur du système de garantie d’un procès équitable. En outre, une comme on l’a vu ci-dessus, l’intervention d’un magistrat impartial et indépendant n’est pas en elle-même suffisante. La procédure doit aussi permettre un recours a posteriori et un débat contradictoire. Pour ce faire, les documents et éléments dont il a été fait mention devant le juge donnant l’autorisation doivent être conservés dans le dossier de procédure.
Votre point de vue
justice-en-ligne.be Le 11 décembre 2012 à 18:11
En réponse au message du 10 novembre dernier de "Musashi", l’attention est attirée sur le fait que certaines lois, qui ont fait la balance entre la protection des libertés et la poursuite de l’intérêt général, n’imposent pas l’intervention d’un juge avant une visite tendant à vérifier par exemple les déclarations des intéressés mais que la tendance est certainement dans le sens de l’affirmation des garanties juridictionnelles.
Pour le reste, une réponse plus large à la question posée nécessiterait de prendre connaissance des circonstances précises évoquées par notre correspondant, ce qui nous conduirait à une consultation particulière et qui n’entre pas dans l’objet de notre site.
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