Un internaute nous interroge : s’il avait été actionnaire de Fortis, le juge d’appel devait-il se déporter ?
Christine Matray répond.

Notre site n’a pas vocation à trancher des cas d’espèce mais la question est intéressante. Elle est l’occasion d’un résumé des principes à mettre en œuvre dans des situations comparables.

1. Le droit.

Lorsque qu’un juge siège dans un litige alors qu’une des parties est une société dont il détient des actions, la procédure est-elle régulière ?

Tout dépend des circonstances.

Pour qu’un procès soit régulier, il faut qu’il se déroule de manière « équitable », c’est-à-dire, notamment, que les parties se trouvent à égalité devant un juge impartial, subjectivement (en son for intérieur) et objectivement (en apparence). C’est une exigence de la Convention européenne des droits de l’homme mais aussi des principes généraux du droit belge qui contiennent parfois des exigences encore plus strictes.

Cette impartialité est elle-même tributaire, notamment, de ce que le juge n’ait aucun intérêt personnel à la solution du litige. Ceci mérite toutefois une approche nuancée.

On n’exigera pas du juge qu’il se déporte dans toutes les affaires où, par exemple, sa banque, sa compagnie d’assurance ou l’Etat belge (dont il tient pourtant sa rémunération) sont en cause. Mais dans une affaire où des actionnaires sont en procès avec des tiers, on pourrait comprendre le malaise de ceux-ci, voire des actionnaires eux-mêmes, s’il apparaissait que le juge détient des actions.

En cas de suspicion légitime, le Code judiciaire organise deux procédures :

 la récusation (articles 828 à 842), qui suppose l’intervention d’un avocat inscrit depuis plus de dix ans au barreau et le dépôt d’une requête au greffe de la juridiction concernée ; elle est jugée par le président du tribunal ou le premier président de la cour d’appel.

 le dessaisissement (articles 648 à 659), qui suppose également l’intervention d’un avocat mais qui est introduite par le dépôt d’une requête au greffe de la Cour de cassation ; c’est celle-ci qui examinera elle-même l’affaire.

Dans les deux cas, le juge concerné doit faire une déclaration écrite pour dire s’il accepte ou s’il refuse de s’abstenir de siéger et la procédure est suspendue jusqu’à la décision sur la demande de récusation ou de dessaisissement, qui intervient dans des délais extrêmement courts
Les parties requérantes en récusation ou en dessaisissement ne devront pas démontrer le préjugé du juge pour telle ou telle thèse. Il suffit qu’elles établissent la légitimité de leur malaise, compte tenu des circonstances.
L’intérêt direct du juge à la solution du litige, fût-il indéterminé, pourrait constituer un critère d’appréciation.

2. La déontologie

Il est inconcevable, dans la déontologie du magistrat, que, connaissant une cause de récusation dans son chef, il ne prenne pas l’initiative de s’abstenir de siéger. L’article 831 du Code judiciaire le prévoit d’ailleurs expressément : Tout juge qui sait cause de récusation en sa personne est tenu de s’abstenir. La transgression de cette règle pourrait, le cas échéant, justifier l’ouverture d’une procédure disciplinaire.

Jamais, en pratique, on ne demande au magistrat de justifier des raisons qui le contraignent à se déporter. A quoi bon révéler que l’on connaît tel ou tel fait de la vie privée des gens, que l’on a été sottement approché par un plaideur maladroit, ou que l’on a partie liée avec untel ? L’institution judiciaire doit compter sur la loyauté de ceux qui la composent. C’est ce que l’on appelle la culture professionnelle. Ce n’est donc pas la menace d’une sanction qui est le moteur essentiel de la droiture du juge. C’est sa concience professionnelle.

A la suite d’une réflexion entamée par l’Institut des études sur la Justice, dont dépend www.justice-en-ligne.be, le Conseil supérieur de la Justice a lui-même ouvert un intéressant chantier. Dans toutes les cours d’appel du pays, des ateliers de déontologie se sont tenus pour déboucher sur un colloque en mai 2008. Le devoir d’abstention y a été largement abordé. Les magistrats n’y seront jamais assez attentifs.

Votre point de vue

  • Stéphanie Tessier
    Stéphanie Tessier Le 20 juin 2010 à 20:50

    Impartialité des juges

    Pour que justice soit rendue, il faut qu’il y ait apparence de justice. Malheureusement, le mot apparence suppose que la justice ne soit évidemment pas obligatoirement rendue. Ainsi, les juges ont une certaine latitude pour porter un jugement sur les causes entendues. Il y a naturellement, la loi et la jurisprudence pour encadrer leur jugement, mais leurs propres croyances et valeurs interviennent lorsqu’ils prennent une décision. Dans les causes de première instance où un seul juge se prononce dans une cause, il est évident que seul son propre système de croyances et sa propre mécanique intellectuelle vont peser sur le jugement à porter. Pour qu’il y ait une révision du jugement rendu, il faut qu’il y ait une erreur de grande importance qui ferait en sorte que justice ne soit apparemment pas rendue. Les critères pour en appeler d’une cause sont sévères pour ne pas nuire au bon fonctionnement de l’appareil judiciaire et pour faire en sorte que le jugement rendu par les juges soit respecté. Néanmoins, dans les causes ou interviennent des valeurs spirituelles ou religieuses qui peuvent influencer le jugement rendu, la difficulté de rendre un jugement en étant complètement impartial est quasiment impossible. Et jusqu’à quel moment peut-on considérer qu’un jugement est juste ? Il nous apparaît crucial qu’il faille distinguer de façon claire ce qui est juste et ce qu’est l’impartialité.

    • Franco Vitiello
      Franco Vitiello Le 22 mars 2020 à 17:17

      Bonjours,
      Les faits sont les faits de conséquence la mécanique intellectuelle doit suivre la loi prévue pour ces faits.
      La décision du juge est extrêmement cadré par la loi notamment en ce qui concerne le droit des contrats fussent-ils un bail. Faire croire le contraire revient à créer une sorte de puissance du juge qui ne peut, ne doit être. La seule puissance c’est celle de la loi. Mais on comprend que juristes et juges sont des acolytes qui veulent se donner le pouvoir de Maître ... Maître à noyer le poisson, à poison dont chacun en retire un fric juteux soit en terme de salaires ou d’honoraires. D’ailleurs la tradition nobiliaire avec quelques gueux prétendument émancipés entretien cette relation de Maître à Gueux.
      Dire "ll est évident que son (le juge) propre système de croyances et sa propre mécanique intellectuelle vont peser sur le jugement à porter" est une hérésie même si on comprend qu’il y a toujours un résidu d’interprétation, l’incompressible substance.
      Votre approche est fallacieuse car c’est manifestement l’inverse qui est et doit être c’est à dire que l’interprétation du juge doit resté marginale au regard des normes législatives et de l’esprit de la loi.

    Répondre à ce message

  • Benjamin Docquir
    Benjamin Docquir Le 29 avril 2009 à 15:42

    Merci pour votre initiative et pour cette information claire.

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