« Aïcha » n’est finalement pas une contrefaçon de « For ever »

par Diane Loyseau de Grandmaison - 10 avril 2023

Qu’est-ce qu’une œuvre musicale originale ? La question est importante, car c’est sur la base de ce critère d’originalité que le droit d’auteur s’applique et protège une œuvre des contrefaçons.
Une saga judiciaire, qui s’est terminée en France en octobre 2022, autour de la chanson « Aïcha », écrite par Jean-Jacques Goldmann et chantée par Khaled, illustre les difficultés d’application de cette règle.
Diane Loyseau de Grandmaison, avocat au barreau de Paris, membre de l’Institut Art et Droit, nous en dit plus.

1. Aïcha est le titre d’une célèbre chanson, composée par Jean-Jacques Goldman, pour le chanteur Khaled, qui connut un grand succès dès sa sortie en 1996.
Mais, en 2008, un certain Jeff Léo a prétendu qu’elle constituerait la contrefaçon de sa composition musicale créée en 1993 et intitulée For ever, dont il avait cédé les droits d’exploitation à un éditeur belge, la société Universyn Music Publishing.
S’en suivit une véritable saga judiciaire de plus de dix ans, alimentée par plusieurs expertises musicales, visant à déterminer si la composition créée par Jeff Léo était suffisamment originale pour être protégée par le droit d’auteur et, dans l’affirmative, si les éléments caractéristiques de cette originalité avaient été repris ou non dans la composition du titre Aïcha.

2. Les juridictions successivement saisies ont analysé de façon intéressante les critères d’appréciation de l’originalité d’une œuvre et de sa contrefaçon.
En application du droit français et du droit de l’Union européenne notamment, l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit, sur son œuvre, d’un droit d’auteur opposable à tous, du seul fait de sa création et sans formalité, à la condition que son œuvre soit suffisamment originale.
Une œuvre sera ainsi protégée si son auteur peut démontrer qu’elle reflète l’empreinte de sa personnalité, c’est-à-dire sa pensée, sous une forme tangible, au travers de choix libres et créatifs qui lui sont propres (CJUE, 12 décembre 2019, C 683/17, Cofemel, pts 30, 32, 35). Et une œuvre protégée par le droit d’auteur ne peut pas être reproduite ni représentée, en tout ou partie, sans l’autorisation de son auteur. À défaut, il s’agit d’une contrefaçon.

3. Par un jugement du 18 novembre 2011, le Tribunal de Grande Instance de Paris (n° 08/13451) a donc jugé que seize mesures de deux couplets de la composition musicale Aïcha constituaient des reprises non autorisées de l’œuvre For ever et caractérisaient la contrefaçon.
Puis, la Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 20 septembre 2013 (n° 11/22947), a au contraire jugé, au regard de la structure harmonique des compositions, que l’œuvre musicale For ever reprenait des éléments connus et n’était donc pas suffisamment originale pour être protégée par le droit d’auteur, ce qui excluait toute contrefaçon.

4. Saisie par Jeff Léo, la Cour de cassation, par un arrêt du 30 septembre 2015 (1ère chambre civile, n° 14 11.944), a cassé cette décision, considérant que la Cour d’appel aurait dû apprécier l’originalité de la composition For ever dans son ensemble. En effet, même composée d’éléments qui, individuellement, ne sont pas originaux, une œuvre combinant des éléments connus de façon originale et reflétant ainsi l’empreinte de la personnalité de son auteur, peut être originale.

5. Ensuite, par un arrêt du 21 avril 2020, la Cour d’appel de Versailles (1ère chambre 1ère section. n° 16/00766) a finalement reconnu l’originalité et la protection par le droit d’auteur de l’œuvre For ever et ses très fortes similitudes avec l’œuvre Aïcha, susceptibles de caractériser la contrefaçon des droits de Jeff Léo par Jean-Jacques Goldman.
La Cour n’a cependant prononcé aucune condamnation, appliquant la théorie de la rencontre fortuite, selon laquelle la contrefaçon peut être écartée si celui qui la conteste démontre qu’il n’a matériellement pas pu connaitre l’œuvre dont la contrefaçon lui est reprochée et que les similitudes entre les deux œuvres comparées procèdent donc du pur hasard.

6. Par un arrêt du 5 octobre 2022 clôturant définitivement cette affaire, la Cour de cassation (1ère chambre civile, n°20 23.629) a validé cette appréciation fondée sur cette théorie de la rencontre fortuite, pourtant assez rarement retenue par la jurisprudence.

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