Cherchez l’auteur… du concepteur à l’exécutant : l’affaire Daniel Druet c. Maurizio Cattelan

par Diane Loyseau de Grandmaison - 15 février 2023

Dans les métiers de l’art, le concepteur de l’œuvre n’est pas toujours son exécutant. Mais qui est alors le véritable créateur protégé par le droit d’auteur ? La question s’est posée en France autour de sculptures conçues par Maurizio Cattelan mais exécutées par Daniel Druet.
Le Tribunal judiciaire de Pais, saisi de ce litige, ne l’a pas vraiment tranché mais il a donné quelques lignes de conduite en la matière pour d’autres cas.
Diane Loyseau de Grandmaison, avocat au barreau de Paris, membre de l’Institut Art et Droit, nous l’explique.

1. De Michel-Ange à Rodin, tous les grands artistes ont su s’entourer d’élèves et collaborateurs talentueux, qui participaient pleinement à la réalisation d’œuvres de Maîtres, sans toutefois s’en considérer auteurs ni revendiquer les droits et privilèges attachés à ce statut.
Cette tradition se perpétue encore aujourd’hui, notamment chez les artistes contemporains prolifiques à succès, mais il arrive plus souvent que leurs collaborateurs entendent bénéficier pleinement du succès des œuvres auxquelles ils ont participé.
Le droit d’auteur leur offre cette possibilité, puisqu’il garantit aux auteurs d’œuvres de l’esprit originales des droits moraux, tels que le droit au respect de leur nom, de leur qualité et de leur œuvre, ainsi que des droits patrimoniaux, qui leur permettent d’autoriser ou d’interdire les exploitations de leurs œuvres et d’en tirer profit en proportion de leur succès.

2. C’est dans ce contexte que Daniel Druet, talentueux artiste ayant sculpté de nombreux bustes en cire exposés au Musée Grévin à Paris, a demandé au Tribunal judiciaire de Paris de le déclarer seul auteur de plusieurs œuvres d’art contemporain vendues sous le nom du célèbre artiste italien Maurizio Cattelan, mais composées de bustes que Daniel Druet avait sculptés.
Ces œuvres, dont les mises en scène provocatrices avaient été imaginées par Maurizio Cattelan, et dont l’exécution avait été confiée à Daniel Druet, ont connu un immense succès international.
À titre d’exemple, l’œuvre intitulée « Him » représentait Adolphe Hitler en repentant, à genoux en train de prier, et l’œuvre « La Nona Ora » représentait le pape Jean-Paul II écrasé par une météorite.

3. Pour trancher ce litige, le Tribunal judiciaire de Paris devait donc déterminer qui, du concepteur des œuvres, Maurizio Cattelan, qui les avait imaginées et en avait conçu les mises en scène dans une configuration singulière, ou de son exécutant, Daniel Druet, qui en avait sculpté les bustes, devait en être considéré comme l’auteur ?
Par jugement du 8 juillet 2022, le Tribunal judiciaire de Paris (TJ Paris, 3ème chambre, 2ème section, RÈGLE 18/05382) n’apportait pas de réponse tranchée à cette question puisqu’il déclarait les demandes de Daniel Druet irrecevables mais pour des raisons purement procédurales.
Toutefois, le Tribunal retraçait le cheminement intellectuel à emprunter pour répondre à cette question en rappelant une décision de la Cour de justice de l’Union Européenne selon laquelle « la notion d’œuvre suppose l’existence d’un objet original, création intellectuelle propre à son auteur dont elle reflète la personnalité au travers de choix libres et créatifs, qui soit identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité, excluant les sensations intrinsèquement subjectives » (CJUE, 12 décembre 2019, C 683/17, Cofemel, pts 30, 32 et 35).
Cela signifie que l’auteur de toute œuvre originale, qui exprime sa pensée sous une forme tangible, au travers de choix libres et créatifs propres à son auteur et qui imprègnent ainsi son œuvre de l’empreinte de sa personnalité, peut bénéficier de la protection du droit d’auteur, du seul fait de sa création et sans autre formalité.
En revanche, si l’œuvre a été réalisée sous le contrôle et les directives d’un tiers, de sorte qu’elle ne reflète que la personnalité du tiers qui l’a conçue et en a dirigé l’exécution, et non celle de son exécutant, ce dernier ne peut pas revendiquer de droits d’auteur.

Votre message

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Votre message

Les messages sont limités à 1500 caractères (espaces compris).

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)

Ajouter un document

Avec le soutien de la Caisse de prévoyance des avocats, des huissiers de justice et des autres indépendants
Pour placer ici votre logo, contactez-nous