Au Palais de Justice de Bruxelles, un plafond s’écroule, un de plus…

par Jean-Pierre Buyle - 7 janvier 2019

Voici quelques semaines, un plafond s’est effondré dans une salle de la Cour de cassation au Palais de Justice de Bruxelles. Ce n’est pas le premier événement du genre.

Jean-Pierre Buyle, président de l’Ordre des barreaux francophones et germanophone et administrateur de la Fondation Poelaert, a livré au Journal des Tribunaux les réflexions que ce nouvel incident lui inspire. Cette revue a très aimablement accepté que Justice-en-ligne reproduise, ci-dessous, cet article. Me Georges-Albert Dal, son rédacteur en chef, et Jean-Pierre Buyle en sont ici vivement remerciés.

Au-delà de l’événement, l’article fait le point sur l’état actuel des réflexions et des projets sur l’avenir du Palais de Justice.

Au palais de justice, on est habitués. Depuis tant d’années. Les pierres se détachent des façades et tombent à l’extérieur. Pour éviter le pire, on a placé des barrières Nadar le long du bâtiment, de quoi éloigner les piétons et les voitures.

À l’intérieur, il pleut : tantôt des filets d’eau à la bibliothèque des avocats, tantôt des cascades de Coo dans la salle des pas perdus, tantôt des chutes de Niagara à la salle solennelle de la Cour de cassation. Des champignons envahissent des bureaux. Des sols s’effondrent à la salle des archives de l’état civil au sous-sol ou dans le couloir de la cour d’appel au premier étage.

Chaque année, des plafonds ou des morceaux de plafond s’écroulent. Tantôt au secrétariat de l’Ordre du barreau, tantôt au centre de technologies, tantôt dans une salle d’audience de la cour d’appel...

On comprend pourquoi en 2015, deux organisations internationales (l’O.N.G. World Monuments Fund établie à New York et Terra Nostra située à Paris) ont classé le palais Poelaert parmi les monuments et sites les plus menacés du monde. Ces institutions avaient exigé du gouvernement belge de ne pas laisser le bâtiment se dégrader plus avant.

À la rentrée judiciaire, c’est dans une ancienne salle d’audience de la Cour de cassation, reconvertie en greffe, que les plâtres et les moulures du plafond se sont effondrés sous le poids de l’eau. Heureusement, ces incidents n’ont, jusqu’ici, fait aucune victime et aucun blessé. Mais la veille de cet effondrement, un autre incident était intervenu dans une salle où sont entreposés des dossiers pénaux néerlandophones de la cour d’appel. Une armoire métallique, fixée au plafond, s’est écroulée. Elle a entraîné dans sa chute d’autres armoires. Deux collaborateurs ont été blessés.

À chaque fois, il n’y a aucun responsable. C’est la faute au manque de moyens (en 2014, les crédits pour dégâts locatifs du palais de justice étaient budgétisés à 500 euros (J.T., 2014, p. 626) et on invoque la fatalité. À chaque fois, on referme le dossier dans une certaine indifférence et on attend d’ouvrir le suivant. Comme l’immeuble est classé, qu’il faut respecter les procédures de marché public et qu’il y a une insuffisance de personnel criante, les réparations prennent un temps considérable voire ne se font pas du tout ou partiellement. On sécurise mais les ors et les stucs endommagés ne sont pas remplacés. Après le nouvel accident au greffe de la Cour de cassation, la salle a été condamnée. Par défaut... En attendant...

Et pourtant, début août, un constat d’humidité important avait été dressé dans ladite salle. On a fermé les yeux. Vacances judiciaires obligent, sans doute. Si l’effondrement d’un plafond est généralement soudain et brutal, des signes d’alerte sont souvent visibles bien avant que l’incident ne survienne... La Régie des bâtiments a du mal à faire face à trop de réalité.

Tout lui est inconfort, dans ses habits budgétaires trop étriqués par le gouvernement ou par les pouvoirs publics.

Où est donc le problème ? Dans le cas présent, la toiture venait d’être rénovée. Mais à la suite de gros orages et de la présence de feuilles dans les gouttières, l’eau ne s’est pas écoulée comme il fallait. Il devait y avoir 40 à 50 cm d’eau qui ont cherché un autre chemin d’évacuation.

Alors, qui est le responsable ? Il existe certes un comité de maintenance où sont représentées la Régie, la justice et une entreprise choisie et liée par un contrat global d’entretien. Faut-il revoir et adapter ce contrat ? Faut-il prévoir un contrôle plus efficient ? Probablement. Ne faut-il pas aussi reposer la question du retour d’un conservateur au palais ?

Tout ceci traduit en tous les cas une fois de plus un manque d’entretien et d’investissement au sein de l’édifice bruxellois. Bien sûr, on nous annonce une restauration complète pour 2040. Bien sûr, ici et là on fait quelques travaux : on établit un plan d’évacuation en cas d’incendie, on réalise un accès sécurisé à l’entrée (scanstraat), des salles sécurisées pour la chaîne pénale (box-in-the-box en cours de réalisation au -1, durée prévue : deux ans). Bien sûr, la Régie est sous-financée et consacre déjà un tiers de son budget au palais de justice. Mais faut-il attendre encore 20 ans pour que la situation globale s’améliore, alors que quasi partout en Flandre et en Wallonie on a construit des nouveaux palais et restauré d’anciens ?

Les palais de justice ne sont pas égaux. Certains revivent, d’autres agonisent. Pour donner deux exemples, on a investi 320 millions à Anvers et on annonce 85 millions à Namur alors que pour Bruxelles, on cite généralement le chiffre de de 100 à 150 millions pour la restauration. Et alors que ce palais est en partie vide et qu’on paie 20 millions de loyer pour occuper d’autres bâtiments appartenant au privé, tout autour de la place Poelaert (Montesquieu, Portalis, Themis, Régence...).

Un sondage d’opinion publié cet été montre que 71 % des Bruxellois et près de la moitié des Belges veulent une restauration d’urgence (sic) de ce palais. On ne peut pas dire que les citoyens seront entendus de sitôt.

En 2011, le barreau de Bruxelles a créé la fondation Poelaert, en réaction au concours d’idées Brussels Court House : imagine the future the future que le gouvernement avait organisé à l’occasion de la présidence belge de l’Union européenne. L’hypothèse de départ de ce prix était biaisée. On partait de l’idée qu’il fallait rentabiliser ce palais et que son avenir passait par une affectation soit non-justice soit en partie justice. À la suite de ce concours, le gouvernement décidait de sortir la chaîne pénale du palais et de réfléchir à une affectation non judiciaire et commerciale du socle. Un investisseur privé avait même déposé à la ville de même déposé à la ville de Bruxelles un projet de construction d’un tout nouveau palais rue de la Régence, pour 360 millions.

La fondation Poelaert s’est opposée à ces initiatives. Elle a été entendue. Le 8 décembre 2016, le gouvernement est revenu sur sa décision. Il a décidé que le palais serait affecté à la justice et que la chaîne correctionnelle y resterait. La fondation a élaboré les principes d’un master plan ambitieux et visionnaire pour l’ensemble du campus Poelaert et une justice pour le XXIe siècle (www.poelaert.brussels ; « Justice pour le palais, un campus Poelaert pour le justiciable », Éditions Filipson, 2015). Elle l’a remis aux différentes autorités concernées. Son action a été couronnée par la remise du prix de l’association Quartier des Arts à la fin de l’année 2017. Elle prépare actuellement un mémorandum en vue des élections fédérales et régionales de 2019.

En novembre 2018, la fondation publiera un livre de combat, Demain, le palais de justice. Il contient 50 dessins originaux réalisés par des artistes majeurs belges, mettant en scène le palais Poelaert tel qu’il pourrait être à la fin de ce siècle, quand il aura 200 ans. Ce livre est un manifeste qui doit aider à sauver ce bâtiment hors normes et hors temps. Pour lui redonner une fierté et le sortir du sarcophage d’échafaudages qui l’asphyxie.

Mots-clés associés à cet article : Urbanisme, Architecture, Fondation Poelaert, Palais de Justice de Bruxelles,

Votre point de vue

  • skoby
    skoby Le 8 janvier 2019 à 12:33

    Je n’ai pas d’autre mot que "lamentable".
    On a décidé de sauvegarder ce palais, il y a déjà pas mal d’années mais on n’y
    met pas les moyens nécessaires.
    Si on faisait un classement par pays, au niveau organisation politique je pense
    que nous serions à l’avant-dernière place juste avant le Vénézuela !

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Jean-Pierre Buyle


Auteur

Ancien bâtonnier de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles
Président de l’Ordre des barreaux francophones et germanophone (avocat.be)
Administrateur de la Fondation Poelaert

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