Au nom de la justice internationale, vous êtes en état d’arrestation !

La Cour pénale internationale délivre des mandats d’arrêt à l’encontre de dirigeants de l’État d’Israël et du Hamas

par Anne-Charlotte Baron - 3 décembre 2024

Le 21 novembre 2024, la Cour pénale internationale (CPI) a émis des mandats d’arrêt à l’encontre de deux membres du gouvernement israélien et d’un dirigeant du Hamas à la suite de la demande de Procureur de la Cour. Quelle procédure va dorénavant s’en suivre ? Quelles sont les obligations qui en découlent pour les États membres de la Cour ?
Anne-Charlotte Baron, chercheuse en droit international à la Chaire de droit de l’École Royale Militaire, nous fournit les premiers éléments de réponse.

L’émission de mandats d’arrêt par la Cour pénale internationale à la suite d’une demande du Procureur

1. Le 20 mai 2024, le Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a demandé à la Cour de décerner des mandats d’arrêt à l’encontre du Premier ministre israélien Benyamin Néthanyahou, de l’ex-ministre israélien de la Défense Yoav Gallant, et du chef de la branche armée du Hamas Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri, plus connu sous le nom de Deif. Justice-en-ligne y a fait écho dans l’article suivant de Christophe Deprez : « La Cour pénale internationale et la perspective de mandats d’arrêt à l’encontre de dirigeants de l’État d’Israël et du Hamas ».

2. Ces hauts responsables sont suspectés d’avoir commis, depuis au moins le 7 octobre 2023, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre dans le contexte du conflit impliquant l’État de Palestine, l’État d’Israël et le Hamas.
Le Procureur avait également introduit une requête pour que la Cour délivre des mandats d’arrêt vis-à-vis de deux autres chefs du Hamas, mais il a abandonné sa demande à la suite de l’annonce de leur décès.

3. La Cour pénale internationale a maintenant déterminé qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les trois personnes visées ont commis des crimes relevant de sa compétence. Elle a ainsi délivré des mandats d’arrêt à leur égard pour des accusations de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre.

Le rejet par la Cour des deux contestations soulevées par Israël

4. En septembre 2024, Israël a présenté à la Cour deux contestations fondées sur des règles du Statut de Rome, traité fondateur de la Cour pénale internationale.
D’une part, Israël contestait la compétence de la Cour à intervenir dans le conflit. D’autre part, Israël souhaitait que le Procureur lui adresse une nouvelle notification de l’ouverture de l’enquête.

5. En ce qui concerne la première contestation, il est vrai qu’Israël n’est pas un État membre de la Cour, n’ayant pas ratifié le Statut de Rome, le traité international signé dans la capitale italienne le 17 juillet 1998 créant la Cour pénale internationale.
Toutefois, comme cela a déjà développé dans un précédent article (Christophe Deprez, « La Cour pénale internationale et la perspective de mandats d’arrêt à l’encontre de dirigeants de l’État d’Israël et du Hamas »), il n’est pas nécessaire qu’un État accepte la compétence de la Cour pénale internationale pour qu’elle intervienne dans un conflit : la Cour peut pertinemment connaitre de la question sur la base de la compétence territoriale, c’est-à-dire si les crimes ont été commis sur le territoire d’un de ses États membres. La Palestine étant un État membre de la CPI depuis le 1er avril 2015, la Cour peut, de cette façon, valablement se pencher sur le conflit.

6. De même, il faut savoir qu’un État peut contester la compétence de la Cour, mais seulement après qu’un mandat d’arrêt ait été décerné.
Dans le cas d’Israël, la contestation a été formulée avant que les mandats d’arrêt ne soient émis.
La contestation d’Israël était ainsi prématurée.

7. Par rapport à la seconde contestation, le Statut de Rome prévoit effectivement que, lorsqu’un État membre s’adresse au Procureur et porte à sa connaissance une situation dans laquelle un ou plusieurs crimes paraissent avoir été commis, le Procureur, s’il estime qu’il y a une base raisonnable pour ouvrir une enquête, doit le notifier aux États membres et aux États concernés.
Dans le cadre du conflit dans l’État de Palestine, le Procureur avait déjà notifié l’ouverture d’une enquête à Israël en 2021. À l’époque, Israël avait choisi de ne pas demander le report de l’enquête. La Cour a observé qu’aucun paramètre de l’enquête n’a changé et qu’une nouvelle notification ne semblait dès lors pas nécessaire.

Les implications de la délivrance de ces mandats d’arrêt

8. L’émission de mandats d’arrêt par la Cour pénale internationale a des conséquences pour les États qui en sont membres. En effet, la Cour ne dispose pas de force de police qui lui est propre : ce sont les États qui sont en quelque sorte les bras de la Cour et qui agissent pour elle.

9. En délivrant des mandats d’arrêt, la Cour peut demander l’arrestation provisoire ou bien l’arrestation et la remise des personnes concernées. Il revient à ses États membres d’arrêter les intéressés et de les remettre à la Cour s’ils devaient se trouver sur leur territoire.
Néanmoins, tout cela n’est pas si évident, tant sur le plan factuel que juridique. Effectivement, les hauts responsables de gouvernements bénéficient en principe d’une immunité. Certains États parties au Statut, comme la Hongrie, ont déjà indiqué qu’ils ne donneront pas suite aux demandes de la Cour en ce qui concerne l’arrestation de Benyamin Néthanyahou, alors que d’autres États, comme la France, ont établi que les immunités de chefs d’États non parties à Cour devaient être respectées. La Cour pénale internationale a pourtant déjà soutenu que cette immunité ne s’applique pas dans les relations entre un État et une juridiction internationale comme la CPI ; il est à nouveau renvoyé sur ce point à l’article précité de Christophe Deprez.

10. Le Statut de Rome contient les règles de mise en œuvre de l’arrestation et de la remise que les États membres doivent suivre.
Ceux-ci doivent agir conformément à leur procédure d’arrestation nationale et à celle prévue par le Statut. Les personnes arrêtées doivent alors être déférées vers un État de détention.
Cet État de détention a l’obligation de vérifier lui-même que les mandats visent bien ces personnes, qu’elles ont été arrêtées selon la procédure régulière et, enfin, que leurs droits ont été respectés.
Une fois ces mesures vérifiées, la remise à la Cour peut avoir lieu.

11. La raison de l’obligation de remise des individus suspectés vient du fait que le procès devant la Cour pénale internationale doit en principe se dérouler en la présence des personnes concernées. Les mandats d’arrêt ont pour objectif ultime de s’assurer que les personnes suspectées seront bien présentes devant la Cour lorsqu’une audience se tiendra pour décider de leur culpabilité.
En effet, aucune décision n’a actuellement été prise sur le fond de l’affaire en question. Les personnes visées par les mandats d’arrêt n’ont, à ce stade, pas encore été reconnues coupables et n’ont pas encore été condamnées.

Votre point de vue

  • Amandine
    Amandine Le 4 décembre 2024 à 17:27

    Merci beaucoup pour cet article.
    Il y avait également deux autres membres du Hamas contre lesquels un mandat d’arrêt avait été requis, mais entretemps ils ont été tous deux l’objet d’assassinats ciblés par Israël (avec les victimes collatérales qu’on oublie généralement de citer). Et selon Israël, le troisième membre du Hamas, M. Mohamed Diab Ibrahim Al Mawasi serait mort à Rafah, le 13 juillet 2024.
    Les Etats-Unis ne vont sans doute pas donner suite, eux non plus, au mandat de la Cour en ce qui concerne les deux dirigeants israéliens - ils font partie des états qui continuent à fournir les armes utilisées par Israël pour commettre ces délits.
    Merci donc à la Cour Pénale Internationale, pour tout ce travail. Mais hélas, faute de collaboration des états, parties ou non au Statut, ces mandats d’arrêt resteront lettre morte et massacres et destructions, se poursuivront, à Gaza, en Cisjordanie, au Liban, et maintenant en Syrie, malgré les nombreuses manifestations qui se sont déroulées dans un grand nombre de pays.

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Anne-Charlotte Baron


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Chercheuse en droit international à la Chaire de droit de l’École Royale Militaire

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