Condamnation provisoire du Covid Safe Ticket wallon par le juge des référés de Namur !

par David Renders - 28 décembre 2021

Après diverses décisions rendues par la justice au sujet d’arrêtés pris par la Ministre de l’Intérieur pour combattre la pandémie de Covid-19, c’est à présent le Covid Safe Ticket qui est attaqué.

Le 30 novembre dernier, le Tribunal de première instance de Namur, siégeant en référé, a jugé qu’à première vue, deux décrets de la Région wallonne organisant le Covid Safe Ticket applicable en Wallonie étaient irréguliers.

Le Tribunal condamne la Région wallonne « à prendre toutes les mesures qu’elle estimera appropriées pour mettre un terme à cette situation d’illégalité apparente », au besoin « dans l’attente d’une décision au fond », « sous peine d’une astreinte de 5.000 euros par jour de retard ».

Les explications de David Renders, professeur à l’UCLouvain et avocat.

1. Le Tribunal de Namur était saisi par une association s’étant donnée pour objectif de défendre les intérêts des citoyens belges dans le cadre de la gestion de la pandémie que l’on traverse, ainsi que par quelques particuliers qui se disaient être privés, par le Covid Safe Ticket, de l’exercice d’une partie de leurs droits et libertés.

Que réclamaient les requérants ?

Ils demandaient à la justice namuroise de constater l’irrégularité de deux décrets de la Région wallonne et de condamner en conséquence celle-ci à prendre toutes les mesures qu’elle estimerait appropriées pour mettre un terme à cette situation de prime abord illégale.

2. Le Tribunal de première instance de Namur donne raison aux requérants. Il estime que les décrets en cause contreviennent, en apparence, à plusieurs règles et principes du droit.

En particulier, l’un des décrets approuve un accord de coopération entre l’autorité fédérale et les entités fédérées qui n’avait pas été soumis à l’avis de l’Autorité de protection des données, alors qu’il aurait dû l’être en vertu du droit européen.

L’autre décret viole, pour sa part, selon le Tribunal, le principe de légalité, c’est-à-dire le principe constitutionnel selon lequel une loi ou, ici, un décret de bonne qualité doit intervenir pour adopter les restrictions en cause, comme tel devrait être le cas lorsqu’une liberté doit être restreinte pour poursuivre un but supérieur.
La raison ? Ce décret n’expliquerait pas, de manière suffisamment précise, les modalités d’application du Covid Safe Ticket wallon dans certains secteurs, ce qui aurait obligé l’Administration wallonne à devoir ouvrir, sur son site internet, une importante page de questions-réponses (« FAQ » ou Frequently asked questions).
Les deux décrets restreindraient encore certains droits et libertés de façon disproportionnée.

3. La Région wallonne est donc condamnée, mais à quoi ?

C’est ici qu’il importe de rappeler que le Tribunal était saisi en référé, c’est-à-dire en urgence et dans l’attente d’un examen approfondi de l’affaire, donc « au provisoire » comme disent les juristes.

Dans ce cadre, le Tribunal, ayant jugé que le problème dont il était saisi était urgent et vu l’apparence d’illégalité qu’il constatait, dit à la Région wallonne : je vous demande, au moins provisoirement, c’est-à-dire dans l’attente de ma décision définitive, de prendre toutes les mesures pour mettre fin aux irrégularités que vous avez commises. Et je vous condamne même à payer une astreinte de 5.000 euros par jour de retard, à compter du huitième jour qui suivra le jour où un huissier de justice vous aura officiellement communiqué ma décision, si vous n’obéissez pas.

À cet égard, l’astreinte à laquelle la Région wallonne devrait faire face si, au huitième jour, elle n’avait pas changé son mode opératoire, ne correspond pas à une amende, encore moins pénale : il s’agit d’une condamnation financière qui sert à encourager la Région à se conformer à la demande du Tribunal ou, si on préfère, à la menacer au cas où elle n’aurait pas cette intention.

4. Cela veut-il dire que le Covid Safe Ticket wallon a été suspendu ou annulé, comme on a pu l’entendre ou le lire ? La réponse est clairement : non.

La Région wallonne est condamnée à revoir ses décrets, ce qui ne veut pas dire qu’elle doit abandonner le Covid Safe Ticket : elle est — seulement — sommée de gommer les illégalités que contiennent les deux décrets qui, purgés des illégalités apparentes dont ils seraient atteints, pourraient continuer d’instituer le Ticket.

À cet égard, il importe de souligner qu’en vertu du principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs, le Tribunal n’aurait pas pu, comme tel, interdire à la Région wallonne de recourir à l’instrument du Covid Safe Ticket. Le Tribunal ne pouvait, tout au plus, qu’ordonner la cessation des illégalités à première vue commises par la Région wallonne… En relevant toutefois, au passage, qu’un juge de l’ordre judiciaire, comme le Tribunal de Namur, ne peut normalement prendre une telle décision quand il est question d’actes législatifs prétendument contraires à la Constitution et à certains pans du droit européen et international. C’est pourtant, au moins en partie, le cas en l’espèce, ce qui ne manque pas de poser question.

5. L’on ne perdra, par ailleurs, pas de vue que l’ordre de cessation prononcé n’est que provisoire. Ce que le Tribunal namurois demande, compte tenu de ce qu’il est saisi en référé, c’est que la Région wallonne gomme les illégalités que le juge aperçoit, d’ici à ce qu’il tranche le litige de façon définitive.

Autrement dit, c’est en attendant que la justice namuroise rende sa décision finale — « au fond », comme on dit — que la Région wallonne est, sans nécessairement devoir se passer du Covid Safe Ticket, appelée à revoir sa copie.

6. À cet égard, il n’est évidemment pas exclu que le juge qui aura à connaître de l’affaire au fond adopte, le jour venu, un autre point de vue et finisse par dire que la Région wallonne a, depuis toujours, agi en parfaite légalité…

Ce d’autant que, par un concours de circonstances qu’on peut qualifier de malheureux pour l’équilibre des débats, la décision a été rendue sans que la Région wallonne ait pu faire part de ses arguments. Ou, pour le dire autrement, que le juge des référés n’a pu entendre qu’un seul son de cloche — celui des requérants —, pas l’autre — celui de la Région et cela, parce qu’elle a omis de se faire représenter à l’audience où l’affaire a été plaidée.

Dans ce contexte, personne ne s’étonnera que la Région wallonne ait aussitôt saisi la Cour d’appel de Liège pour lui demander, en urgence, de revoir la décision du juge des référés de Namur et décider, en apparence toujours, que la Région wallonne était, contrairement aux dires du juge namurois, droit dans ses bottes juridiques !

7. On est évidemment impatient de connaître le point de vue de la Cour d’appel de Liège, auquel Justice-en-ligne fera écho également. Selon la presse, l’arrêt de la Cour serait prononcé au début janvier 2022.

En attendant, le Covid Safe Ticket wallon continue d’être applicable, au prix des 5.000 euros d’astreinte que la Région wallonne est appelée à verser, chaque jour, sur un compte ouvert à cet effet, mais que la Région pourrait aussi récupérer si la Cour d’appel réformait la décision namuroise intervenue.

Le Covid Safe Ticket wallon n’est donc pas mort. En tout cas pas encore…

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David Renders


Auteur

Professeur à l’Université catholique de Louvain
Avocat au barreau de Bruxelles

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