Gestation pour autrui : la présomption de paternité du mari de la gestatrice doit pouvoir être contestée lorsque cette dernière et son mari n’ont pas de projet parental à l’égard de l’enfant

par Delphine Thienpont - 7 août 2023

Le phénomène des « mères porteuses » continue de faire débat devant les plus hautes juridictions. La Cour constitutionnelle s’est récemment prononcée sur l’interprétation qu’il convient de faire de l’article 318, § 4, de l’ancien Code civil. En cas de gestation pour autrui (GPA) avec une gestatrice mariée, il sera désormais plus facile de faire établir la paternité du père d’intention. En effet, la présomption de paternité du mari de la gestatrice doit pouvoir être contestée lorsque la gestatrice et son mari n’ont pas de projet parental à l’égard de l’enfant à naître.

1. En Belgique, la gestation pour autrui (GPA) n’est ni expressément autorisée ni expressément interdite.
Tout au plus la convention de GPA est-elle illicite, ce qui signifie que les parties ne peuvent pas, en cas de conflit, en réclamer l’exécution forcée. Mais elles n’encourent aucune sanction si elles y recourent et il est possible d’établir un lien de filiation entre l’enfant et les parents d’intention.
À défaut de réglementation spécifique, c’est vers les règles du droit commun de la filiation qu’il faut se tourner, c’est-à-dire vers les règles qui s’appliquent dans les situations les plus usuelles, sans donc tenir compte du contexte de la gestation pour autrui.

2. La gestatrice sera alors la mère légale de l’enfant, comme l’est en principe toute femme qui accouche de celui-ci (article 312 de l’ancien Code civil). Si elle est mariée, son mari sera présumé être le père légal ; c’est ce qu’on appelle la présomption de paternité (article 315 de l’ancien Code civil).

3. Par conséquent, le père d’intention, c’est-à-dire celui qui, sans être le mari de la femme qui a accouché, souhaite considérer cet enfant comme étant le sien, ne pourra pas d’emblée établir un lien de filiation à l’égard de l’enfant.
Dans un premier temps, il faudra que soit contestée la paternité du mari de la gestatrice, ce qui ne sera possible que s’il n’est pas le père biologique (et, en règle, il ne le sera pas). Dans un second temps, le père d’intention pourra alors faire établir sa propre paternité.
La contestation de la paternité du mari de la mère légale est régie par l’article 318 de l’ancien Code civil. En son paragraphe 4, cette disposition précise que la demande n’est pas recevable « si le mari a consenti à l’insémination artificielle ou à un autre acte ayant la procréation pour but, sauf si la conception de l’enfant ne peut en être la conséquence », et ceci indépendamment de la personne qui introduit l’action.
Lorsque le mari de la gestatrice a consenti à la GPA, une interprétation littérale de l’article 318, § 4, de l’ancien Code civil conduit donc à l’impossibilité absolue de contester sa paternité et, partant, d’établir la paternité du père d’intention.

4. C’est ce constat qui a mené le Tribunal de la famille du Tribunal de première instance de Liège, division de Liège, à poser à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante : interprété de cette façon, l’article 318, § 4, de l’ancien Code civil viole-t-il les articles 10, 11 (principe d’égalité et de non-discrimination ) et 22 (droit à la vie privée et familiale) de la Constitution, combinés ou non avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ?

5. La Cour, dans son arrêt n° 56/2023 du 30 mars dernier, rappelle que le principe d’égalité et de non-discrimination (articles 10 et 11 de la Constitution) ne s’oppose pas en soi à ce que soient traitées de manière différente des personnes se trouvant dans une situation comparable ou à ce que soient traitées de manière identique des personnes se trouvant dans des situations différentes. Il faut néanmoins que la mesure critiquée poursuive un but légitime et qu’elle soit proportionnée à celui-ci.
Elle rappelle également que l’autorité publique peut commettre une ingérence dans le droit au respect de la vie privée des individus (article 22 de la Constitution et article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme), à condition que cette ingérence soit prévue par la loi, qu’elle poursuive un but légitime et qu’elle soit proportionnée à ce but.

6. S’intéressant d’abord à l’objectif poursuivi, la Cour s’appuie sur les travaux préparatoires de l’article 318, § 4, de l’ancien Code civil pour affirmer que cette disposition vise à éviter que surviennent des situations inéquitables.
Si le mari a consenti à un projet parental dans le cadre duquel il est appelé à devenir le père légal d’un enfant auquel il n’est pas lié biologiquement (par exemple à la suite de l’insémination de son épouse avec le sperme d’un donneur), il serait en effet injuste de lui permettre de se rétracter ou de permettre à d’autres personnes de contester ultérieurement sa paternité au seul motif qu’il n’est pas le père biologique.
En outre, le consentement en question dans l’article 318, § 4, ne peut porter que sur un projet parental puisque le mari ne dispose d’aucun droit sur le corps de son épouse. C’est donc bien le projet parental entre les époux qu’il s’agit de protéger, ce qui constitue pour la Cour un objectif légitime.

7. Vérifiant ensuite la proportionnalité de la mesure litigieuse, la Cour considère que celle-ci ne permet pas de réaliser l’objectif poursuivi, le projet parental de la gestatrice et de son mari faisant précisément défaut dans l’hypothèse considérée.
Partant, la disposition en cause, telle qu’interprétée par le Tribunal de la famille en l’espèce, n’est pas compatible avec les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés ou non avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

8. Ainsi, la Cour n’invalide pas l’article 318, § 4, en lui-même, mais bien l’interprétation qui en est faite par la juridiction de renvoi : elle écarte une interprétation littérale et fait primer une interprétation téléologique, s’appuyant sur les travaux préparatoires de cet article 318, § 4, et sur l’objectif recherché par le législateur.
Il est désormais clair que cette disposition ne fait pas obstacle à la contestation de la présomption de paternité du mari lorsque ce dernier et la gestatrice n’ont pas de projet parental commun à l’égard de l’enfant (ce qui est par hypothèse le cas dans le cadre d’une GPA) et ce, même si le mari a consenti à la GPA pratiquée par son épouse.

9. L’arrêt de la Cour contribue à améliorer la situation des personnes qui recourent à la GPA, celles-ci pouvant désormais plus facilement lui faire produire les conséquences juridiques souhaitées.
Toutes les difficultés ne sont pas réglées pour autant.
Imaginons par exemple que la gestatrice et son mari décident finalement de ne pas remettre l’enfant à ses parents d’intention. Si le père d’intention n’a pas de lien biologique avec l’enfant, il ne pourra pas contester la paternité du mari et établir sa propre paternité. En effet, l’action en contestation introduite par l’homme qui revendique la paternité ne pourra aboutir que s’il est lui-même le père biologique de l’enfant (article 318, § 5, de l’ancien Code civil).
Si le père d’intention est bien le père biologique, son action en contestation n’aboutira que si le juge l’estime conforme à l’intérêt de l’enfant, qui doit être apprécié lorsque la mère légale s’oppose à l’action en contestation (article 332quinquies de l’ancien Code civil). L’appréciation de l’intérêt de l’enfant pourrait s’avérer bien délicate : le juge devra-t-il fonder sa décision sur l’existence d’un lien juridique, d’un lien biologique, d’un projet de conception ou sur d’autres critères encore ?

10. L’application du droit commun de la filiation en matière de GPA soulève donc un certain nombre de difficultés.
Si les débats animés n’ont – jusqu’ici – pas abouti à l’adoption d’une réglementation spécifique en la matière, il n’est toutefois pas impossible que celle-ci voie le jour dans un avenir proche.
C’est d’ailleurs ce que préconise le Comité consultatif de bioéthique de Belgique dans son avis n° 86 du 17 avril 2023 : selon lui, un cadre juridique permettrait « d’organiser la gestation pour autrui d’une manière sécurisante et éthiquement acceptable » et « de prévenir autant que possible les problèmes qui se posent » en l’absence d’une réglementation spécifique.
Il n’est donc pas déraisonnable d’espérer que les difficultés rencontrées (ou, du moins, certaines d’entre elles) seront résolues prochainement.

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