Le droit au respect de la vie privée et familiale en cas de recours à une gestation pour autrui à l’étranger : nouvel épisode européen

par Gaëlle Ruffieux - 24 avril 2022

Dans son arrêt Valdis Fjölnisdóttir et autres c. Islande du 18 mai 2021 , la Cour européenne des droits de l’homme revient sur le droit au respect de la vie privée et familiale en cas de recours à une gestation pour autrui (GPA) à l’étranger.

Gaëlle Ruffieux, maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, nous présente cet arrêt et le place dans son contexte, au vu notamment de précédents avis et arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme sur le sujet.

1. En l’espèce, deux Islandaises mariées recourent aux services d’une mère porteuse en Californie. L’enfant est conçu par fécondation in vitro avec les gamètes de deux donneurs, de sorte qu’il n’a de lien biologique avec aucune de ses deux mères d’intention.

Peu après la naissance, les requérantes retournent en Islande et demandent la transcription sur les registres d’état civil de l’acte de naissance américain, qui les indique comme parents de l’enfant.
Les autorités islandaises la leur refusent au motif que, selon la loi nationale, la mère est la femme qui accouche.

L’enfant est alors considéré comme un mineur non accompagné, devant être placé en famille d’accueil. Néanmoins, et c’est un point important, le placement se fait auprès des deux mères d’intention.

Ces dernières contestent toutefois le refus d’enregistrement et, parallèlement, engagent une procédure d’adoption conjointe. Celle-ci sera retirée à la suite de leur divorce. Entretemps, l’enfant s’est vu octroyer la nationalité islandaise à la suite d’une modification législative.

Les requérants soutiennent que le refus de transcription de l’acte de naissance étranger constitue une violation de leur droit au respect de la vie privée et familiale.

La Cour européenne des droits de l’homme rejette leurs prétentions en se plaçant sur le terrain de la vie familiale.

L’applicabilité de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme

2. L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit notamment le droit au respect de la vie familiale. On le sait, le droit au respect de la vie familiale présuppose l’existence d’une famille.

En dehors de toute parenté, les juges strasbourgeois admettent que des liens familiaux de facto peuvent être constitutifs d’une vie familiale.

3. En matière de gestation pour autrui (GPA), dans l’affaire Mennesson par exemple (Cour européenne des droits de l’homme, 26 juin 2014), une vie familiale avait été reconnue entre les enfants nés d’une mère porteuse et leurs parents d’intention, alors que les liens étaient effectifs et que le père d’intention était le père biologique. Cet arrêt a été évoqué dans un précédent article publié sur Justice-en-ligne (Gaëlle Ruffieux, « La Cour européenne des droits de l’homme admet qu’une filiation maternelle soit reconnue en France aux enfants nés de mère porteuse à l’étranger »).

À l’inverse, dans l’affaire Paradiso et Campanelli (arrêt du 24 janvier 2017), la Cour européenne des droits de l’homme avait refusé d’admettre l’existence d’une vie familiale : le défaut de lien biologique était en l’espèce doublé d’une absence de liens personnels, les relations entre les parents d’intention et l’enfant n’ayant duré que quelques mois.

4. L’arrêt commenté (Valdis Fjölnisdóttir et autres c. Islande du 18 mai 2021 ) dissipe les doutes que l’affaire italienne avait pu faire naître en précisant que l’absence de lien biologique ne fait pas obstacle à la reconnaissance d’une vie familiale entre les parents d’intention et l’enfant dès lors que les relations sont ininterrompues depuis la naissance.

En l’occurrence, le fait que des liens affectifs aient été tissés durant quatre ans, grâce au placement de l’enfant auprès de ses mères d’intention, a été décisif. Une vie familiale existait donc.

L’application de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme

5. La Cour analyse alors le refus des autorités islandaises de reconnaître les mères d’intention en tant que parents comme une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale.

Les deux premières étapes du contrôle sont rapidement réalisé es : l’ingérence est prévue par la loi islandaise qui interdit la GPA et cette prohibition poursuit un but légitime, à savoir la protection des intérêts des femmes et le droit de l’enfant de connaître ses origines.

Reste la troisième et dernière étape du contrôle : la nécessité de l’ingérence.
Après avoir rappelé que les États disposent d’une large marge d’appréciation en l’absence de consensus européen sur ces questions, la Cour vérifie que le défaut de filiation n’entraîne pas d’effets négatifs sur la vie des intéressés.

En l’espèce, la vie familiale des requérants a été soutenue par l’État islandais, qui a pris des mesures pour que l’enfant reste dans le foyer de ses mères d’intention, avant et après leur divorce et leur remariage. Par ailleurs, l’enfant a obtenu la nationalité islandaise et l’adoption par l’une des deux mères d’intention reste envisageable. L’absence d’entraves réelles et pratiques à la jouissance de la vie familiale et les mesures prises par l’État pour régulariser et sécuriser les relations permettent à la Cour de conclure à l’absence de violation de la vie familiale, en dépit de la non-reconnaissance d’un lien parental formel.

Ce que dit l’arrêt

6. En matière de GPA, la Cour européenne des droits de l’homme n’aboutit pas aux mêmes conclusions selon qu’elle se fonde sur le droit au respect de la vie familiale ou de la vie privée.

En effet, le droit au respect de la vie familiale des parents d’intention et de l’enfant n’impose pas aux États l’obligation d’établir une filiation. Sur ce fondement, la Cour vérifie que l’absence de reconnaissance d’un lien parental ne porte pas une atteinte disproportionnée à l’effectivité des liens familiaux existants.

Ce que l’arrêt ne dit pas

7. Sur le fondement du droit au respect de la vie privée de l’enfant, les juges européens vont plus loin, imposant aux États l’obligation positive de reconnaître la filiation à l’égard du parent biologique et du parent d’intention, tout en leur laissant le choix des moyens : transcription de l’acte de naissance établi à l’étranger ou adoption. C’est ce que la Cour indique dans son avis du 10 avril 2019 (précédemment commenté sur Justice-en-ligne dans l’article précité) et dans son arrêt D. c. France du 16 juillet 2020.

8. Une interrogation demeure : au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant, imposera-t-on aux États l’obligation d’établir une filiation en l’absence de lien biologique avec les deux parents d’intention ? Le principal enjeu, qui était d’ailleurs soulevé par les requérants, est d’ordre successoral.

Dans l’arrêt commenté, la Cour européenne des droits de l’homme réaffirme uniquement que le refus de transcription de l’acte de naissance étranger ne viole pas la Convention. Elle ne se prononce pas sur l’adoption, car la justice islandaise n’avait pas pris de décision définitive en la matière, les mères d’intention ayant retiré leur demande d’adoption conjointe après leur séparation.
Cette question reste donc entière : suite au prochain épisode ?

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