L’Autorité belge de la concurrence - Présentation générale
1. La concentration dont il est ici question engendre évidemment de légitimes interrogations sur la pluralité de la presse mais ne va non plus sans difficulté en matière de respect de la concurrence. En effet, si un seul et même acteur détient un quasi-monopole, il est à craindre que le marché ne fonctionne plus correctement à défaut de concurrence, avec des effets négatifs pour les consommateurs, notamment en matière de prix.
2. Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer en 2015 la création de l’Autorité belge de la concurrence, sa structure et ses missions dans un précédent article (« L’Autorité belge de la concurrence conclut sa première transaction avec les grands magasins de la distribution et certains de leurs fournisseurs »), auquel il est renvoyé ici.
3. L’Autorité belge de la concurrence se définit elle-même comme « une autorité administrative indépendante qui contribue à la définition et à la mise en œuvre d’une politique de concurrence en Belgique ». Elle ne fait donc pas partie du pouvoir judiciaire et dispose d’une personnalité juridique distincte. Le Code de droit économique précise qu’elle exerce ses missions « en toute indépendance et en toute impartialité, sans influence extérieure, politique ou autre ».
Cette indépendance peut sembler contradictoire avec le fait que les membres de cette Autorité sont nommés par le Roi, c’est-à-dire en pratique par le gouvernement, dans le respect d’un équilibre linguistique propre à notre Royaume. Le gouvernement ne peut cependant pas nommer qui il veut dès lors que les candidats doivent satisfaire à diverses conditions, dont la réussite d’un examen d’aptitude professionnelle.
Les concentrations d’entreprises
4. Dix ans après notre première contribution, dans un monde qui se caractérise par une globalisation de plus en plus marquée, nous allons davantage nous intéresser à la question des concentrations.
Il s’agit d’opérations qui ont pour effet de concentrer certains pouvoirs de décision entre les mains de certains acteurs économiques majoritaires, qui peuvent exercer une influence déterminante sur une entreprise ou sur un secteur d’activités. Ces situations peuvent être des fusions d’entreprises antérieurement indépendantes, des créations d’entreprises communes, des acquisitions d’un contrôle direct ou indirect de plusieurs entreprises, etc.
Certaines de ces opérations (dont celle visée par le fait d’actualité précité) sont soumises à une décision préalable de l’Autorité belge de la concurrence, qui constate si elles sont ou non admissibles au regard de différents critères, dont celui de la possibilité, pour les entreprises qui se rapprochent, d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause.
La procédure devant l’Autorité belge de la concurrence
5. Voici dans les grandes lignes la procédure spécifique suivie dans ce cadre.
6. Concrètement, un auditeur (c’est-à-dire un membre de l’auditorat, qui est l’un des organes de l’Autorité) va, dès que la concentration lui est notifiée et qu’il est en possession des renseignements complets, ouvrir une instruction.
Il faut savoir qu’il existe une procédure simplifiée et une procédure « classique ». La procédure simplifiée est utilisée dans les cas où la concentration ne semble pas poser de problème majeur au niveau du droit de la concurrence. Dans ce cas-là, l’auditeur va lui-même prendre une décision dans laquelle il va soit admettre la concentration, ce qui mettra fin à la procédure, soit estimer qu’elle n’est pas de prime abord admissible, auquel cas c’est la procédure classique qui sera poursuivie.
7. Dans le premier cas, lorsque l’auditeur parvient à la conclusion que les conditions d’application de la procédure simplifiée sont remplies et que la concentration notifiée ne soulève pas d’opposition, il le constate dans une décision écrite qu’il communique aux parties notifiantes (c’est-à-dire aux entreprises concernées par le projet de concentration) et qui est publiée.
Cette décision de l’auditeur a la même valeur qu’une décision du Collège de la concurrence déclarant la concentration admissible.
8. Dans le second cas, lorsque l’auditeur parvient à la conclusion que les conditions d’application de la procédure simplifiée ne sont pas remplies ou qu’il y a des doutes au sujet de l’admissibilité de la concentration, c’est la procédure classique qui démarre.
Si l’auditeur estime qu’une concurrence effective sur le marché belge est entravée par le projet de concertation, il en informe les parties notifiantes, au moins cinq jours ouvrables avant le dépôt de la proposition de décision auprès du président du Collège de la concurrence.
Les parties notifiantes disposent dans ce cas d’un délai de cinq jours ouvrables pour offrir des engagements destinés à obtenir une décision d’admissibilité. L’auditeur entend les parties notifiantes sur les engagements offerts et prend position dans la proposition de décision sur lesdits engagements.
La proposition de décision de l’auditeur est communiquée aux parties et il s’ensuit un échange d’argumentaires dans le cadre de délais précis, les parties ayant accès au dossier d’instruction et aux dossiers de procédure.
9. Il y a ensuite une audience du Collège de la concurrence, qui peut décider au préalable d’entendre d’autres personnes physiques ou morales concernées ainsi que des tiers qui justifient d’un intérêt suffisant ( un organisme public ou une autre institution publique chargée du contrôle ou de la surveillance d’un secteur économique, un membre des organes d’administration ou de direction des parties à la concentration, des représentants des organisations les plus représentatives des travailleurs de ces entreprises, etc.).
À ce moment il est encore possible de modifier le projet de concentration par de nouveaux engagements et ce, jusqu’à la clôture des débats devant le Collège de la concurrence.
10. Si le Collège de la concurrence estime que la concentration projetée entre dans son champ de compétences, il peut décider si elle est admissible ou non, le cas échéant moyennant certaines conditions et charges correspondant à des engagements.
S’il estime qu’il existe des doutes sérieux à propos de l’admissibilité de la concentration il peut décider d’engager la procédure d’instruction et de décision complémentaires visée par d’autres dispositions du Code de droit économique.
11. La procédure est assez rapide dès lors que le Collège de la concurrence rend sa décision en principe dans un délai de quarante jours ouvrables à compter du jour suivant celui de la réception de la notification du projet de concertation. En cas de décision d’engager la procédure complémentaire, il faut compter soixante jours.
Ces délais, sous réserve des recours possibles, font pâlir d’envie lorsqu’on sait que dans le monde des Cours et Tribunaux de l’ordre judiciaire, et en particulier devant le Tribunal de l’Entreprise, en principe compétent dans le monde des affaires les délais sont de plus en plus longs. Nous n’entrerons pas dans les détails de ces recours en raison des limites de la présente contribution, mais on se référera utilement au très éclairant article de Maître Evrard de Lophem, « Aspects procéduraux des recours contre les décisions de l’Autorité belge de la concurrence en matière de pratiques restrictives de concurrence », R.D.C.-T.B.H., 2014/3, pp. 236 à 243.
12. L’Autorité belge de la concurrence a déjà prononcé de multiples décisions en matière de concentration, dont certaines dans le domaine des médias et de la presse. Le lecteur se référera utilement au site internet de l’Autorité (https://www.abc-bma.be/fr), toutes ses décisions étant publiées.
La lecture du rapport annuel de 2024 nous apprend qu’« en matière de contrôle des concentrations, l’Autorité a traité 43 dossiers en 2024, dont huit ont donné lieu à une enquête approfondie. Trois opérations ont été autorisées sous conditions, à l’issue de la première phase d’instruction – ce qui démontre une capacité à prévenir efficacement les risques concurrentiels en amont, par le biais d’engagements proposés par les entreprises parties à la transaction à un stade précoce de la procédure, qui peut donc être conclue plus rapidement ».
Au-delà de sa rapidité, la procédure devant l’Autorité de la concurrence implique nécessairement un engagement et une collaboration entre celle-ci, les entreprises concernées ainsi que les tiers sur lesquels rejaillissent les décisions en matière de droit de la concurrence. Ceci semble indispensable dans la réalité du monde économique actuel.