La Cour d’appel de Bruxelles déchoit de leur nationalité belge treize condamnés pour terrorisme : que dit la loi ?

par Bernadette Renauld - 15 mai 2022

Deux quotidiens ont publié, lundi 14 février 2022, les extraits d’arrêts rendus en avril et en septembre 2021 par la Cour d’appel de Bruxelles qui prononcent la déchéance de la nationalité belge à l’égard de treize personnes ayant manqué « gravement à leurs devoirs de citoyen belge ».

C’est l’occasion pour Bernadette Renauld, référendaire à la Cour constitutionnelle et collaboratrice scientifique à l’UCLouvain, de faire le point sur ce cas, prévu par la loi, de la déchéance de nationalité.

1. Les treize déchéances dont il est question dans ces arrêts s’ajoutent aux huit qui ont été prononcées en 2017 et 2018, aux quinze prononcées en 2019 et aux trente et une prononcées en 2020.

Dans le cas présent, les personnes concernées ne se sont pas présentées devant la Cour d’appel, qui a donc rendu les arrêts prononçant la déchéance de nationalité par défaut, en leur absence. Elles sont en outre sans domicile ni résidence connus en Belgique ou à l’étranger, ce qui explique la publication des extraits d’arrêts au Moniteur belge et dans les journaux pour assurer une certaine publicité aux décisions.

Des déchéances « pour manquement grave » prononcées par la Cour d’appel

2. Ces treize déchéances de nationalité sont prononcées sur la base de l’article 23, § 1er, 2°, du Code de la nationalité belge. Cet article prévoit que peuvent être déchus de la nationalité certains belges, qui possèdent également une autre nationalité et qui ont manqué « gravement à leurs devoirs de citoyen belge ».

Seuls les Belges qui ne sont pas nés Belges, qui n’ont pas été adoptés par un Belge et qui n’ont pas acquis la nationalité Belge à la faveur d’une déclaration attributive effectuée par leurs parents avant qu’ils aient atteint l’âge de douze ans sont susceptibles de se voir enlever leur nationalité par déchéance prononcée par la Cour d’appel pour cause de manquement grave à leurs devoirs. En outre, ne peuvent être déchus de la nationalité belge que les bi- ou multinationaux, de sorte que la déchéance de nationalité n’a jamais pour effet de rendre quelqu’un apatride.

3. Quels sont les motifs qui peuvent justifier la déchéance de la nationalité ?

Le Code ne définit pas ce qu’il faut entendre par l’expression « avoir manqué gravement à ses devoirs de citoyen belge ». Il faut donc se tourner vers les décisions prises par les Cours d’appel pour tenter de comprendre de quoi il s’agit.

Or, bien que la possibilité de déchoir de leur nationalité les Belges qui ont gravement manqué à leurs devoirs existe depuis plusieurs décennies, ce n’est que très récemment qu’elle a été mise en œuvre. Dans le contexte sécuritaire que nous connaissons ces dernières années, il n’est pas difficile de deviner que la déchéance de nationalité touche principalement et même exclusivement des personnes condamnées pour des activités en lien avec des groupes terroristes.

4. Outre la déchéance pour manquement grave, la Cour d’appel peut également être amenée à prononcer la déchéance de nationalité pour motif de fraude lors de l’acquisition de la nationalité.

Activisme législatif

5. À côté de cette procédure en déchéance devant la Cour d’appel pour manquement grave ou pour fraude, le législateur a, ces dernières années, créé d’autres hypothèses dans lesquelles le tribunal de première instance peut prononcer la déchéance de nationalité.

À part le cas, que l’on peut rapprocher de la fraude, de la déchéance de la nationalité concomitante à l’annulation du mariage de complaisance qui en a facilité l’acquisition, les nouvelles hypothèses sont toutes liées à des condamnations à de lourdes peines (emprisonnement de cinq ans au moins sans sursis) pour des faits précis et que l’on peut considérer comme graves (atteintes à la sûreté extérieure ou intérieure de l’État, infractions de droit international humanitaire, traite ou trafic d’êtres humains, terrorisme, etc.) ou pour une infraction dont la commission a manifestement été facilitée par la possession de la nationalité belge.

6. L’évolution de la législation en matière de déchéance de la nationalité va donc dans le sens d’une invitation claire, adressée au pouvoir judiciaire, à mettre la déchéance en œuvre pour des motifs sécuritaires en réponse à la menace que constituent les agissements des personnes condamnées pour actes de terrorisme. Une décision très récente de la Cour européenne des droits de l’homme montre que cette tendance est présente dans d’autres pays européens et que la Cour n’y voit pas de violation des droits fondamentaux, à condition que la déchéance soit le résultat d’un examen complet et non arbitraire du dossier et que l’intéressé ne devienne pas apatride (CEDH, décision d’irrecevabilité du 1er février 2022 dans l’affaire Johansen c. Danemark).

7. Si l’objectif est assez clair, la manière utilisée en Belgique l’est beaucoup moins.

Le législateur a, comme c’est trop souvent le cas, procédé par ajouts successifs sans repenser le système dans sa globalité. Le résultat en est que la déchéance de la nationalité est aujourd’hui réglée par trois articles différents du Code de la nationalité et qu’elle peut être prononcée à l’issue de procédures fort différentes, par des juges différents et avec, selon le cas, plus ou moins de garanties, en termes de droits procéduraux, pour la personne concernée.

La déchéance prononcée par la cour d’appel est considérée non pas comme une peine, mais comme une mesure de nature civile (cette interprétation est confirmée par la Cour constitutionnelle dans ses arrêts nos 122/2015 et 16/2018 et par la Cour européenne des droits de l’homme : arrêt du 25 juin 2020 dans l’affaire Ghoumid e.a. c. France). Elle est néanmoins critiquée, notamment dans l’avis donné par l’avocat général D. Vandermeersch dans une affaire jugée par la Cour de cassation le 12 mai 2021 (RG P.21.0228.F). Elle doit être motivée par le fait que la personne concernée a manqué gravement à ses devoirs de citoyen, sans autre précision dans la loi.

Elle peut être prononcée sans limite de temps après la commission des faits qui la motivent. Elle est prononcée sans recours (à part un pourvoi, limité, en cassation) : comme la personne concernée est citée directement devant la cour d’appel, aucun deuxième degré de juridiction n’est accessible.

8. Il y a aussi la déchéance prononcée par le tribunal correctionnel. Même si elle n’est pas non plus, techniquement, une peine, elle s’en rapproche plus fort en pratique que la déchéance prononcée par la cour d’appel puisqu’elle est prononcée comme l’accessoire d’une peine et par le même juge, de sorte que la différence entre déchéance de nationalité et peine devient difficile à expliquer aux personnes concernées. Dans ces cas-là, elle ne peut être prononcée que dans les hypothèses énumérées par les articles 23/1 et 23/2 du Code de la nationalité ; elle ne peut plus être prononcée après l’écoulement d’un certain délai (sauf pour les infractions imprescriptibles, c’est-à-dire les plus graves) ; la personne déchue peut faire appel et a donc droit à un deuxième procès devant un autre juge (la Cour d’appel).

9. Pourtant, les faits qui motivent la déchéance, que ce soit suivant l’une ou l’autre des procédures, sont similaires et se recoupent dans une très large mesure : il tombe sous le sens que la plupart des infractions énumérées par les articles 23/1 et 23/2 du Code sont constitutives de « manquement grave aux devoirs de citoyen belge ». C’est particulièrement évident dans les déchéances qui font l’objet des publications du 14 février dernier : toutes les personnes déchues par la Cour d’appel ont été précédemment condamnées pour des faits de terrorisme. Toutefois, lors de ces condamnations, le parquet n’avait pas demandé la déchéance immédiate sur la base des articles 23/1 ou 23/2 du Code de la nationalité belge. La mise en œuvre de la déchéance « générale » sur la base de l’article 23 du Code lui permet de « rattraper » cette omission, quelle qu’en ait été la cause (vraisemblablement, dans les cas récents, les articles 23/1 et 23/2 n’étaient pas encore applicables au moment des faits, mais il pourrait aussi s’agir d’une manière de « rattraper » un oubli du parquet).

Un système « dual » en question devant la Cour constitutionnelle

10. Ces différences entre la déchéance par la cour d’appel et la déchéance par le tribunal correctionnel (outre d’autres questions, comme la différence entre les Belges qui peuvent être déchus et ceux qui ne le peuvent pas : voyez à ce sujet l’arrêt n 85/2009 de la Cour constitutionnelle) n’ont pas manqué d’interpeller les avocats et les juges et des questions préjudicielles ont été posées à leur sujet à la Cour constitutionnelle.

Jusqu’ici, celle-ci a validé les différences entre les deux régimes, ce qui a parfois été critiqué. Par un arrêt rendu en 2015, elle considère que l’évolution de la législation et le fait qu’il y a possibilité de faire appel d’une déchéance prononcée par le tribunal correctionnel n’a pas pour effet de rendre l’ancien système de déchéance prononcée par la Cour d’appel inconstitutionnel. Elle a répété cette position dans son arrêt n° 116/2021. Par l’arrêt n° 16/2018, la Cour répond aux questions préjudicielles qui lui ont été posées dans l’affaire concernant la déchéance de nationalité de F. Belkacem, comme un article précédent sur Justice-en-ligne l’a expliqué (B. Renauld, « La déchéance de nationalité : qui, pour quoi, comment ? »). Elle y confirme la compatibilité du système de la déchéance de la nationalité belge avec les droits fondamentaux de la non-discrimination et du respect de la vie privée. Elle répond aussi que la non-limitation dans le temps de la possibilité de la déchéance « ancien système » n’est pas discriminatoire.

11. La Cour répondra encore dans les mois qui viennent à de nouvelles questions relatives à la déchéance de nationalité qui lui ont été posées récemment à propos des motifs pour introduire un pourvoi en cassation (affaire n° 7580) et des délais pour faire opposition (affaire n° 7745).

Les conséquences de la déchéance de nationalité

12. Les conséquences d’une déchéance de nationalité, qu’elle ait été prononcée par une cour d’appel ou par un tribunal correctionnel, sont identiques.

La personne qui est déchue de sa nationalité belge redevient étrangère vis-à-vis de l’État belge. La loi ne prévoit rien quant à son statut de séjour. On considère généralement qu’elle ne récupère pas le statut de séjour dont elle disposait au moment où elle est devenue Belge : la Cour de cassation en a jugé ainsi le 21 mai 2019 (P.19.0428.N) ; il en a été de même pour le Conseil du contentieux des étrangers le 21 décembre 2020 (n° 246.615). Si elle se trouve sur le territoire, elle est en séjour illégal et elle doit donc, si elle souhaite demeurer en Belgique, entreprendre les démarches afin d’obtenir une autorisation à cette fin. On peut imaginer qu’il est fort improbable que cette autorisation lui soit accordée.

13. La déchéance est personnelle à celui qui la subit, elle n’affecte pas la nationalité de ses enfants, même s’ils tiennent leur nationalité belge de leur lien de filiation. Elle ne modifie pas non plus la nationalité du conjoint, même lorsque l’acquisition par ce dernier de la nationalité belge était conditionnée par le lien d’alliance.
Pour en savoir plus

14. Sur la déchéance de nationalité, voyez l’étude très récente et très complète de Christelle Macq, « Contours et enjeux de la déchéance de la nationalité », publiée dans le Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 2015-2016 , qui a inspiré plusieurs des éléments du présent article

Mots-clés associés à cet article : Déchéance de la nationalité, Nationalité, Terrorisme,

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