La Justice « civile » et la Justice « pénale » : quelle différence ?

par Jean-François Funck - 2 janvier 2017

Un internaute nous demande , via le site Questions Justice , quelle est la différence entre la Justice « civile » et la Justice « pénale ». En quoi le traitement d’une affaire est-il différent ? Qui décide ? Pour quelles raisons ? Quel est l’avantage d’être jugé dans l’une ou l’autre juridiction ? Qui a le choix ?

Voilà les questions auxquelles répond Jean-François Funck, juge au Tribunal de première instance francophone de Bruxelles et assistant à l’Université catholique de Louvain.

1. La distinction entre « civil » et « pénal » fait référence aux deux fonctions essentielles de la Justice : trancher les conflits, d’une part, sanctionner les infractions, d’autre part.

Le point commun entre les juridictions civiles et les juridictions pénales, c’est qu’elles appartiennent toutes au pouvoir judiciaire, ce sont toutes des juridictions judiciaires et non des juridictions administratives. Pour une vue d’ensemble des juridictions en Belgique et même en Europe, rien de mieux que de consulter le schéma des juridictions qui vous est proposé sur Questions Justice.

Les juridictions civiles

2. Les juridictions civiles règlent les litiges existant entre des personnes.
Il peut s’agir d’un conflit entre des personnes physiques.

Par exemple : un locataire ne paie plus son loyer parce qu’il estime que les murs sont humides et que le propriétaire doit faire des travaux. Le litige entre le propriétaire et le locataire peut être porté devant le juge de paix.
Mais le litige civil peut aussi opposer un particulier à une personne morale, soit privée (une société commerciale, une ASBL) soit publique (l’État, la Région, une commune).

Par exemple :
 un travailleur conteste son licenciement et réclame une indemnité de préavis à son employeur, c’est-à-dire à la société dans laquelle il travaillait ;
 un automobiliste estime qu’un accident a été causé par le mauvais entretien de la route : il peut agir en justice contre le propriétaire de la voirie (la Région, la Province, la commune) et lui réclamer des dommages-intérêts.

3. Le litige soumis aux juridictions civiles doit concerner des droits ou des obligations (par exemple l’obligation de payer un loyer, le droit à être indemnisé) : les personnes qui s’adressent à elles estiment que leurs droits ont été violés ; elles demandent que le juge reconnaisse ces droits et les fasse respecter.

4. Les juridictions civiles n’interviennent jamais de leur propre initiative. Il faut qu’une des personnes concernées par le litige s’adresse à elles et formule une demande. Dans le procès, on l’appellera « la partie demanderesse ». Il s’agira d’une demande de condamner la partie adverse – appelée partie défenderesse – soit à payer une somme d’argent (par exemple des arriérés de loyer), soit à faire quelque chose (par exemple faire des travaux de réparation), soit à ne pas faire quelque chose (par exemple s’abstenir de publier des données personnelles sur un site internet).

5. Pour trancher le litige, les juges civils se basent, non pas sur leurs impressions ou sur leurs préférences personnelles, mais sur la loi ou toute autre règle de droit ou, s’il y en a un, sur le contrat que les parties ont conclu entre elles. Mais les règles imposées par la loi ou par le contrat sont souvent vagues ou très générales. Le rôle du juge est donc d’appliquer ces règles à une situation concrète et de les interpréter en fonction de cette situation.

Par exemple : en cas de séparation des parents, si ceux-ci ne sont pas d’accord sur des décisions importantes concernant leur enfant, le tribunal de la famille doit trancher le litige. La loi dit qu’il se prononce « dans l’intérêt de l’enfant ». Or, chaque situation familiale est différente. Le juge va devoir interpréter cette loi et dire quel est l’intérêt de l’enfant dans la situation particulière.

6. La décision que prennent les juges doit être respectée par les parties en cause. La particularité d’une décision judiciaire c’est que la partie qui a obtenu gain de cause peut la faire exécuter, c’est-à-dire contraindre l’autre partie à la respecter. Quand il s’agit de sommes d’argent, le plus souvent le jugement est exécuté en faisant pratiquer une saisie par un huissier de justice.

Les juridictions pénales

7. La fonction des juridictions pénales est différente : elles décident si une personne a commis une infraction pénale, et, si oui, elles condamnent cette personne à une peine.

Une infraction pénale, c’est un comportement qui est interdit parce qu’il est contraire à des valeurs essentielles de notre société ou parce qu’il est contraire à des règles fondamentales du vivre-ensemble. Par exemple : voler, tuer, porter des coups à autrui, conduire en état d’ivresse, cacher ses revenus au fisc.

8. La liste des infractions pénales est donnée par la loi. La plupart de ces infractions se trouvent dans le Code pénal.
La loi indique également quelles sont les conditions qui doivent être remplies pour qu’il soit question d’une infraction pénale.

Lorsqu’une personne est accusée d’avoir commis une infraction, le premier rôle des juridictions pénales est de vérifier si toutes ces conditions sont remplies. En effet, les tribunaux ne jugent pas en fonction de leurs impressions ou de leurs opinions personnelles mais ils doivent appliquer la loi. Une personne ne peut être déclarée coupable que si tous les éléments de la définition de l’infraction sont réunis. Le tribunal doit ainsi donner la bonne « qualification » aux faits qui ont été commis.

Par exemple : Une personne est accusée de meurtre. Elle a donné des coups à une autre personne, qui en est morte. Selon la loi, une des conditions de l’infraction de « meurtre », c’est « l’intention de tuer ». Si le tribunal estime que, suite à l’enquête, il n’y a pas de preuve que l’auteur des coups avait l’intention de tuer, il ne pourra pas qualifier les faits de meurtre. Il devra trouver une autre infraction pénale qui correspond aux faits commis. Par exemple, il déclarera l’auteur coupable de « coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner ».

9. Lorsque le tribunal estime que la personne accusée est coupable de l’infraction, son second rôle est de prononcer une peine : il peut s’agir d’une peine de prison, d’une amende, d’une peine de travail, etc. La loi lui donne une « fourchette », c’est-à-dire un minimum et un maximum, et le tribunal choisit à l’intérieur de celle-ci, notamment en fonction de la gravité des faits commis ou de la personnalité de l’auteur des faits.

10. Comme au civil, les juridictions pénales ne peuvent jamais intervenir de leur propre initiative. C’est le ministère public (le procureur du Roi, le procureur fédéral, etc.) qui accuse un suspect, qui le convoque devant le tribunal et qui demande aux juges de prononcer une peine.

11. Les juridictions pénales peuvent aussi, en plus, se prononcer sur une demande civile.

Il s’agira de la demande formulée par la victime de l’infraction pénale, victime qu’on appelle alors « partie civile ».

Dans le même procès, il y aura donc deux aspects, deux procédures, l’une pénale, l’autre civile.

La victime ne demandera pas une peine : c’est le rôle du ministère public, qui représente la société dans son ensemble. En effet, la peine est prononcée au nom de la société, ou pour protéger la société, parce que le coupable n’a pas respecté une règle fondamentale de la vie en commun.

La victime, elle, demande la réparation du dommage qu’elle a subi à cause de l’infraction pénale : par exemple, si elle a été blessée, elle réclamera les frais médicaux qu’elle a dû payer, la rémunération qu’elle a perdue si elle n’a pas pu travailler durant une certaine période et un dommage moral pour les souffrances qu’elle a subies, etc.

La victime d’une infraction pénale a le choix : soit elle introduit sa demande dans le cadre du procès pénal et c’est donc la juridiction pénale qui se prononcera ; soit elle agit devant une juridiction civile, mais, dans ce cas, s’il y a un procès pénal, le juge civil devra attendre que le juge pénal se soit prononcé sur la culpabilité ou non du suspect.

11. Attention : ce choix n’existe que si une infraction pénale a bien été commise.

Par exemple : si un locataire constate que de l’eau coule dans la maison qu’il loue et s’il veut obtenir que le propriétaire soit obligé de faire des travaux de rénovation, il ne pourra pas porter le litige devant un juge pénal. Et le procureur du Roi ne le fera pas non plus. En effet, le fait, pour un propriétaire, de ne pas faire des travaux d’entretien dans une maison louée n’est pas une infraction pénale. Pourquoi ? Parce qu’aucune loi ne détermine ce comportement comme étant une telle infraction. C’est une question qui concerne uniquement des relations entre des personnes, et non pas la société dans son ensemble. Le locataire devra donc agir devant un juge civil.

Par contre : si une personne est victime de coups et doit se faire soigner, il s’agit d’une infraction pénale parce que le Code pénal édicte que des coups et blessures constituent une infraction pénale. Cette victime pourra choisir :

 soit elle réclame son indemnisation en se constituant partie civile devant le juge pénal ; l’auteur des coups sera condamné, d’une part, à une peine et, d’autre part, à payer des dommages-intérêts à la victime ;

 soit, une fois que le procès pénal est fini ou, si le procureur du Roi décide de ne pas poursuivre l’auteur devant le juge pénal, la victime peut agir devant le juge civil pour réclamer son dédommagement.

Votre point de vue

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 17 janvier 2017 à 14:52

    Article très intéressant. 2017 démarre bien sur "justice en ligne".

    Répondre à ce message

  • Amandine
    Amandine Le 4 janvier 2017 à 14:42

    Merci pour votre travail d’information et belle année 2017 à tous et toutes

    Répondre à ce message

Votre message

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Votre message

Les messages sont limités à 1500 caractères (espaces compris).

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)

Ajouter un document

Jean-François Funck


Auteur

Jean-François Funck est juge au Tribunal de première instance francophone de Bruxelles. Il est également assistant à l’Université catholique de Louvain. Il participe activement à l’équipe de rédaction avec l’envie de mieux faire comprendre le travail des acteurs de la Justice et les décisions qu’ils prennent.

Partager en ligne

Avec le soutien de la Caisse de prévoyance des avocats, des huissiers de justice et des autres indépendants
Pour placer ici votre logo, contactez-nous