1. La première journée visait à prendre le pouls de la situation présente, à rappeler l’évolution mais aussi les défis qui se posent. Les intervenant-e-s, souvent à l’aide de données chiffrées – quand elles sont disponibles –, ont décrit la situation actuelle dans divers pays de tradition civiliste (c’est-à-dire principalement ceux de l’Europe continentale) mais également de common law (c’est-à-dire principalement ceux liés historiquement à l’Angleterre, comme par exemple la plupart des États des Etats-Unis).
On constate ainsi que, depuis la fin de l’interdiction pour les femmes de siéger au sein des juridictions, du chemin a certainement été parcouru et qu’un certain équilibre entre les genres a pu s’établir, à tout le moins dans les pays de tradition civiliste.
2. Il est néanmoins indispensable d’aller au-delà des statistiques générales. En effet, si les femmes sont aujourd’hui davantage présentes dans la magistrature, elles le sont peu dans les juridictions supérieures et aux fonctions de chefs de corps (par exemple président d’un tribunal ou procureur à la tête d’un parquet) (par contre, dans certains secteurs, en particulier en matière familiale, l’on constate une « surféminisation » des tribunaux, au point que la question inverse vienne à se poser, à savoir : comment augmenter la proportion non des femmes mais des hommes au sein de certaines juridictions ?).
3. Les causes du phénomène décrit ci-dessus, à savoir la sous-représentation des femmes aux échelons supérieurs de la pyramide judiciaire, sont difficiles à cerner. Ont été citées : l’orientation précoce des femmes vers des filières déterminées, les exigences en matière de mobilité, la faible mobilisation des femmes elles-mêmes et de la société civile, leur position marginalisée dans certaines sociétés, le caractère masculin de la Justice (malgré que l’allégorie de celle-ci soit une femme aux yeux bandés…) et la difficulté de correspondre à un modèle de carrière « moulé » par et pour les hommes.
4. À de nombreuses reprises, les questions de l’accès et de la sélection des juges ont été abordées et, malgré qu’aucune solution ne semble s’imposer comme étant une panacée, c’est peut-être là que se joue une partie du changement. En effet, ayant démontré son inefficacité, l’argument selon lequel « il suffit d’attendre » que l’effet de masse joue (les femmes composant la majorité des étudiants en droit) a clairement été rejeté. De même, les mécanismes de cooptation sont fortement décriés. Certains favorisent des comités de sélection composés de membres externes à l’appareil judiciaire, voire des nominations politiques. D’autres ont témoigné des promesses non réalisées de la voie parlementaire (comme l’illustre l’exemple belge). À tout le moins, des actions de communication et de conscientisation sont encouragées.
5. La deuxième session a pris pour objet l’épineuse question suivante : pourquoi l’égale « représentation » de femmes au sein de la magistrature est-elle considérée comme importante ? Une première réponse tend à retourner la question et à déplacer la charge de la preuve : pourquoi une égale représentation ne serait-elle pas nécessaire ? Selon certain, ce n’est pas la présence des femmes qu’il faut justifier mais plutôt leur absence, spécialement à certains postes clés. À ce titre, il a été répété à plusieurs reprises que « la présence des femmes dans la magistrature ne signifie pas l’égalité, mais que, par contre, leur absence témoigne d’une inégalité ».
Le caractère démocratique des institutions et le respect de la non-discrimination requièrent une composition équilibrée des tribunaux.
L’argument de la diversité est préféré – la composition des cours doit refléter la société diverse –, même si celui-ci entraîne inévitablement à son tour de nombreuses interrogations.
D’autres intervenants préfèrent voir dans l’égale représentation de femmes au sein de la magistrature non une fin en soi mais davantage un moyen au service d’autres objectifs. Ainsi les femmes seraient-elles mieux à même de comprendre certaines victimes (par exemple en matière de viol ou de harcèlement), ces dernières pouvant trouver plus facile de s’adresser à une femme juge ; une présence féminine contribuerait à créer un « climat de confiance » avec l’institution judiciaire et à lutter contre les préjugés dans la société… Il importe de souligner que l’ensemble des observateurs ne partagent pas cette analyse : « les femmes ne sont pas là pour rendre la justice légitime ! », a-t-on pu entendre. Les très délicates questions de la « représentativité » et de la « légitimité » des institutions judiciaires ont suscité diverses réactions.
6. La dernière session questionnait l’impact du genre : les femmes font-elles une différence ? Il est très difficile d’isoler le facteur genre dans une décision de justice et les conclusions sont donc prudentes sur ce point.
Ce qui est certain, c’est que les membres féminins du siège ou du parquet n’ont pas une perspective commune. Certaines études montrent que, si les femmes ne jugent pas différemment, elles ont davantage tendance à adopter une approche plus contextualisée, à être méfiantes vis-à-vis de la distinction public/privé, à remettre en cause les rôles et les stéréotypes, à encourager la médiation et à être attentives aux détails pratiques. Si la décision elle-même n’est pas ou est peu influencée par le genre du juge, plusieurs intervenants ont mentionné l’influence potentielle au niveau de la perception des justiciables, en particulier masculins et spécialement dans le contexte de la justice familiale. Les projets de « lectures féministes » des jugements ont également été discutés.
7. À l’heure où l’institution de la justice évolue rapidement et est confrontée à des défis divers, le colloque a permis de souligner que des efforts doivent encore être fournis en la matière et qu’il ne faut pas perdre de vue que les acquis sont réversibles… Pour rappel, malgré les résolutions du Conseil de l’Europe en ce sens, la Belgique n’a pas présenté de candidate(s) lors de la dernière procédure d’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat ne comptent respectivement que 18 % et 27 % de femmes et une seule femme siège actuellement à la Cour constitutionnelle.
Votre point de vue
skoby Le 27 décembre 2013 à 18:24
Je suis parfaitement en accord avec ce texte, à mon sens, assez équlibré, décrivant
certains avantages et inconvénients, certains domaines où les femmes sont trop peu
nombreuses et peut-être d’autres domaines où elles sont trop nombreuses.
Mais de grâce, que la Justice se mette d’accord sur la voie à suivre à l’avenir,
mais ne faites pas intervenir les politiques.
Il est déjà diffiçile d’adopter en permanence une attitude juste et neutre, mais si
vous voulez remplacer le monde judiciaire par le "copinage", demandez aux
politiciens, ce sont des spécialistes.
PAOLO Le 28 décembre 2013 à 10:05
D’accord ! N’empêche que moi, sur le terrain, en accueillant les personnes convoquées en DCM, par exemple...on me demande souvent (les hommes !) qui siège ? Et quand je répond : Mme le juge, Mme la greffière et Mme le subtitut..." On me dit alors très souvent, "bon, compris ! j’ai perdu et ma femme a gagné".....!!! Alors ???
JM KANINDA Le 1er janvier 2014 à 21:54
En total désaccord avec SKOBY sur le début de son excellente analyse ou vision.
En total accord et totale adhésion avec la dernière constation-réflexion de SKOBY
Dr JM KANINDA, gyn-obst.
JM KANINDA Le 1er janvier 2014 à 21:59
@ PAOLO :
DCM = ???
Volonté de cryptage ou illusion néfaste que seuls les gens du sérail peuvent vous comprendre ?
Les acronymes et les abréviations non explicités dans un texte c’est un acte manqué sinon un manque de courtoisie ou de volonté d’être compris si je pousse l’analyse plus loin.
Merci d’être plus explicite.
Dr JM KANINDA, gyn-obst
Martin Le 4 janvier 2014 à 12:41
DCM = divorce par consentement mutuel.
Ne soyez pas aussi parano...
Gisèle Tordoir Le 13 janvier 2014 à 22:36
Le simple fait de demander de la clarté dans les propos n’autorise pas à être taxé de parano...
JC Le 5 mars 2018 à 17:50
Et je dois avouer que vous avez parfaitement raison, malheureusement. Encore aujourd’hui, en 2018 je suis témoin de ce cas de figure.
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Georges-Pierre TONNELIER Le 30 décembre 2013 à 12:41
Je n’aime pas ces questions de "représentativité" dans la Justice, pour les raisons qui suivent.
Elles engagent sur un chemin glissant : après les quotas de femmes, pourquoi pas des quotas de musulmans, de juifs, d’homosexuels, de jeunes, de vieux, de gros, de minces... On met là le doigt dans un engrenage d’où il sera difficile de s’extirper !
Si l’on commence à devoir se méfier d’un juge féminin dans une affaire familiale, où va-t-on ?
Le sexe du juge va devenir un motif de récusation, à ce rythme, comme sa religion ? En France, un avocat a demandé la récusation d’un juge au patronyme juif, censé juger une affaire mettant en cause un juif.
Si l’on prend ce genre de critères en considération, comment accepter d’être jugé par un magistrat noir ou musulman, si l’on est poursuivi pour racisme ? Un magistrat juif si l’on est poursuivi pour antisémitisme ? Or, ce ne sont pas toujours les gens d’origine étrangère qui sont les plus sévères en matière de racisme...
En conclusion, je répète que la Justice DOIT être aveugle, impartiale, indépendante de toute question liée à la vie personnelle de ceux qui jugent.
Georges-Pierre TONNELIER
Juriste spécialisé en droit des nouvelles technologies
http://www.tonnelier.be
valery Le 12 mai 2014 à 22:59
Je ne suis pas d’accord avec vous.
Vous parlez de principe, mais on en vit pas dans le principe. Dans le vrai monde, si on suspecte une communauté de favoriser ses membres on devrait pouvoir choisir son juge ou à défaut du moins le récuser sur un motif qu’on estime légitime...
Quitte à se tromper parfois...
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Gisèle Tordoir Le 30 décembre 2013 à 10:29
Etant raisonnablement féministe, je suis absolument contre le principe qui semble malheureusement vouloir s’imposer, celui de la parité. Je suis d’avis que le sexe ne fait pas la qualité de la personne ni sa propension à mieux faire, à mieux correspondre pour un job dans la magistrature. Hélas, par expériences vécues, quand un juge est nul, il est nul, homme et/ou femme...La (l’) (in-)compétence est asexuée. La Justice n’a de féminin que son genre grammatical. D’accord pour l’accès de toutes et tous à la magistrature mais quand je déplore la médiocrité des jugements rendus je peux certifier que l’homme n’a rien à envier à la femme pour ce qui est de la nullité...Si comme a dit un auteur célèbre "La femme est l’avenir de l’homme" eh bien pourvu que ce ne soit pas en matière judiciaire ???...
JM KANINDA Le 1er janvier 2014 à 21:51
Madame TORDOIR ayant dit l’essentiel de mon opinion et de mo argumentaire, je ne peux qu’adhérer à ce qu’elle si bien décrit, analysé et étayé.
Sans y retrancher ni y ajouter quoi que ce soit.
Sauf la petite nuance suivante : les femmes magistrates n’ont rien non plus à envier aux hommes magistrats lorsque ces derniers sont nuls, complaisants, négligents, corrompus ou corruptibles. L’intelligence comme son contraire sont comme les anges : sans sexe !
Dr JM KANINDA, gyn-obst.
très intéressé par cette question à titre personnel car étant père de 4 enfants (3 filles et 1 garçon) et l’aîné d’une fratrie de 11 enfants dont 2 garçons et 9 filles.
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Gisèle Tordoir Le 30 décembre 2013 à 10:32
Je profite de ce dernier sujet de réflexions et d’échange d’avis pour présenter tous mes meilleurs voeux, tant aux gestionnaires de ce site, qu’aux lecteurs et intervenants, pour cette nouvelle année 2014. Au plaisir de vous retrouver pour de futurs sujets toujours aussi intéressants et interpellants. Merci et à bientôt. Gisèle Tordoir
JM KANINDA Le 1er janvier 2014 à 21:42
Merci de votre attention et de vos bons voeux que je vous réciproque Madame TORDOIR.
Dr Jean-Marie KANINDA, gyn-obst.
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