1. Le découpage des circonscriptions utilisées pour les élections du Parlement wallon vient d’être mis en cause par deux arrêts prononcés respectivement par les deux arrêts précités du Conseil d’État et de la Cour constitutionnelle.
En effet, les circonscriptions régionales les moins peuplées – celles qui comptent moins de quatre sièges – ont été jugées incompatibles avec le principe constitutionnel d’égalité et de non-discrimination parce que le seuil électoral naturel, c’est-à-dire la quote-part des voix qu’une liste doit recueillir pour obtenir au moins un siège, y est sensiblement plus élevé que dans les autres circonscriptions. À cause de cela, les petits partis qui se présentent dans ces circonscriptions, ainsi que leurs électeurs, subissent une différence de traitement injustifiée, qui vient d’être sanctionnée par les plus hautes juridictions du pays.
Le législateur wallon va dès lors être obligé de revoir le tracé de certaines circonscriptions avant les prochaines élections régionales, prévues au printemps 2019. Le débat politique sur les modalités de cette réforme attendue est quant à lui déjà lancé (voy. not Le Soir, 29 février 2016, pp. 4-5 ; sur ce sujet, voy aussi Fr. Bouhon, « L’arrêt de mort des (trop) petites circonscriptions électorales », Journal des Tribunaux, 2016, pp. 89-93).
2. Pour bien saisir les enjeux du problème qui se pose, il convient de mesurer l’importance que revêt le nombre de sièges attribués à chaque circonscription dans un système électoral proportionnel, tel que nous le connaissons en Belgique.
Dans ce cadre, le principe consiste à partager le nombre de sièges disponibles dans une circonscription donnée entre les listes qui s’y présentent, et ce en proportion du nombre de voix que chacune d’elles obtient. Ce système vise à permettre aux différents partis d’acquérir au sein de l’assemblée parlementaire un nombre de sièges – et donc un poids politique – qui correspond à l’ampleur du soutien qu’ils reçoivent des électeurs.
Le scrutin proportionnel ne peut fonctionner que si plusieurs sièges sont disponibles (on ne peut pas partager proportionnellement un seul siège) et il atteint d’autant mieux ses objectifs que le nombre de sièges à répartir est élevé. Au contraire, lorsqu’il n’y a que quelques sièges à partager, la dévolution proportionnelle a des effets plus grossiers qui ne permettent la représentation que des plus grands partis au détriment des autres.
3. Or, actuellement, le territoire wallon compte précisément un certain nombre de petites circonscriptions. Parmi les treize circonscriptions établies par le législateur, trois se voient attribuer quatre sièges (Soignies, Dinant-Philippeville et Huy-Waremme), deux ne comptent que trois sièges (Thuin et Arlon-Bastogne-Marche-en-Famenne) et une – la moins peuplée de la Région wallonne – ne dispose que de deux sièges (Neufchâteau-Virton). Dans ces circonscriptions, des formations politiques qui recueillent pourtant un certain succès auprès des électeurs (10, 20 voire 25 % des voix), ne sont pas en mesure d’obtenir le moindre siège, alors qu’elles le pourraient, avec les mêmes scores relatifs, dans les plus grandes circonscriptions de la Région (celle de Liège, la plus peuplée, reçoit par exemple treize sièges).
4. Il y a quelques années, la Cour constitutionnelle s’est déjà prononcée sur ce type de problématique dans le cadre d’une affaire qui concernait le découpage du territoire en circonscriptions pour les élections provinciales de la Région flamande.
Dans son arrêt n° 149/2007 du 5 décembre 2007 (B.24.1), la Cour a jugé que le législateur pouvait certes opter pour un système électoral basé sur de petites circonscriptions électorales, afin notamment de garantir la représentation des régions socio-économiques qui composent chaque province, mais qu’il devait alors « prendre en considération les différences quant au seuil électoral naturel qui en découlent » et faire en sorte que ces différences demeurent « dans des limites raisonnables ». En l’espèce, la Cour avait considéré que la Constitution était violée lorsque le législateur délimitait des circonscriptions si peu peuplées que moins de quatre sièges leur étaient attribués.
Le récent arrêt n° 169/2015 de la Cour constitutionnelle, rendu en réponse à une question préjudicielle posée par le Conseil d’État, aboutit à la même conclusion pour ce qui concerne les circonscriptions utilisées pour les élections du Parlement wallon. Les dispositions législatives sur lesquelles se fondent les plus petites circonscriptions (celles qui comptent moins de quatre sièges) sont donc désormais considérées comme incompatibles avec la Constitution.
5. Le législateur wallon est dès lors tenu de revoir le découpage électoral pour le conformer à cette décision juridictionnelle. À tout le moins, il lui sera indispensable de trouver une solution pour les circonscriptions de Thuin (trois sièges), d’Arlon-Bastogne-Marche-en-Famenne (trois sièges) et de Neufchâteau-Virton (deux sièges). Les deux dernières pourraient être regroupées au sein d’une circonscription qui épouserait les contours de la province de Luxembourg et qui, d’après nos calculs, obtiendrait non pas cinq, mais six sièges. Quant à la circonscription de Thuin, elle pourrait être fusionnée avec l’une de ses voisines – Charleroi, Mons ou Soignies – à moins que le découpage électoral du Hainaut ne soit plus fondamentalement repensé.
C’est que l’arrêt n° 169/2015 pourrait offrir au législateur wallon l’occasion de revoir en profondeur le tracé des circonscriptions, qui est aujourd’hui toujours basé sur les limites des arrondissements administratifs. Si la Cour constitutionnelle se borne à exiger la disparition des circonscriptions où l’on élit moins de quatre députés, le législateur pourrait fixer la barre plus haut et, par exemple, faire en sorte que chaque circonscription compte au moins sept ou huit sièges. Certes, une réforme aussi ambitieuse bouleverserait les habitudes des partis, dont l’organisation repose notamment sur le découpage électoral, mais elle contribuerait à renforcer l’égalité entre les électeurs, quel que soit le parti qu’ils supportent et quelle que soit la circonscription dans laquelle ils résident.
Votre point de vue
Gisèle Tordoir Le 3 avril 2016 à 16:11
Si comme le conclut l’article : "Certes, une réforme aussi ambitieuse bouleverserait les habitudes des partis, dont l’organisation repose notamment sur le découpage électoral, mais elle contribuerait à renforcer l’égalité entre les électeurs, quel que soit le parti qu’ils supportent et quelle que soit la circonscription dans laquelle ils résident." (sic)...cette décision semble tenir la route et mieux coller à la réalité. A quand la vraie circonscription nationale ? Quand pourrai-je voter pour n’importe quelle personne, de n’importe quel code linguistique, de n’importe quel coin de Belgique pourvu qu’elle partage les idées, projets et réalisations auxquels j’adhère personnellement ? L’idéal serait de pouvoir élire la (les) personne(s) qui fait (font) réellement du bon travail...J’en ai plus qu’assez d’être rattachée à une région où des partis, en totale opposition avec mes sensibilités et attentes, sont dits majoritaires et représentatifs...Moi, ils ne me représentent absolument pas ; ils ont fichu la région par terre. Il est temps que l’on stoppe et empêche tous ces incompétents aux manoeuvres depuis trop longtemps...Laissons à d’autres l’occasion faire leurs preuves...Vivement les prochaines élections...
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skoby Le 1er avril 2016 à 10:45
Tout cela paraît bien logique.Donc, bonne décision du Conseil d’Etat et de la Cour
Constitutionnelle.
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Le 31 mars 2016 à 17:12
Deux remarques
Sur la procédure : dans son arrêt 224.490, le Conseil d’État (« Entendu, en son avis contraire, Mme N. VAN LAER, auditeur » ...qui mérite donc des félicitations rétrospectives !) avait rejeté une demande de suspension (à vrai dire, d’un arrêté du gouvernement wallon qui se bornait à exécuter une loi mal ficelée) , estimant « pas sérieux » les moyens qui s’avèrent aujourd’hui fondés.
Sur l’arithmétique : fusionner Thuin avec Mons ou Soignies n’empêcherait pas que certaines listes récoltant plus de 5% au niveau de la province (en 2004 : Ecolo et PTB-GO) n’obtiennent aucun des 28 sièges hennuyers. Tant qu’à revoir...la copie du législateur fédéral, le Parlement wallon pourrait donc assouplir la règle des « 66% du diviseur électoral »
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