Les dépenses électorales et leur contrôle : un chevauchement de règles pas toujours cohérentes

par Lucien Rigaux - 4 octobre 2024

Photo @ PxHere

Le 13 octobre prochain se tiendront les élections communales et provinciale, qui, s’agissant des dépenses autorisées, font l’objet d’une législation régionale et, à titre résiduel, fédérale. Mais qui contrôle le respect de ces dernières règles ?
Lucien Rigaux, post-doctorant l’Université libre de Bruxelles, nous l’explique.

Introduction

1. Dans quelques jours se tiendra la seconde échéance électorale de l’année : les élections communales et provinciales (pas d’élections provinciales toutefois sur le territoire la région bruxelloise dès lors qu’il est dépourvu de province). Difficile d’ignorer cette échéance tant les commerces se garnissent d’affiches électorales, les boites aux lettres se remplissent de tracts et les réseaux sociaux sont inondés de publicités électorales. Les partis et leurs candidats redoublent d’efforts, et parfois d’ingéniosité, pour attirer l’électeur.
Toutes ces campagnes de communication ont un coût. La régulation des dépenses électorales constitue dès lors un enjeu crucial puisqu’elle doit permettre la pluralité des messages politiques, notamment aux plus petits partis, interdire des pratiques déloyales ou encore ne pas excessivement favoriser les formations politiques les plus riches.
Quelles sont dès lors les dépenses permises lors des campagnes électorales communales et qui les contrôle ?

2. Comme souvent en Belgique, il faut identifier le niveau de pouvoir compétent pour fixer les règles relatives aux dépenses électorales lors des élections communales, ainsi que leur contrôle.
Depuis 2001 et les précisions intervenues en 2018, les régions sont compétentes en matière d’élections locales, en ce compris pour les dépenses électorales et leur contrôle. Sur cette base, les régions peuvent abroger, remplacer, modifier ou compléter la loi fédérale du 7 juillet 1994 relative aux dépenses électorales engagées lors des élections locales.
Elles ont ainsi mis en place leur propre Code électoral, mais sans abroger la loi fédérale de 1994, de sorte que les législations régionales doivent être lues en parallèle avec la loi fédérale, ce qui, d’une part, rend la lecture plus difficile et, d’autre part, génère des complications et des vides juridiques. Dans les lignes qui suivent, à titre d’exemple, il sera surtout question des élections communales bruxelloises.

Les dépenses électorales

3. Les partis politiques ne peuvent pas dépenser sans compter. Il existe trois plafonds de dépenses : l’un applicable aux partis, un deuxième aux listes (les partis dans chacune des communes) et un troisième aux candidats.
Les partis politiques ne peuvent dépenser plus de 372.000 € sur l’ensemble du territoire belge. S’ils présentent moins de 50 listes, que cela soit une seule ou 49, le plafond est de 75.000 €. Ces plafonds sont nationaux, alors que la législation est désormais régionale. Dès lors, les parlements concluent des protocoles d’accord pour assurer que ces plafonds s’appliquent bien sur l’ensemble du territoire belge et non uniquement dans une région.
Les deux seconds plafonds, applicables aux listes et aux candidats, dépendent du nombre d’électeurs dans chaque commune.
Pour les listes, le plafond est fixé en fonction de tranches d’abord dégressives jusqu’à 10.000 électeurs, puis progressives jusqu’à 80.000 électeurs, pour enfin redescendre au-delà. C’est pour cette raison que comme l’indique le tableau ci-dessous, Bruxelles-Ville est la seule commune dont le plafond pour les listes est inférieur à 1 € par électeur. Notons que ces plafonds sont trop élevés puisque leur somme dans les dix-neuf communes bruxelloises (696.116,96 €) est supérieure au plafond national applicable aux partis (372.000 €).
Quant aux candidats, le plafond est dégressif à mesure que le nombre d’électeurs augmente, avec toutefois, pour les petites communes (Ganshoren et Koekelberg), un plafond minimum de 1.250 € par candidat. Il faut toutefois noter que, si l’on multiplie le plafond des candidats par le nombre de candidats maximum sur une liste, par exemple à Etterbeek 1.849,52 € par 35 (le nombre de conseillers communaux), le plafond de la liste (24.530,9 €) est nettement dépassé (64.733,2 €). Il revient donc à chaque liste de fixer des plafonds informels plus bas pour la grande majorité de ses candidats.

4. Selon la loi de 1994, sont considérées comme des dépenses de propagande électorale « toutes dépenses et tous engagements financiers afférents à des messages verbaux, écrits, sonores et visuels, destinés à influencer favorablement le résultat d’un parti politique, d’une liste et de leurs candidats ». L’énoncé est ainsi assez large pour viser aussi bien des tracts, des affiches ou encore des publications sur Instagram ou Facebook.
Notons que ces dépenses sont uniquement interdites lors de la campagne électorale, laquelle commence trois mois avant les élections (le 13 juillet 2024) et qu’elles sont néanmoins autorisées si elles sont périodiques, c’est-à-dire accomplies en dehors des campagnes électorales.
Par ailleurs, certaines dépenses sont interdites. Ainsi, un parti ne peut pas accorder de cadeau durant la campagne électorale. Il ne peut dès lors pas offrir de boissons ni organiser de soirée dont le prix est libre.

Le contrôle

5. Plusieurs organes contrôlent le respect de ces règles. Il existe un contrôle d’office, mais qui ne débouche pas sur des sanctions, ainsi qu’un contrôle facultatif pouvant conduire à une sanction.

6. Le contrôle d’office est d’abord exercé par le Tribunal de première instance de Bruxelles, qui reçoit les déclarations de dépenses dans les trente jours après l’élection. Son président rédige des rapports qu’il transmet au Collège de contrôle du Parlement bruxellois. Cet organe, composé exclusivement de parlementaires (contrairement à son homologue fédéral, assisté par des experts), se prononce sur l’exhaustivité et l’exactitude de chaque rapport. S’il constate des infractions aux règles électorales, il peut, à la majorité des deux tiers et pour autant que deux tiers des députés soient présents, saisir des organes habilités, quant à eux, à prononcer des sanctions.

7. Une réclamation peut ainsi être déposée par un candidat ou le Collège de contrôle auprès d’un autre collège, le Collège juridictionnel de la Région de Bruxelles-Capitale. C’est le contrôle facultatif.
Ce Collège est une juridiction administrative, qui se prononce sur des droits politiques. Il peut ainsi sanctionner une liste ou des candidats qui n’auraient pas respecté la législation électorale.
Toutefois, le chevauchement de la loi fédérale et du Code électoral bruxellois conduit ici à un vide juridique. En effet, le Collège juridictionnel peut, en théorie, suspendre la dotation d’un parti qui n’aurait pas déposé de déclaration de dépenses ou qui aurait dépassé le plafond. Toutefois, dans la mesure où il n’existe pas de dotation régionale, le Collège juridictionnel ne peut pas suspendre une dotation qui relève de l’autorité fédérale. Ainsi, ce Collège n’a pas pu sanctionner le FN lorsqu’en 2006, celui-ci n’a rendu aucune déclaration de dépenses. En revanche, ce vide juridique n’est pas observable en Wallonie ni en Flandre puisqu’il y existe des dotations régionales.
Le Collège juridictionnel bruxellois peut, en revanche, sanctionner des candidats, notamment en retenant 40 % de leur traitement ou en les privant de leur mandat. Un recours peut être exercé au Conseil d’État. Ce recours est appelé de « pleine juridiction » car, contrairement au contentieux d’annulation où le Conseil d’État ne peut qu’annuler un acte administratif, ce recours lui permet de statuer sur l’ensemble du litige et de substituer sa décision à la juridiction administrative de premier degré. C’est ainsi qu’en 2006, le bourgmestre de Woluwé-St-Pierre a été déchu de son mandat par le Collège juridictionnel pour avoir explosé son plafond de dépenses. Saisi d’un recours de pleine juridiction, le Conseil d’État s’est aligné sur cette décision.
Enfin, le Procureur du Roi, d’initiative ou à la suite d’une plainte ou d’une dénonciation, peut renvoyer un candidat devant le Tribunal correctionnel, lequel peut prononcer une sanction pénale, soit une peine d’amende ou de prison pouvant aller jusqu’à un mois.

8. Notons qu’en Région wallonne et en Région flamande, le contrôle d’office peut déboucher sur une sanction. S’agissant des partis politiques qui ne respectent pas la législation électorale, des commissions parlementaires, respectivement la Commission de contrôle des dépenses électorales et des communications du Parlement wallon et la Commission flamande des dépenses électorales, peuvent les sanctionner. Quant aux candidats, en Wallonie, ils peuvent être sanctionnés par la Commission parlementaire du Parlement wallon tandis qu’en Flandre, cette fonction juridictionnelle a été confiée au Conseil des contestations électorales, qui est une juridiction administrative composée de personnes qui apportent la preuve de leur compétence dans le domaine du droit public, des sciences politiques ou administratives et pour autant qu’elles n’ont pas brigué un mandat politique durant les dix années écoulées. Toutes ces décisions sont susceptibles d’un recours de pleine juridiction auprès du Conseil d’État.

Conclusion

9. Pour conclure, la législation en la matière mériterait une certaine harmonisation entre les régions (par exemple par des accords de coopération plutôt que des protocoles d’accord récurrents, qui ne sont pas accessibles) mais aussi et surtout une plus profonde réflexion portant tant sur les chevauchements et les vides juridiques générés par la présence de la loi de 1994 et des codes régionaux que sur l’opportunité de certaines règles (plafonds trop hauts, durée de campagne, contrôle effectif, etc.).

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