Les avocats procurent une aide concrète aux migrants à Lesbos : l’action humanitaire du Conseil des barreaux européens et du barreau allemand

par Yves Oschinsky - 9 octobre 2017

Que serait un candidat réfugié, dans son dénuement, sans aide juridique pour lui permettre de faire valoir ses droits ?

Les avocats européens, groupés au sein de leur Conseil des barreaux européens (CCBE) ont mis sur pied, avec l’association des avocats allemands, cette aide de la manière la plus proche et concrète qui soit sur l’île de Lesbos, en Grèce au large de la côte turque, où affluent des milliers de personnes fuyant la persécution et la guerre.

Nous avons rencontré Yves Oschinsky, ancien bâtonnier de Bruxelles, chef sortant de la délégation belge au Conseil des barreaux européens, qui a répondu à nos questions.


Quelle est l’origine de l’action humanitaire organisée par le Conseil des Barreaux Européens (CCBE) à Lesbos ?

Chacun a pu voir, dans tous les médias, l’horreur de ces trop nombreuses embarcations de fortune transportant en grand nombre des passagers fuyant des zones de conflit, sombrant corps et biens, en particulier dans la Méditerranée. Cette situation remuait les consciences et les avocats ne pouvaient rester insensibles à ces tragédies.

Est-ce à dire que les avocats s’invitaient dans un débat politique ?

Il n’a à aucun moment été question pour nous d’intervenir dans le débat politique et d’apporter un jugement au sujet des solutions politiques données par les Etats et par les institutions européennes. Ce n’était pas notre rôle !
Il y avait bien plus ! Nous ne pouvions pas assister sans réagir au fait que ceux qui, d’une certaine manière, étaient tirés d’affaire parce qu’ils avaient pu accoster sur la terre ferme, rencontraient à nouveau des problèmes majeurs puisque rien n’était organisé pour apporter à ces infortunés : au-delà du fait que leurs conditions de vie dans des camps étaient très difficiles, ils n’étaient pas en mesure de recevoir les informations de base au sujet de leurs droits fondamentaux.
Ainsi s’est formé le projet de donner à ces êtres humains une aide juridique qui jusqu’alors était inexistante.

À quelle situation fallait-il plus précisément répondre ?

Le problème était que les réfugiés devaient faire face à leur premier entretien relatif à leur demande d’asile sans avoir pu au préalable consulter un avocat et, ainsi, sans aucunement connaître le sens de la procédure d’asile ou de regroupement familial et donc, sans du tout être préparés à un tel entretien.
C’est cette situation, inacceptable à nos yeux, qui a été à la base de la réflexion au sein du Conseil des barreaux européens (CCBE), réunissant des représentants des barreaux de 45 pays, non seulement de l’Union européenne mais aussi de pays avoisinants, ce qui concerne en réalité plus d‘un million d’avocats.

Qui était responsable de cette carence ?

Les institutions européennes ont certes pris des dispositions en vue de répondre à certains problèmes liés à la migration, s’agissant là de réponses politiques au sujet desquelles il ne nous appartenait pas d’entrer dans un débat.
Mais ce que nous critiquons, dans notre position de défenseurs des justiciables, c’est que, précisément, rien n’avait été fait pour apporter aux réfugiés ce droit fondamental, inscrit dans tous les documents internationaux relatifs aux droits de l’homme, que constitue l’accès au droit.
Sans accès au droit, il ne peut y avoir de justice.

Comment est né le projet ?

Nous avons constaté qu’il existait tout particulièrement un besoin impérieux d’assistance juridique sur l’île grecque de Lesbos, sur laquelle est établi le camp de Moria, dans lequel des milliers de migrants sont véritablement entassés.
Nous avons fait une analyse des besoins et nous avons établi un budget permettant d’organiser une logistique visant l’envoi sur l’île, durant une année, d’avocats volontaires et bénévoles, dont les frais étaient pris en charge mais qui ne percevaient guère d’honoraires.
Le budget du Conseil des barreaux européens (CCBE) ne pouvant assumer cette dépense, une campagne a été réalisée auprès des barreaux européens, qui ont eux-mêmes financé l’opération, parmi lesquels les Ordres belges des barreaux francophones et germanophone et des barreaux flamands ainsi que les barreaux francophone et néerlandophone de Bruxelles.
C’est ainsi que s’est constitué ce projet solidaire et humanitaire nommé « Les avocats européens à Lesbos », dans le cadre d’une organisation conjointe du Conseil des barreaux européens (CCBE) et du Deutscher Anwaltverein (DAV), le barreau allemand.

Et, pratiquement, comment cela s’est-il passé ?

De l’été 2016 à l’été 2017, 74 avocats européens, compétents en droit d’asile, parmi lesquels onze avocats belges, ont été envoyés sur l’île de Lesbos et ont apporté bénévolement une assistance juridique aux personnes nécessitant une protection internationale, ce qui a représenté 13.400 heures de travail pro bono (c’est-à-dire fournies gratuitement) consacrées à plus de 1.450 personnes, dans le camp de Moria. Cette assistance juridique s’est faite en liaison avec les avocats grecs.
Chacun de ces avocats s’était au préalable engagé à y séjourner durant une période d’au moins trois semaines et jusqu’à six avocats se sont trouvés sur place simultanément.

Quelles ont été les réactions officielles ?

Le travail compétent des avocats européens a été très apprécié par les autorités et les organisations humanitaires locales et le ministère grec de l’immigration a adressé au CCBE et au DAV ses remerciements pour l’excellent travail réalisé.

Quelles sont les perspectives pour le futur ?

Le CCBE a décidé d’établir avec le DAV une organisation caritative à responsabilité limitée en vertu du droit allemand pour la poursuite du projet « Les avocats européens à Lesbos ».

Une conclusion ?

Les pouvoirs publics, en particulier au plan européen, n’ont malheureusement pas tiré parti de l’initiative des avocats européens pour enfin organiser et financer l’aide juridique aux migrants.
L’humanité, l’humanitaire sont les boucliers face à l’inhumain.

Votre point de vue

  • Mette Lembring
    Mette Lembring Le 10 octobre 2017 à 10:51

    Et les interpretes ? Comment ce service-là était organisé ?

    • Yves Oschinsky
      Yves Oschinsky Le 10 octobre 2017 à 17:41

      La question des interprètes constituait en effet une difficulté. Certaines ONG nous ont apporté de l’aide en mettant gratuitement des interprètes à notre disposition. Il y a une grande solidarité sur le terrain. Certains de nos avocats parlent arabe. Yves Oschinsky

    • Nadine
      Nadine Le 19 novembre 2017 à 13:41

      http://orientxxi.info/magazine/migrants-comment-l-union-europeenne-transgresse-le-droit,1662

      "...dans le cadre de la mission juridique et humanitaire « European Lawyers in Lesvos », soutenue par le Conseil des barreaux européens (CCBE) et l’association des avocats allemands (Deutscher Anwaltverein, DAV) en coopération avec les barreaux grecs.../... Les demandes des Syriens sont enregistrées avant celles des Irakiens, par exemple, et il y a certains groupes totalement abandonnés, comme les réfugiés palestiniens qui ont fui la Syrie.../...L’autre inconnue est l’indépendance des avocats et des juges grecs dans un contexte de fortes tensions politiques internes et européennes. Dès le printemps 2016, l’UE a fait pression sur le gouvernement grec pour changer la composition des comités d’appel en matière d’asile qui fonctionnent depuis janvier 2016... "

    Répondre à ce message

  • Amandine
    Amandine Le 10 octobre 2017 à 20:36

    Merci à tous ces avocats, qui ont mis leur temps et des fonds à la disposition de tous ces migrants pour leur apporter les premiers soins juridiques dont ils avaient besoin.
    Et honte à l’Europe, ses instances et aux gouvernements de ses pays membres, pour leur politique de forteresse assiégée et leur refus d’en assumer un tant soit peu les conséquences .
    Tandis que s’entassent les milliards soustraits à l’impôt dans les coffres-forts des paradis fiscaux.
    ,

    • Gisèle Tordoir
      Gisèle Tordoir Le 11 octobre 2017 à 11:56

      Quant aux propos de l’intervenante Amandine "Et honte à l’Europe, ses instances et aux gouvernements de ses pays membres, pour leur politique de forteresse assiégée et leur refus d’en assumer un tant soit peu les conséquences .
      Tandis que s’entassent les milliards soustraits à l’impôt dans les coffres-forts des paradis fiscaux." (sic) quels arguments réducteurs ??? Que font les états arabes pour les syriens et autres ressortissants, réfugiés musulmans : tentes vides, climatisées en Arabie saoudite refusées aux Syriens. Avant de s’auto-flageller, il faut obliger les musulmans à s’entraider. Nous n’avons pas à nous mêler de leurs problèmes qu’ils ne veulent pas régler entre eux.

    • Nadine
      Nadine Le 19 novembre 2017 à 13:19

      Certes, mais les milliards entassés dans les coffres-forts des paradis fiscaux n’ont jamais eu comme vocation une quelconque destination humanitaire. En revanche, le financement de désordres sociaux, guerres .... ?

      Swissleaks (fev 2015) révélaient que le montant de la fraude fiscale (de la seule HSBC) qui transitait par la Suisse s’élevait à 180 milliards d’euros et concernait plus de 100 000 clients et 20 000 sociétés offshore : trafiquants d’armes, chefs d’entreprises, criminels internationaux, politiques (femmes et hommes, parité oblige), souverains, sportifs de haut niveau, stars du show bizz.

      HSBC Suisse avait déclaré avoir "entamé une transformation radicale pour empêcher que ses services soient utilisés pour frauder le fisc ou blanchir l’argent sale". Ouf .... pas même pensables des trucs pareils !

      Les réjouissantes révélations des Panama et Paradise Papers attestent de la très bonne santé des pratiques et des comptes. On dit merci qui ?

    Répondre à ce message

  • skoby
    skoby Le 17 octobre 2017 à 18:10

    Tout-à-fait d’accord avec Madame Gisèle Tordoir. Quand à Amandine : quelle
    naïveté. Sortez vos milliards, car toute l’Afrique Noire va se déverser sur l’Europe
    et on viendra vous demander de les financer.

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 11 octobre 2017 à 12:04

    Quand je lis qui sont les réfugiés majoritaires sur cette île de Moria, afghans et originaires d’Afrique subsaharienne, pourquoi, monsieur Oschinsky, pointez-vous les avocats parlant arabe ? Je ne vois guère de tel engouement de la part d’avocats pour se préoccuper "du dénuement, sans aide juridique pour faire valoir ses droits." (sic) quand il s’agit de sans-abri chez nous, au pays, en Belgique...L’humanitaire, trop souvent, est plus intéressé de ce qui se passe loin plutôt que tout près (trop près, pas assez dépaysant sans doute...). En Belgique, l’accès à la justice pour toutes et tous est loin d’être réelle ; tout est encore à faire, le chantier est ouvert. Que l’on commence par régler cette question chez nous avant de nous mêler de ce qui ne se fait pas non plus ailleurs.

    • Gisèle Tordoir
      Gisèle Tordoir Le 11 octobre 2017 à 14:58

      Correction : "En Belgique, l’accès à la justice pour toutes et tous est loin d’être réel...". Gisèle Tordoir

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Ancien bâtonnier de l’Ordre français des avocats de Bruxelles, Président de l’Institut des droits de l’homme du barreau de Bruxelles

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