Nous avons lu : François Swennen, ’Rimbaud/Verlaine – Une affaire insolite’ et « La pitié de Rimbaud »

par Jean-Pol Masson - 5 septembre 2025

François Swennen, après avoir été avocat pendant dix-sept ans, est, depuis 2013, juge au Tribunal de première instance de Liège. Très attiré par la vie et l’œuvre de Rimbaud, il a élaboré récemment un petit livre et un important article sur le drame qui s’est joué à Bruxelles le 10 juillet 1873, lorsque Paul Verlaine a tiré deux coups de révolver sur son jeune ami, le blessant légèrement.
Jean-Pol Masson, professeur honoraire à l’Université libre de Bruxelles et directeur honoraire à la Cour des comptes, a lu ces deux textes et nous les présente.

1. L’intention homicide n’ayant pas été retenue, Verlaine n’a pas été poursuivi pour tentative de meurtre ou d’assassinat, mais pour coups et blessures volontaires ayant entrainé une incapacité de travail. Il a été condamné par le Tribunal correctionnel de Bruxelles au maximum de la peine, soit deux ans d’emprisonnement, sans sursis, tout simplement parce qu’à l’époque la condamnation conditionnelle, c’est-à-dire avec sursis, n’était pas prévue par la loi : elle ne le sera qu’en 1888 (la célèbre loi du 31 mai 1888, dite « loi Lejeune », du nom du ministre de la Justice de l’époque).
Verlaine a interjeté appel, mais la Cour d’appel de Bruxelles a confirmé le jugement. Il n’y a pas eu de pourvoi en cassation et le poète, détenu depuis les faits, est resté en prison jusqu’au terme de la peine.

2. L’affaire est bien connue. Verlaine ne contestait pas les faits et aucun élément nouveau n’est survenu qui serait de nature à faire crier à l’erreur judiciaire. L’intérêt du livre et de l’article est ailleurs.

3. Le livre (Rimbaud/Verlaine – Une affaire insolite), qui se lit très agréablement, nous instruit sur la vie de Rimbaud après les évènements de juillet 1873, plus spécialement sur son bref passage dans un cirque, comme guichetier et interprète. La question de l’attribution d’un tableau représentant Rimbaud blessé et les tribulations dudit tableau sont également évoquées en détail. Il y est – relativement – peu question de l’aspect judiciaire des faits.

4. Cet aspect constitue en revanche l’essentiel de l’article (« La pitié de Rimbaud », Parade sauvage - Revue d’études rimbaldiennes).
Le titre de celui-ci peut surprendre. Pourquoi en effet parler de la pitié de Rimbaud ? Parce que la victime fait pitié ? Non, elle n’a d’ailleurs été que légèrement blessée, mais parce qu’elle a eu pitié de l’auteur des faits. Après avoir porté plainte, Rimbaud s’est très vite désisté de toute action civile contre Verlaine et a tout fait, dans ses dépositions, pour excuser son ami et minimiser la portée de l’agression. Il est d’ailleurs clair que c’est sur la base de son témoignage que l’intention homicide, retenue à l’origine par le parquet, a été finalement écartée.

5. Cela dit, l’article est très intéressant dans la mesure où il nous décrit une procédure d’un autre temps – cela fait tout de même cent-cinquante ans.
On peut voir le chemin parcouru depuis lors sur le plan de la loi et de la pratique. Verlaine n’était pas assisté d’un avocat lorsqu’il a été entendu par la police, puis par le juge d’instruction. Et il n’était pas là du tout lors de la reconstitution des faits organisée par le juge d’instruction. De nos jours, il aurait chaque fois pu bénéficier de l’assistance d’un avocat s’il la souhaitait. L’on n’aurait plus non plus recours à une expertise (odieuse) comme celle que Verlaine a subie pour examiner s’il avait eu des relations homosexuelles avec Rimbaud.

6. Plus grave encore, l’absence de motivation du jugement du tribunal et de l’arrêt de la cour d’appel. Sans doute le prévenu était-il en aveux. Cela n’empêche pas que l’on soit choqué de voir que la condamnation d’un délinquant sans antécédents judiciaires au maximum de la peine prévue par la loi n’est pas motivée. Peut-être (ne faisons pas de procès d’intention) la sévérité des juges est-elle due au fait que Verlaine et Rimbaud avaient une relation homosexuelle, ce qui était infiniment plus mal vu à l’époque que maintenant.
Ne disons pas, en tout cas, que ce serait à cause de cela que les juges n’ont pas motivé le choix de la peine. C’est beaucoup plus simple. Jusqu’il y a peu, le juge pénal n’était pas tenu (à moins que la défense n’ait déposé des conclusions écrites, auxquelles le juge était alors obligé de répondre dans son jugement) de motiver sa décision au-delà du motif stéréotypé : « Attendu que la prévention est établie ». Les juges s’en contentaient très généralement, même en l’absence d’aveux, et il était tout aussi exceptionnel que le jugement soit motivé quant à la peine.

7. En revanche, on admirera la célérité dont la justice a fait preuve. Les faits sont du 10 juillet, Verlaine est arrêté le même jour par la police, le juge d’instruction le met sous mandat de dépôt le 11 juillet, la chambre du conseil le renvoie devant le tribunal correctionnel le 28 juillet, le tribunal statue le 8 aout, Verlaine interjette appel le même jour et la cour d’appel rend son arrêt le 27 aout.
Et l’on doit relever qu’à cette époque les vacances judiciaires ne se situaient pas en juillet-aout, comme de nos jours, et ne commençaient que le 1er septembre, de sorte que Verlaine n’a pas bénéficié d’une période où les juridictions étaient peu chargées et ne traitaient que les affaires urgentes. Le praticien d’aujourd’hui croit rêver !

François Swennen, Rimbaud/Verlaine – Une affaire insolite, Cohen & Cohen, 2024, 91 p.
François Swennen, « La pitié de Rimbaud », Parade sauvage - Revue d’études rimbaldiennes, 2023, n° 32, pp. 387 à 411.

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