Scan cars : quand numérisation rime avec discrimination des personnes handicapées

par Élise Degrave - 25 octobre 2023

La technologie est neutre, mais son usage ne l’est pas, si bien que de la discrimination peut venir s’y glisser, spécialement au détriment des personnes fragilisées que sont les personnes handicapées.
Illustration ci-dessous, par Élise Degrave, professeure à l’Université de Namur et directrice de recherches au Nadi/Crids, avec certains usages des scan cars, qui sont ces véhicules qui servent à contrôler la régularité des stationnements automobiles

1. De plus en plus de communes confient le contrôle du stationnement à une scan car, jugée plus efficace qu’un contrôleur piéton. Cette voiture scanne chaque plaque d’immatriculation et vérifie dans une base de données que l’automobiliste est en ordre de paiement.
Le « hic », c’est qu’au-delà de son look technologique, ce véhicule n’est pas capable de repérer les cartes de stationnement des personnes handicapées apposées sous le pare-brise du véhicule qui les transporte. Ces personnes, déjà fragilisées, se voient donc réclamer injustement le paiement de redevances de parking.

2. C’est ce qui est arrivé à Monsieur P., à Bruxelles, comme à des milliers d’autres personnes. Bien que sa carte de stationnement est chaque fois visible, il reçoit, en quelques mois, onze demandes de redevances et vingt-deux rappels de paiement, qu’il doit chaque fois contester par courrier.
Monsieur P. décide alors de porter plainte auprès d’UNIA qui assigne l’Agence du stationnement de la Région bruxelloise (« l’Agence ») devant le Tribunal de première instance de Bruxelles.
Celle-ci se défend en arguant du fait que la personne handicapée dispose d’une démarche « curative » puisqu’elle peut s’opposer à ces demandes de paiement, comme l’a fait Monsieur P., ou d’une démarche « préventive », consistant notamment à enregistrer au préalable la plaque du véhicule qui va la transporter.

3. Cela ne convainc pas le Tribunal, qui constate une discrimination indirecte sur la base du handicap interdite par la législation « anti-discrimination » (en l’occurrence, l’ordonnance bruxelloise du 5 octobre 2017). En effet, bien qu’apparemment neutre, le contrôle par scan car engendre une différence de traitement entre deux catégories de personnes en ordre de stationnement, d’une part les automobilistes qui paient la redevance et d’autre part les personnes handicapées qui apposent leur carte. Pour le juge, imposer des démarches supplémentaires aux personnes handicapées n’est pas justifié car, légalement, il leur suffit d’apposer une carte de stationnement pour bénéficier de la gratuité. L’Agence est donc condamnée à cesser ces pratiques illégales.

4. Coup de tonnerre au début de l’été : le législateur bruxellois réagit en modifiant la législation relative au stationnement. Désormais, en plus d’apposer la carte de stationnement, les personnes handicapées devront faire des démarches préalables au transport, à défaut de quoi elles devront payer la redevance. Ces mêmes démarches pourtant condamnées en justice un an plus tôt car elles n’étaient pas prévues légalement. Maintenant, elles le sont…
Ce cynisme n’a pas manqué de faire réagir UNIA.

5. Ce cas interpelle.
Certes, quand elle fonctionne, la technologie permet à certains de gagner du temps et de l’argent. Mais, de par son coût et sa complexité, elle peut aussi être source de vulnérabilisation des citoyens, en particulier des personnes déjà fragilisées.
En l’espèce, pour que les communes fassent des économies, le législateur bruxellois impose aux personnes handicapées de supporter le coût d’un défaut majeur des scan cars, leur manque d’inclusion.
Or, c’est au numérique à s’adapter à la société, et non à la société – a fortiori pas aux personnes fragilisées – à s’adapter au numérique. Plutôt que d’alourdir les obligations des personnes handicapées, il revient au législateur de renforcer les conditions imposées aux concepteurs de cette technologie en exigeant des solutions techniques inclusives (une reconnaissance de la carte via une puce bluetooth, par exemple, comme suggéré par UNIA), d’autant que cela ne nuira pas au contrôle des autres automobilistes.
Dans l’attente, les scan cars ne devraient plus être utilisées afin que numérisation ne rime plus avec discrimination.

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