1. Tchernobyl, Fukushima ou encore l’accident nucléaire survenu cet été 2019 sur une base militaire russe nous ont appris, ou nous rappellent encore régulièrement, que les conséquences d’une défaillance nucléaire ne s’arrêtent pas aux frontières des États qui autorisent ce type d’activité.
L’Union européenne se préoccupe, pour sa part, depuis longtemps des enjeux environnementaux, par nature internationaux. Elle a ainsi, adopté, dès 1985, une directivequi impose à l’ensemble des États qui la composent de soumettre à une autorisation préalable certains grands projets urbanistiques et environnementaux, dont, en première ligne, l’exploitation et le démantèlement des centrales nucléaires.
Le processus de délivrance de ces autorisations doit comporter des étapes visant à ce que l’autorité soit le plus parfaitement possible informée des effets potentiels de la décision qu’elle s’apprête à adopter, de manière à éviter les pollutions plutôt que devoir les gérer. Ce processus, consacré dans une nouvelle directive adoptée en 2011, est baptisé « évaluation des incidences sur l’environnement » (directive n° 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ‘concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement’ , ci-après nommée directive « Projets »).
2. Les étapes de l’évaluation des incidences sur l’environnement prévue par cette directive sont au nombre de quatre :
a) il faut, tout d’abord, décrire le projet, ses effets négatifs sur l’environnement (l’homme, la faune, la flore, le climat, le paysage, etc.) et les mesures déjà envisagées pour les réduire. Pour cela, le demandeur d’autorisation doit faire appel à un « expert compétent » ;
b) l’autorité appelée à statuer sur l’autorisation doit ensuite recueillir des avis : celui d’instances spécialisées en matière d’environnement, celui que les citoyens donneront dans le cadre d’une enquête publique et enfin, le cas échéant, celui des États voisins qui pourraient subir les effets négatifs du projet ;
c) l’autorité doit, dans la foulée, « prendre en considération » l’étude, souvent appelée « étude d’incidences », réalisée par l’ « expert compétent », ainsi que les avis qu’elle a recueillis ; cela signifie que l’autorité n’est, en principe, pas obligée d’imposer les recommandations de l’étude d’incidences ou de suivre les avis et observations qui lui ont été adressés, mais qu’elle doit s’expliquer lorsqu’elle s’en écarte.
d) elle doit enfin donner une publicité à sa décision : il s’agit, par là, d’accroître la transparence sur l’autorisation des grands projets urbanistiques et environnementaux et le contrôle démocratique qui en découle.
3. En 1992, l’Union européenne a, par ailleurs, imposé un régime spécifique pour les projets susceptibles de porter atteinte aux sites et espèces protégés du réseau Natura 2000 (directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992‘concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages’ , telle que modifiée par la directive 2013/17/UE du Conseil du 13 mai 2013, ci-après appelée la « Habitats »).
Le régime déterminé par la directive « Habitats » requiert la réalisation d’une évaluation environnementale préalable à l’autorisation de tout « projet » susceptible de porter significativement atteinte à une espèce ou un habitat protégés, sans pour autant définir la notion de « projet » ni le processus d’évaluation qui doit être mis en œuvre.
Il est par contre prévu que les conclusions de l’évaluation sont contraignantes pour l’autorité, qui ne peut dès lors pas autoriser un projet susceptible de porter atteinte à une espèce ou un habitat protégé, sauf s’il existe, entre autres conditions, une raison impérative d’intérêt public majeur qui justifie que le projet soit néanmoins autorisé.
4. Pour comprendre la décision de la Cour de justice commentée relative à la prolongation et au redémarrage des réacteurs nucléaires de Doel 1 et Doel
2, on doit se rappeler que leur exploitation a été autorisée en 1975 pour une durée indéterminée.
La loi du 31 janvier 2003 ‘sur la sortie progressive du nucléaire à des fins de production industrielle d’électricité’ a, ensuite, prévu que ces deux réacteurs ne pourraient plus produire d’électricité après 2015.
Le 28 juin 2015, le législateur belge a néanmoins décidé de prolonger la durée d’exploitation de ces deux réacteurs de dix ans, soit jusqu’en 2025. Une convention a, dans ce cadre, été conclue entre le titulaire des autorisations (Electrabel) et l’État belge, le 30 novembre 2015, laquelle impose que des travaux de modernisation des deux centrales soient réalisés.
5. Les associations Inter-Environnement Wallonie et Bond Beter Leefmilieu Vlaanderen ont, alors, demandé à la Cour constitutionnelle d’annuler la loi précitée du 28 juin 2015. Elles relevaient, notamment, que la loi qui prolonge la durée d’exploitation des deux réacteurs nucléaires est-flandriens n’avait pas été soumise au processus d’évaluation environnementale préalable requis pas les normes européennes évoquées plus haut.
Avant de pouvoir trancher ce recours, la Cour constitutionnelle a estimé nécessaire de poser diverses questions à la Cour de justice de l’Union européenne, relatives, entre autres, à la qualification du redémarrage, après modernisation, des réacteurs nucléaires concernés, au regard des directives « Projets » et « Habitats ».
Dans la foulée, la Cour constitutionnelle a demandé à la Cour de justice si le droit de l’Union européenne s’opposait, en cas d’illégalité de la loi de prolongation, à ce que ses effets soient maintenus, pendant une durée déterminée, s’il devait apparaître que la fermeture avant 2025 des réacteurs concernés risquait de compromettre la sécurité d’approvisionnement en électricité de la Belgique.
6. Par son arrêt du 29 juillet 2019, la Cour de justice de l’Union européenne apporte des réponses particulièrement importantes aux questions posées :
a) Elle confirme, tout d’abord, qu’une loi, un décret ou une ordonnance font partie des normes soumises au champ d’application des directives européennes qui imposent la réalisation d’une évaluation environnementale. Sous réserve des exceptions prévues par ces directives, le législateur doit, dès lors, respecter le processus d’autorisation imposé par les directives, en ce compris la réalisation d’une enquête publique préalable et la consultation des États voisins susceptibles d’être affectés par le projet à l’examen.
b) La Cour de justice précise par ailleurs que la prolongation de la durée de l’autorisation de produire de l’électricité à partir d’un réacteur nucléaire, de même que le redémarrage d’un tel réacteur, qui s’accompagnent de travaux substantiels de modernisation doivent faire l’objet d’une autorisation soumise à une évaluation environnementale préalable conformément à la directive « Projets » et à la directive « Habitats ».
c) La Cour de justice constate dans la foulée que la loi de prolongation du 28 juin 2015 ne remplit pas les conditions pour être exemptée de l’évaluation environnementale requise par les directives en cause et précise que cette évaluation devait impliquer la participation des Pays-Bas, qui sont susceptibles d’être affectés par l’exploitation des réacteurs concernés. En d’autres termes, la Cour de justice constate que le législateur belge a décidé de prolonger la durée de vie des réacteurs nucléaires de Doel 1 et 2 sans être suffisamment informé des conséquences potentielles d’une telle décision.
d) La Cour juge enfin qu’avant de pouvoir, le cas échéant, décider de maintenir les effets de la loi de prolongation malgré son irrégularité, la Cour constitutionnelle devra impérativement s’assurer qu’il existe une menace réelle et grave que l’approvisionnement en électricité de la Belgique soit compromis, qui ne puisse pas être compensée par des moyens alternatifs, notamment au sein du marché intérieur européen. Elle précise, à cet égard, que le maintien des effets de la loi devrait être strictement limité au temps requis pour remédier à l’illégalité constatée.
7. Les conséquences de l’arrêt rendu par la Cour de Justice de l’Union européenne du 29 juillet 2019 sont, en pratique, très intéressantes.
La Cour de justice confirme en effet qu’une loi, un décret ou une ordonnance doivent être soumis à une évaluation environnementale préalable si cette règle législative a pour effet d’autoriser la réalisation d’un projet visé par la directive « Projets » ou la directive « Habitats ».
La Cour de justice annonce par ailleurs que les Belges et les Néerlandais susceptibles d’être affectés par la décision de redémarrer et de prolonger jusqu’en 2025 l’exploitation des réacteurs de Doel 1 et 2, ainsi que l’État des Pays-Bas, doivent être consultés avant de pouvoir régulièrement prendre une nouvelle décision de prolongation. À ce jour, le processus constitutionnel d’adoption de la loi ne comprend pourtant pas l’accomplissement de ces consultations.
L’enseignement jurisprudentiel de la Cour de justice implique également que les réacteurs concernés devront être mis à l’arrêt dès le prononcé de la décision de la Cour constitutionnelle s’il n’est pas établi devant celle-ci que la sécurité d’approvisionnement de la Belgique en électricité est réellement et gravement compromise.
Enfin, l’arrêt commenté pose, en filigrane, une question subsidiaire : sachant que les normes interprétées par la Cour de justice imposent également une évaluation environnementale avant de pouvoir décider de démanteler ou de déclasser un réacteur nucléaire, comment le législateur belge va-t-il procéder pour se conformer à ses obligations européennes en la matière s’il ne proroge pas, à nouveau, la durée de vie des deux réacteurs en cause ?
Votre point de vue
skoby Le 30 octobre 2019 à 12:40
Si je comprends bien, la décision de prolonger la durée de vie de Doel 1 et 2
n’est pas légale, puisque les formalités légales ne sont pas remplies.
Répondre à ce message