Le Tribunal de Bruxelles s’oppose au « plan Wathelet » sur le survol de Bruxelles : sur quoi s’est-il fondé ?

par Nicolas de Sadeleer - 15 septembre 2014

L’exploitation d’un aéroport national implanté à proximité d’une capitale internationale n’a eu de cesse, depuis des années, d’opposer les populations affectées par ces nuisances à différents pouvoirs et, partant, de secouer le landerneau judiciaire.

On en veut pour preuve le jugement rendu le 30 juillet dernier par le président du Tribunal de première instance de Bruxelles ordonnant à l’Etat belge, compétent pour le survol de l’espace aérien, de faire cesser, sous peine d’une astreinte, dans les trois mois de la signification dudit jugement, d’une part, l’utilisation des nouvelles routes (depuis le 6 février 2014 en raison de nouvelles procédures modificatives de 2012) survolant le canal et, d’autre part, les « virages à gauche » survolant certaines communes à l’est de Bruxelles.

Nicolas de Sadeleer, professeur à l’Université Saint-Louis, professeur invité à l’Université catholique de Louvain (Chaire Jean Monnet), spécialiste du droit de l’environnement, nous explique la signification de cette décision de justice.

1. Cette décision de justice fit découvrir à un large public des pans souvent ignorés du droit de l’environnement, et notamment l’existence d’une procédure judiciaire destinée à combler les lacunes s’agissant du droit d’introduire une action en justice en matière d’environnement.

2. Conformément à la loi du 12 janvier 1993 concernant le droit d’action en matière de protection de l’environnement, législation adoptée en vue de contrecarrer la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation sur le droit d’agir en justice pour protéger l’environnement (arrêt du 19 novembre 1982 de la Cour de cassation, Pasicrisie, 1983, I, p. 338), le Tribunal de première instance de Bruxelles fut saisi par la Région bruxelloise, neuf communes ainsi que par deux a.s.b.l. d’une action visant à obtenir la cessation d’infractions au droit de l’environnement. Instruite selon les formes du référé, cette procédure n’exige pas pour autant la démonstration de l’urgence. Elle permet au président du Tribunal de trancher quant au fond un contentieux portant sur la correcte application de règles destinées à assurer la protection de l’environnement.

En vertu de cette procédure, le président du tribunal de première instance de Bruxelles, était appelé, d’une part, à constater « l’existence d’un acte [...] constituant une violation manifeste […] d’un (ou) de plusieurs dispositions de lois, décrets, ordonnances, règlements ou arrêtés relatifs à la protection de l’environnement » et, d’autre part, « d’ordonner la cessation » de ces actes ou de prendre les mesures visant à prévenir leur exécution ou à empêcher des dommages à l’environnement (article 1er de la loi).

3. S’agissant du survol de la Région bruxelloise et de sa périphérie, les compétences sont pour le moins imbriquées :
 côté cour, l’exploitation de l’aéroport de Bruxelles-national et la gestion du trafic aérien relèvent d’une compétence fédérale (article 6, § 1er, X, alinéa 1er, 7° de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles ; article 5, § 1er, de la loi du 27 juin 1937) ;
 côté jardin, les Régions sont compétentes pour lutter contre les nuisances acoustiques provoquées par le trafic aérien (article 6, § 1er, II, 1°, de la loi spéciale du 8 août 1980, lequel inclut expressément « la lutte contre le bruit » parmi les compétences régionales).

Dans le cadre des compétences fédérales, le Secrétaire d’Etat à la mobilité, M. Melchior Wathelet, a adopté, le 15 mars 2012 de nouvelles instructions (publiées par Belgocontrol) quant au choix des pistes et aux procédures de vol, lesquelles ont eu pour effet, selon des rapports techniques, d’augmenter le survol de quartiers densément peuplés de l’espace métropolitain bruxellois. L’action introduite par différents pouvoirs publics ainsi que par les a.s.b.l. visait à obtenir la cessation de la mise en œuvre de ces instructions au motif qu’elles violent différents régimes réglementaires – fédéraux et régionaux - destinés à protéger l’environnement.

4. Aux yeux du tribunal, deux catégories les instructions litigieuses violent deux réglementations :

1° Tout d’abord, les requérants invoquaient la violation de la loi fédérale du 13 février 2006 transposant en droit belge deux directives relatives à l’évaluation des incidences de certains plans, programmes et projets (2001/42 et 2003/35 ; directive 92/43), ainsi que la Convention d’Aarhus ‘sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement’.

Conformément au droit international et au droit de l’Union européenne, la législation fédérale de 2006 prévoit l’obligation d’évaluer les incidences de certains plans et programmes relatifs à l’environnement et de faire participer le public à leur élaboration. Sur la base des travaux préparatoires de la loi, le Président du tribunal estima que les lignes directrices du Secrétaire d’Etat organisant les vols atterrissant ou décollant de Bruxelles-National entrent bien dans le champ d’application de ladite loi. Aussi l’absence de participation préalable du public à la détermination de ces procédures constitue-t-elle, au sens de la loi du 12 janvier 1993 ‘concernant un droit d’action en matière d’environnement’, une « violation manifeste » d’un régime réglementaire de nature préventive destiné à garantir un haut niveau de protection.

2° Ensuite, s’agissant des normes adoptées par la Région bruxelloise pour lutter contre le bruit généré par le trafic aérien (ordonnance du 17 juillet 1997et arrêté du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale du 27 mai 1999), le Président du tribunal jugea, dans le prolongement d’une jurisprudence quasi constante (arrêts du Conseil d’Etat nos 158.548 et 158.549 du 9 mai 2006), qu’elles n’entravaient pas de manière disproportionnée l’exercice des compétences fédérales quant à l’exploitation de l’aéroport national, quand bien même ces limites sonores sont susceptibles de conduire l’Etat fédéral à apporter des aménagements aux procédures de survol existantes. De même, une interprétation stricte de la loi spéciale de réformes institutionnelles (c’est-à-dire la loi qui règle la répartition des compétences entre les entités fédérées et le l’État fédéral) conduit le Tribunal à rejeter la prétention de l’État fédéral quant à l’obligation de conclure préalablement un accord de coopération. La loi spéciale ne prévoit pas une telle obligation.

Sur la base des mesures acoustiques prises par les autorités bruxelloises, dont la force probante est retenue, le Président du tribunal constate pour différentes zones acoustiques « de nombreuses et récurrentes infractions significatives » à la réglementation bruxelloise, lesquelles constituent une « atteinte importante à l’environnement ».

5. Malgré la constatation d’infractions avérées au droit de l’environnement, la loi de 1993 n’oblige pas nécessairement le juge à ordonner la cessation des actes illicites. En effet, les mesures sont facultatives étant donné que le Président « peut » ordonner de telles mesures (article 1er). Tirant parti du pouvoir d’appréciation qui lui revient, le Président, à la suite d’une mise en balance les intérêts en présence, ordonna un retour à la situation antérieure au 6 février 2014 (date de la mise en œuvre des instructions modificatives de 2012). Compte tenu d’impératifs organisationnels assez conséquents, l’État belge se voit octroyer un délai de trois mois à compter de la signification du jugement.

6. Le jugement commenté paraît orthodoxe quant à l’application de la loi de 1993.
S’agissant du critère tiré de la qualité des requérants, qui ont demandé la cessation des actes illicites, les autorités administratives requérantes et les a.s.b.l. répondaient aux conditions énoncées par la loi.

Quant à l’objet même de l’action, les instructions quant au survol de Bruxelles et de son agglomération constituent des actes juridiques tombant sous le coup de la loi. L’absence d’enquête publique préalable, malgré l’ampleur des nuisances, ainsi que les infractions répétées des seuils acoustiques constituent des « violations manifestes » de deux régimes juridiques destinés à améliorer la qualité de l’environnement.
Certes, s’agissant de l’absence d’évaluation du survol des zones naturelles protégées (réseau Natura 2000), lesquelles font l’objet d’un régime d’évaluation spécifique (article 6 de la directive 92/43/CE), le Président qui a rendu le jugement se montre plutôt réservé alors que la procédure a été interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne à l’aune des principes de prévention et de précaution.

Enfin, malgré le caractère avéré des infractions constatées, le juge met en balance les intérêts, ce qui lui conduit à donner à l’Etat fédéral un délai raisonnable pour dégager une solution technique. Cela dit, sa marge de manœuvre demeure ténue : d’une part, les futurs survols ne devraient plus conduire à des violations répétées des seuils acoustiques adoptés par la Région de Bruxelles-Capitale, alors que, d’autre part, toute modification majeure par rapport aux procédures arrêtées avant l’entrée en vigueur de la loi sur l’évaluation des plans et des programmes devrait être soumise à une enquête publique. Or, une telle enquête n’est pas organisée comme telle par la loi du 13 février 2006 ‘relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement et à la participation du public dans l’élaboration des plans et des programmes relatifs à l’environnement’. Cela dit, l’adoption d’une législation spécifique n’est sans doute pas indispensable pour se conformer aux exigences découlant du droit international et du droit de l’Union européenne.

7. En n’interjetant pas appel, l’Etat a acquiescé au jugement. Aussi, si le survol des zones affectées ne se fait pas conformément aux instructions antérieures aux modifications de 2012, les astreintes pourront être perçues à partir du 2 novembre prochain. Aussi faudra-t-il décider rapidement de revenir à la situation précédente, laquelle était loin d’être optimale.

Votre point de vue

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 18 septembre 2014 à 10:41

    Au sujet de ce dossier, je n’ai qu’un avis qui rejoint tout à fait le titre d’un article lu "Wathelet non coupable mais incapable..." ou "Wathelet, l’apprenti-sorcier..."...Et un incompétent, un....de plus et donc en trop malheureusement...

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Nicolas de Sadeleer


Auteur

professeur ordinaire à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles (Chaire Jean Monnet)

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