1. Monsieur Y a commis une infraction en juin 2018. En octobre 2019, le tribunal correctionnel l’a condamné à une peine de travail autonome de 150 heures. En mai 2020, Monsieur Y est convoqué à la maison de justice pour rencontrer l’assistante mandatée pour la mise en route et le suivi de cette peine.
Une assistante de justice nous explique son travail.
Donner du sens mais…
2. « Il peut y avoir six mois entre la date du jugement et le moment où je reçois la personne. À ce moment-là, c’est à nous à mener tout un travail, à la fois de sensibilisation et de responsabilisation pour rapatrier le sens de la peine. Nous pouvons nous trouver face à des gens responsables, conscients que le jugement doit être exécuté mais, parfois, nous sommes face à une incompréhension des justiciables. Il arrive que la personne concernée réagisse : ‘Les faits, ça fait deux ans, j’ai attendu longtemps ma condamnation puis je me suis réinséré, je travaille !
Au tribunal, j’avais demandé la peine de travail parce que j’étais sans travail, je pouvais réparer mes fautes. Mais maintenant, il faut trouver du temps ou prendre congé pour cette peine !’ ».
3. Pourquoi un tel délai ?
« À la maison de justice de Molenbeek, deux cents dossiers de personnes condamnées à des peines de travail sont en attente. Différents éléments expliquent ce retard : avant la prise en compte concrète d’un dossier, le temps du délai d’appel après condamnation doit être écoulé, l’envoi des jugements par le greffe est souvent tardif et, enfin, la maison de justice doit avoir encodé le dossier et trouvé un assistant de justice qui a une charge de travail qui lui permette de s’en occuper. Or le nombre d’assistants de justice ne peut pas varier selon la même temporalité que le flux d’arrivée des mandats. Inévitablement, nous ne sommes donc jamais assez nombreux pour gérer les moments des pics d’arrivée de mandats ».
D’abord, un profil de compétences en lien avec l’exécution de la peine
4. L’assistante de justice raconte le premier entretien :
« J’explique à l’intéressé qu’une peine de travail doit s’accomplir dans une ASBL ou un service communal, qu’il n’a pas le choix de l’endroit. Je précise bien qu’il s’agit d’une peine et donc d’une sanction et que, si elle n’est pas effectuée, il existe une peine subsidiaire. Je lui dis que notre objectif est de le placer le plus rapidement possible dans un lieu de prestation qui peut l’accueillir par rapport à ses disponibilités et à celles de ce lieu. J’ajoute que toute expérience est bonne à prendre et qu’une fois la peine terminée, on n’en parle plus. Au plus vite, c’est fait, au mieux ! ».
5. Dans ce premier entretien, l’assistante de justice dresse le profil de la personne concernée en lien avec l’exécution de la peine : formations, expériences professionnelles, positionnement par rapport à la peine de travail, disponibilités, antécédents judiciaires (contextualisés oralement pour éviter de stigmatiser la
personne).
Elle l’interroge pour pouvoir préciser et affiner ce profil en lui demandant de se décrire : « Aimez-vous le travail d’équipe ? Avez-vous besoin de plus d’autonomie ou de cadre ?.. ». Ces questions visent à trouver le lieu de travail –– et les responsables de ce lieu – les plus appropriés pour un maximum de chance de réussite.
6. Quand le profil est réalisé, l’assistante de justice dresse une fiche d’orientation avec le justiciable, à destination des SEMJA (services d’encadrement de mesures judiciaires alternatives). Ces services, qui collaborent avec des lieux de prestation de peine, se réunissent une fois par semaine en vue de l’attribution des dossiers.
L’assistante de justice prend contact avec le SEMJA qui collabore donc avec des lieux de prestation de peine. Elle explique le profil de compétence du futur travailleur et comment s’est passé le premier entretien. Enfin, elle informe l’intéressé de la prise en charge de son dossier, lui transmet les coordonnées du SEMJA et l’invite à y prendre rendez-vous.
Du déménagement à l’aide en cuisine…
7. Les lieux de travail dont multiples.
S’il s’agit de travail manuel, ce peut être de la rénovation, de la peinture, du jardinage, de l’entretien des voieries ou d’un parc. Un travail social peut être effectué dans un restaurant social (aide en cuisine, confection de colis alimentaires), dans un home (débarrasser les tables au restaurant), chez les Petits riens (déménagement, tri de vêtements, etc.). Ce travail peut aussi être administratif et parfois, des prestations ponctuelles sont possibles (dans l’évènementiel, pour dresser un podium ou préparer un hall sportif).
8. Pour les personnes libres en journée, le choix est assez large. Pour les autres, le travail le week-end est possible mais plus rare.
La liste d’attente peut aller jusqu’à trois mois, ce qui peut poser des difficultés pour accomplir les heures voulues dans le temps imparti par le jugement (un an et quarante jours). Un exemple : inscrit en septembre sur la liste d’attente pour une peine de travail de 250 heures à effectuer le samedi, Monsieur X ne pourra commencer qu’en janvier. Impossible alors pour lui de prévoir des vacances en juillet ! L’autorité mandante estimera en effet que quelqu’un qui prendrait des vacances ne mettrait pas tout en œuvre pour effectuer sa peine et pourrait renvoyer le dossier au parquet pour application de la peine subsidiaire.
Un suivi… jusqu’au bout !
9. Le SEMJA suit la personne mise au travail et envoie un feedback tous les mois ou tous les quinze jours à l’assistante de justice.
C’est lui qui est en contact avec le responsable du lieu de travail, lui qui est averti, par exemple, en cas de retards ou de problèmes.
Si ceux-ci se multiplient, le SEMJA informe l’assistante de justice, qui convoque la personne et reprécise le cadre de la peine. Si l’incident est plus important, l’intéressé est convoqué avec le SEMJA à un entretien tripartite où l’on va s’interroger sur les difficultés, leur pourquoi et chercher ce qui peut être mis en place pour améliorer la situation.
« On reste humain, conclut l’assistante de justice. Le but, c’est que toutes les personnes concernées arrivent, malgré toutes les difficultés, à terminer leur peine ».
Selon elle, un peu plus de la moitié des personnes mises au travail sont revues et recadrées pendant la prestation, suite à des incidents plus ou moins importants, comme des absences répétées sans justificatifs, des retards, de nombreux jours de maladie, etc.
Mais, constate-t-elle, « la plupart terminent leur peine, avec difficultés, mais ils la terminent ! »
Une peine sur mesure
10. Au fil des années, les personnes condamnées à une peine de travail vivent de plus en plus des situations compliquées, lourdes. Parmi elles, beaucoup de jeunes ont souvent déjà eu quelques peines de travail auparavant. Certaines sont dépendantes (alcool, drogue…) ou SDF ; des allocataires de la mutuelle sont en dépression ou schizophrènes.
Et, pour chacun, il faut trouver le lieu de travail et les responsables de ce lieu sensibilisés à ces profils particuliers et aptes à les encadrer au mieux. « La peine de travail est vraiment une peine sur mesure, individualisée au maximum puisqu’on tient compte de toutes les données individuelles possibles côté condamné mais aussi des caractéristiques du lieu de travail et des personnes qui le dirigent ».
11. « Qu’une peine n’aboutisse pas, que la personne ne se rende pas compte de tous les efforts faits pour qu’elle puisse effectuer sa peine, des chances qui lui sont accordées… pour moi, c’est une défaite », conclut l’assistante de justice.
« À l’inverse, lorsque des personnes ont pris leurs responsabilités, que l’on a pu échanger avec elles sur le sens de la peine et qu’on leur a parfois permis de se réinsérer dans une vie sociale ou sur le marché de l’emploi dans une vie active, alors, notre travail a été utile ! ».
Votre point de vue
E. berlherm Le 13 novembre 2020 à 10:43
Toute peine est absurde. La punition est absurde. Nous avons tous été contraints d’exister. Personne n’a jamais demandé à exister. Nous avons été mis devant le fait accompli de l’existence. Nous sommes fabriqués imparfaits et éduqués imparfaitement dans un monde imparfait. Faut-il punir les fabricants de l’imperfection qui est d’une importance fondamentale alors que chacun mérite la perfection de fabrication ? Faut-il punir les éducateurs qui ont enseigné imparfaitement alors que chacun mérite la perfection de l’éducation (et qu’elle est nécessaire) ? Est-il légal d’imposer la vie en société alors que la société interdit d’imposer l’association ? Et puisque l’association est illégale et sans contrat social, est-il légal de punir un associé contraint qui n’a rien signé ? Ne faut-il pas revoir le fondamental existentiel plutôt que de bidouiller les détails ? Et quand l’associé a signé le contrat social (?) faut-il le punir quand il dénonce une règle ou faut-il lui rappeler les règles ou encore le virer de la société ? Et quand on cache tout ce fondamental de l’existence à son propre associé n’est-on pas soi-même condamnable ? Mais au fait peut-on être contraint à la liberté ? L’état du monde ne dépend-il pas de nos mensonges ?
Répondre à ce message
skoby Le 13 juillet 2020 à 16:49
Cette prise en charge me paraît bien organisée. Le malheur c’est le temps qu’il
faut pour obtenir un jugement, ensuite le temps avant de rencontrer la personne
qui va devoir trouver le travail. je ne sais pas quand la Justice pourra raccourcir
toutes les procédures existantes.
Répondre à ce message