Le film « Das Experiment » au Palais de Justice de Bruxelles : débat et compte rendu

par Siham Najmi - 19 décembre 2013

Annoncée par Justice-en-ligne , la projection du film « Das Experiment », suivie d’un débat, a eu lieu le 14 novembre dernier au Palais de Justice de Bruxelles.

Siham Najmi, notre journaliste y a assisté.

Voici son compte rendu de la soirée. Le débat se poursuit sur notre site.

1. Jeudi 14 novembre 2013, le Jeune Barreau de Bruxelles relançait la machine à films au Palais de Justice. Pour remettre sur les rails son ciné-club, Anne-Claire Dombret a porté son choix sur Das Experiment, le premier long métrage d’Olivier Hirschbiegel, qui signera par la suite La Chute ou encore le tout récent Diana. Déjà en 2001, le réalisateur allemand s’attache à reproduire un événement historique marquant, ici l’expérience menée par le psychologue Philip Zimbardo dans la prison de Stanford en 1971, dix ans après celle de Milgram.

2. Soit une vingtaine d’étudiants acceptant de se plier à une expérience rémunérée dans un cadre carcéral : jouer au gardien et au prisonnier pendant quatorze jours. Soit un tirage au sort répartissant les rôles parmi les volontaires. Soit une expérience avortée, tant les abus de pouvoirs et humiliations seront légion avant la fin de la première semaine. Hirschbiegel s’approprie ces éléments, les « fictionnalise » en extrapolant les violences inhérentes aux situations d’emprisonnement, du côté des gardiens, comme du côté des prisonniers.

3. Anne-Claire Dombret se saisit de ce prétexte cinématographique pour interroger ses invités sur les aléas de la prison. Se prêtent volontiers à l’exercice l’ancien détenu Jean-Marc Mahy, le directeur de la prison de Forest Vincent Spronck et l’avocat et représentant de l’Observatoire international des prisons (O.I.P.) Nicolas Cohen.

Actuellement éducateur, Jean-Marc Mahy estime avoir payé sa dette à l’état, après dix ans de réclusion. A jamais marqué par cette mauvaise expérience, il arpente les estrades pour mettre en garde les jeunes insouciants contre les conséquences de la délinquance. Parmi les actions qu’il poursuit en ce sens, Un Homme debout, un one man show de la seconde chance, qui n’est pas sans rappeler le rôle tenu par Liam Neeson dans Five minutes of heaven, de Hirschbiegel justement.

Après quelques années passées à la tête des prisons de Tournai et Nivelles, Vincent Spronck dirige depuis trois ans celle de Forest. Son statut de fonctionnaire de l’administration pénitentiaire ne l’empêche pas, comme il en a le droit et dans les limites de ce statut, d’exprimer son opinion sur les questions touchant aux prisons dans notre société, en ce compris celle de la surpopulation carcérale.

Nicolas Cohen est le président de l’Observatoire international des prisons. Fort d’une « notice 2013 de l’état du système carcéral belge », dont Justice-en-ligne s’était déjà fait l’écho (cliquez ici), il porte haut l’étendard de l’O.I.P. : observer, alerter, dénoncer. Dénoncer la situation alarmante des prisons, surtout.

4. La projection de Das Experiment permet de lancer les intervenants sur la survie en prison. Vincent Spronck pointe une réalité sur laquelle le film n’insiste pas assez : la dépendance mutuelle qui existe entre les détenus et leurs gardiens, ce « lien qui crée une relation équilibrée, nécessaire pour traverser la prison et qui dure en réalité plus que quatorze jours ». Jean-Marc Mahy prend le rebond : « Le plus important en prison, c’est le contact humain. C’est ce qui aide à tenir ». Lui-même a tâté de l’isolement pendant trois ans et sait qu’il n’y a rien de pire, d’où son auto-proclamation d’« abolitionniste de l’isolement ». Fort de cette expérience, l’ancien détenu a à cœur de mettre en garde les jeunes contre la tentation délinquante qui mène à la case prison, sans vraiment indiquer une case départ. « C’est plus difficile de sortir de prison que d’y entrer », déclare-t-il, taclant au passage « la pire Ministre de la Justice » qui a encore aggravé les choses, notamment sous la pression des affaires Dutroux et Martin.

Interpellé par un spectateur, Vincent Spronck admet que « la réinsertion, c’est pas ça », tout en expliquant que l’aide aux détenus n’est pas une compétence des prisons elles-mêmes mais appartient aux Communautés, lesquelles devraient dialoguer entre elles et avec les différents acteurs concernés par cette aide. Or, « le manque de communication c’est bien ça le problème », conclut-il, s’estimant poings liés à son niveau pour pouvoir réellement agir. Le directeur de la prison de Forest dénonce un système bancal actuellement, basé sur « un travail de déconstruction et pas un travail de reconstruction », ce dernier étant trop souvent délégué à des gens sous-payés par des ASBL, des étudiants, « un personnel très changeant, sans réel poids par rapport au personnel de base ».

« Comme disait un directeur de prison que j’ai un jour croisé, le mot réinsertion n’a jamais fait partie du projet prison », intervient Jean-Marc Mahy, remonté contre ce « monde hors du monde », peuplé de bonnes et de mauvaises brigades, où on ne prend pas assez la peine d’expliquer aux délinquants pourquoi ils sont là et pourquoi ils ne doivent pas recommencer.

Et de s’en prendre aux responsables politiques qui laissent la situation se gangréner, le seul à trouver grâce à ses yeux étant Stefaan De Clercq.
Mais pour Vincent Spronck, les différents ministres de la justice ne sont pas les seuls responsables : « ce qui a compliqué les choses, c’est la réforme Copernic, les plans de management qui ont un peu perdu le dialogue. » Il l’annonçait en préambule, lui n’a plus vraiment de contact avec les détenus, astreint qu’il est à des tâches de gestion toujours plus lourdes et grevées de rapports en tous genres. Il tempère cependant le tableau noir d’une prison sans espoir et rappelle que certaines personnes parviennent à se relever en prison, même si « Les détenus que j’ai rencontrés et qui se sont reconstruits en prison ne l’ont pas été grâce à la prison, qui étouffe la disponibilité psychique. Comment voulez-vous qu’un détenu puisse avoir ce genre de disponibilité quand il doit partager une cellule avec deux autres détenus, dans un univers où tout ce qui compte c’est d’assurer sa propre survie ? ».

Nicolas Cohen estime, lui aussi, que « cela n’a pas de sens de désocialiser pour resocialiser » et pense qu’il est possible de faire bouger les choses, même au niveau citoyen, en s’opposant aux lois prises par le gouvernement pour cadenasser un système au nom des Dutroux et consorts. Les intervenants acquiescent et allongent la liste des problèmes à résoudre. Ce qui préoccupe l’ancien détenu, c’est le problème de la déresponsabilisation des détenus soumis aux gardiens. Il faudrait aussi un gonflement des équipes de psychologues, largement insuffisantes pour suivre les personnes enfermées et surtout il dénonce le problème de la toxicomanie, fléau carcéral s’il en est, auquel s’adonne la majorité des écroués, beaucoup pour la première fois. Conclusion connue depuis longtemps : « La prison rend toxico ». Quant au directeur de prison, ce qui le hante particulièrement, c’est la surpopulation carcérale. Pour lutter contre celle-ci, « on pourrait déjà simplement appliquer la loi pour les congés pénitentiaires… parce que pour le moment ce n’est pas le cas. Et ce n’est pas au niveau politique que cela coince, mais au niveau administratif… ».

5. Au rayon des pistes d’actions possibles, Nicolas Cohen rappelle que les actions judiciaires contre l’Etat belge restent d’actualité et appelle, suivi en cela par l’Homme debout, les avocats à ne pas faiblir dans cet effort, tout en reconnaissant que la dizaine de condamnations déjà prononcées contre l’Etat belge pour les ailes psychiatriques n’a pas encore eu le moindre impact.

Vincent Spronck est moins optimiste sur les réelles conséquences de ce genre de recours. L’ennui, dit-il, c’est que ce genre d’arrêt ne règle le problème que d’un seul détenu. Le vent d’espoir, monté du public, veut que cela puisse tout de même servir d’exemple.

6. On laissera le mot de la fin à Vincent Spronck, qui recadre une certaine tendance des critiques du public. Aux nombreuses voix qui s’inquiètent de l’extension du filet pénal, il rappelle que cette extension a pour corollaire un rétrécissement du filet social. Et de conclure : « Ce n’est pas la responsabilité des ministres. C’est la société qui permet cela ».

Votre point de vue

  • soby
    soby Le 21 décembre 2013 à 11:45

    Que faire comme commentaires ?
    Des politiciens incapables de prendre leurs responsabilités, une Justice d’une
    lenteur effrayante dont les enquêtes sont tellement longues que les poursuites finissent par être abandonnées pour prescription. Des prisons tellement vétustes que les Juges
    finissent par ne plus vouloir enfermer les criminels. Des prisonniers qui ne reçoivent ni soins psychologiques, ni formation professionnelle.
    Bref, pauvre Belgique.

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