Le film « Polisse » au Palais de Justice de Bruxelles : débat et compte rendu

par Siham Najmi - 21 mai 2014

Pour sa troisième édition, le ciné-club du Jeune Barreau de Bruxelles a jeté son dévolu sur le troisième long métrage de Maïwenn. Son Polisse a médusé plus d’un spectateur dans le vestiaire des avocats ce soir-là. Film coup de poing, auréolé notamment du Prix du Jury à Cannes en 2011, Polisse entrouvre – ou plutôt défonce – la porte du commissariat, brigade de protection des mineurs plus précisément, pour dépeindre la difficile réalité. L’intention documentariste souffre cependant plusieurs aménagements, dictés par les aléas de la fiction et la galerie impressionnante de stars venues se frotter à la caméra de la trentenaire tantôt adulée pour son talent, tantôt détestée pour sa mégalomanie immature.

A partir de son propre scénario (co-écrit avec Emmanuelle Bercot), Maïwenn alterne les scènes quotidiennes de la brigade des mineurs (interrogatoires, interventions, désœuvrement, etc.) avec les bobos sentimentaux de ces flics si particuliers, au point qu’on a pu lui reprocher d’effacer les enfants au profit des histoires des grands. Reste qu’en termes de récits glauques, on est servis : de la fille attouchée par son père ou son grand père ou du jeune gymnaste violé par son professeur aux bébés maltraités ou encore à la jeune adolescente prête à faire une fellation pour récupérer son GSM parce que « c’était un beau portable ».

Triste réalité qui s’offre donc au spectateur de Polisse, dont il faut peut-être modérer la véracité. Les trois invités du ciné-club du Jeune Barreau se sont donc adonnés à un décryptage du film, à l’aune de leurs propres métiers, à savoir : co-responsable de la section jeunesse et avocate au barreau de Bruxelles pour Julie Coduys, responsable du service Jeunesse et famille de la zone de police de Bruxelles Ouest pour Barbara De Naeyer ; et directeur pédagogique de la Tramontane pour Serge Lahaye.

Selon Serge Lahaye, « C’est tout à fait ce qu’on vit. Moi je travaille dans un lieu où il y a des familles, donc la scène avec le gamin abandonné par sa mère pour qu’il ne vive pas dans la rue, c’est plus des choses que l’on connaît ici. À chaque fois la question, c’est comment gérer une réalité avec des gens qui ont des problèmes ? Comment comparer l’incomparable ? […] C’est surtout la prise de conscience qui est importante. Il faut montrer aux gens, aux enfants qu’il existe des regards différents, qu’il y a une réalité pour chacun. Il faut être souple avec nos représentations et en même temps garder le fil, parvenir à métaboliser le drame pour ne pas se jeter par la fenêtre. C’est un gros boulot de réussir à digérer toutes ces histoires et puis de revenir le lendemain au boulot ».

Thème récurrent que cette délicate, mais non moins vitale, frontière à conserver entre la vie professionnelle et la vie privée. Peu y parviennent dans le film de Maïwenn. Mais pour Barbara De Naeyer, cela participe justement d’un cliché véhiculé par le cinéma : « Ce que je ne reconnais pas dans le film, c’est qu’il montre des gens qui ne vivent que pour leur boulot, incapables d’en sortir », et de conclure : « Dans mon service, ce n’est pas comme ça ».

Au rayon clichés, les interrogatoires aussi l’ont fait sourire, qui alimentent selon elle une légende policière alors que la réalité est beaucoup plus experte et moins violente : « Nous, on voit surtout des dossiers de violence, très chargés en émotions. Donc on n’a pas envie d’être violents. On est plutôt ‘love and peace’. On a juste envie de comprendre, de trouver le sens derrière le dossier judiciaire ». La policière pointe aussi le manque d’intimité criant de la vie de commissariat présentée par Maïwenn : « Nous ne recevons pas les gens à huit pour les interrogatoires. C’est du jamais vu ! Et puis, cette impression que les flics dans le film jugent tout le temps, qu’ils sont toujours tous ensemble, qu’ils partent à presque dix pour une mission.

Chez nous, le traitement des dossiers est beaucoup plus individuel ». Et puis, « On ne ferait jamais une patrouille de 36 heures pour retrouver une mère et son bébé, avec juste une photo. Tout comme on n’attendrait pas des nouvelles de la clinique sans rien faire ».

Julie Coduys, elle, s’est retrouvée dans le film, ou plutôt, elle a retrouvé des cas dont elle a eu à traiter : « Moi, j’ai eu le ‘ben, si elle voulait son GSM, elle avait qu’à me sucer’. Ce sont des situations crues et dramatiques auxquelles, je pense, la plupart des avocats de la jeunesse sont confrontés ». A ce niveau-là, elle estime le film des plus réalistes. Bien sûr, elle ne se prononce pas sur les scènes de commissariat, qu’elle fréquente assez rarement. « Ceci dit, c’est instructif pour nous parce que notre métier ne se passe pas au commissariat, mais en aval. On n’est pas avec la brigade jeunesse. On n’est pas avec les cowboys. Et quand je vois ce film, je me dis qu’on devrait peut être plus y être. »

« Et être formé ! », ajoute Serge Lahaye.

L’avocate approuve mais poursuit son idée : « Parfois, j’ai l’impression qu’on a trop le nez dans le guidon. Nous, on est un peu en retrait. On prend connaissance des faits à travers des dossiers. Et donc, j’ai besoin de cette hauteur pour me dire : ah oui, c’est ça la réalité ».

Rebond d’une intervenante avocate sur le sujet de la formation et confirmation qu’il en faudrait pour les avocats spécialisés en droit de la jeunesse, ne fût-ce que parce que, « Dans notre métier, on doit souvent aborder des gamins qui viennent de se faire frapper. Comment on fait ? ».

Approbation générale. Cette question, visiblement la plupart des avocats de la jeunesse présents dans la salle se la sont posée. L’un d’entre eux soulève une lacune dans le film, qui n’insiste pas assez à son goût sur le recul qu’il faut avoir par rapport aux accusations d’attouchements proférées par des mineurs, qui parfois mentent ou sont manipulés.

Barbara De Naeyer se veut rassurante : « Maintenant, on est plus formés en ce qui concerne l’aliénation parentale. Il y a quinze ans, c’était loin d’être le cas. Mais il y a de plus en plus de moyens mis à disposition des flics pour se former, comme des modules sur le droit familial… On a tenté d’intellectualiser un peu la profession. Et tant mieux ! ».

Mais, pour la policière, la formation reste encore très insuffisante, alors que les pouvoirs dévolus à la police vont grandissant : « On fait de nous des mini-procureurs dans les EPO (NDLR : enquêtes policières d’office) et on n’est pas formés pour ça. Ce n’est pas avec huit mois d’école de police qu’on peut s’improviser ‘procureur’ ».

Revenant à la question des fausses allégations commises par des mineurs, Serge Lahaye convoque le psychologue canadien Hubert Van Gijseghem, qui a notamment travaillé sur les dégâts provoqués par de telles accusations, dégâts finalement aussi importants que lorsqu’elles sont vraies. Dans ce dernier, cas, la gestion des enfants est tout aussi délicate : « Il faut voir avec les enfants comment ils se sentent, comment ils vivent la situation. On a déjà eu des cas comme le petit gymnaste, une petite fille qui avait été attouchée par son père et une fois l’éloignement imposé, qui se sentait abandonnée par lui. Dans ces cas-là, nous, on essaie de respecter l’économie psychique de l’enfant », témoigne-t-il, prouvant que l’intellectualisation a également touché sa profession.

Embrayant sur la suite de l’intervention de sa voisine, le directeur de la Tramontane dénonce, lui, le manque de moyens mis à la disposition des professionnels, « pris en otage parce qu’il manque des places ». Résultat : « Souvent, on est obligés de laisser les jeunes dans leurs familles, parce qu’il n’y a pas de place. Il y a une réelle carence au niveau des lieux de protection. On ne va pas lancer le débat des IPPJ parce que tous les mineurs délinquants sont d’abord des mineurs en danger. Mais il y a encore beaucoup de choses à faire ».

En guise de conclusion, les intervenants tombent tous trois d’accord sur le caractère si particulier de leur jeune public. Barbara De Naeyer retourne l’équation déjà énoncée et rappelle que, si elle voit beaucoup de mineurs en danger, ce sont surtout des mineurs délinquants. L’un va rarement sans l’autre. Cela n’empêche pas ces spécialistes d’en parler avec tendresse, lorsqu’ils évoquent ces jeunes « promesses d’avenir, pleins de courage, avec lesquels on tisse un lien fort, qu’on voit grandir, et qui ont souvent cette énergie de survie si admirable ».

Voilà une conclusion qui manquait peut-être au film de Maïwenn.

Votre point de vue

  • skoby
    skoby Le 22 mai 2014 à 18:13

    Je n’ai pas vu le film, donc peu de commentaires. Mais sur les remarques au sujet
    de la protection des enfants, se rend-on bien compte en Belgique, que lors d’un divorce
    qui dure des années, surtout quand il y a expertise financière, que les enfants sont
    braqués par un des parents au détriment de l’autre et ce pendant des années,
    souvent uniquement pour des questions d’argent.
    De plus comme les experts sont payés avec beaucoup de retard par notre belle
    Justice, ils ne sont jamais pressés de rentrer leurs conclusions.
    Pendant ce temps, les enfants trinquent !

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Siham Najmi


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