Aider et prendre en charge les personnes concernées par les radicalismes les extrémismes violents : rencontre avec une responsable du CAPREV

par Thérèse Jeunejean - 11 février 2021

Le CAPREV (Centre d’aide et de prise en charge de toute personne concernée par les radicalismes et les extrémismes violents) a pour mission générale, au sein des Maisons de Justice, de contribuer à l’inclusion sociale et à la protection de la société en proposant un accompagnement personnalisé aux particuliers et professionnels concernés par les radicalismes et les extrémismes violents. Justice-en-ligne publiera bientôt un article de Benjamin Van Cutsem, directeur adjoint du CAPREV, et d’Alice Jaspart, sa directrice de la recherche, qui donneront plus de détails sur cet organisme.

Mais comment, concrètement, travaille le personnel du CAPREV ?

Thérèse Jeunejean, notre journaliste, a rencontré Alice Jaspart, criminologue et directrice de la recherche, également présente sur le terrain.

Justice en ligne (JeL) : Un premier étonnement : vous dites ne pas viser un changement d’idées, aussi radicales soient-elles, chez les personnes qui s’adressent à vous mais bien la distanciation de la violence ou de la légitimation de celle-ci comme moyen d’expression de ces idées. Pourquoi ?

Alice Jaspart (A.J.) : Au fur et à mesure des situations que nous rencontrons, nous avons réfléchi à cette problématique. Nous avons peut-être tous des idées radicales, est-ce un problème en soi ?

Pour nous, le problème dans la société, c’est la légitimation et l’usage de la violence.

C’est d’ailleurs pour ces motifs que les personnes que nous rencontrons ici sont poursuivies ou condamnées.

Préciser cela, nous permet d’aller davantage à la rencontre des personnes, de nous ouvrir à elles et de leur permettre de s’ouvrir à nous : nous ne sommes pas là pour les faire changer d’idées. Nous fonctionnons donc dans la transparence en expliquant que le problème se situe au niveau de ce lien avec la violence. Vouloir faire changer d’idées pour en proposer d’autres, cela revient à entrer dans « un contre-discours » qui ne fonctionne pas, d’après nous, et qui risque même de renforcer ces idées radicales, tout en bloquant le dialogue et la rencontre que nous recherchons.

JeL : Parallèlement à vos interventions auprès de professionnels ou de familles, vous rencontrez des personnes directement concernées par des faits de terrorisme, des personnes incarcérées ou sous mandat judiciaire. Elles vous contactent via une association, un avocat, une connaissance. Comment cela se passe-t-il ?

A.J. : Nous avons beaucoup réfléchi à la manière de faire pour pouvoir entrer en contact avec ces personnes poursuivies ou condamnées pour des faits de terrorisme.

Qu’elles fassent la démarche de nous contacter est déjà très intéressant pour pouvoir créer et travailler le lien !

Ensuite, nous essayons vraiment de partir de chacun, de sa situation et de voir ce que l’on peut faire, au point de départ, pour l’aider. Cela peut être des démarches très variées, d’aide administrative, sociale, juridique. Cela peut aussi être une recherche d’espace de parole, de compréhension du « comment » ces personnes en sont arrivées là où nous les rencontrons.

L’idée, c’est de créer un lien de confiance pour leur proposer progressivement un
soutien dans leur propre compréhension de ce qui les a amenées à se retrouver en détention ou sous mandat judicaire. Qu’est-ce qui a fait, dans l’idéologie concernée, écho à leurs besoins au regard de leur propre parcours ? On essaie de ne pas imposer notre lecture, on propose parfois des pistes.

Comprendre et s’approprier son passé peut permettre de mieux se situer par rapport à ce passage de leur vie et, par ailleurs, de mieux se projeter dans l’avenir et d’essayer de se réengager dans la société pour y trouver sa place, sans passer par la violence, mais en étant conscient et en essayant de répondre à ses besoins.

L’importance de l’équipe pluridisciplinaire se manifeste dès le premier contact, lorsqu’on envisage la manière de répondre aux premières demandes. Grâce à un de nos intervenants sociaux ou à notre juriste, par exemple, on peut déjà répondre à une série de demandes. Il y a aussi des personnes en détresse psychologique, parce qu’elles sont à l’isolement par exemple, que nous orienterons vers un de nos psychologues.

Dans un premier temps nous essayons vraiment de répondre aux premières demandes, le plus concrètement possible et puis, nous sommes sensibilisés, dans l’équipe, à travailler ensemble quelles que soient nos formations, à nous entraider pour pouvoir proposer aux personnes de s’ouvrir à lala mise en réflexion de leur parcours biographique…

JeL : Les gens posent-ils la demande de comprendre ?

A.J. : Oui, assez souvent quand même ! Elle n’émerge pas toujours au début de la relation mais vient assez souvent ensuite ; en tous cas, nombreux expriment le besoin d’en parler, de réfléchir sur cette situation.

Il n’y a pas de recette miracle mais notre premier outil, c’est cet espace de parole, sécurisé par le secret professionnel, sans conséquence, c’est-à-dire sans jugement.

Nous portons une casquette identifiable, celle de la question des extrémismes violents. À certains moments, cela peut être embêtant mais à d’autres, cela peut être utile.

Nous ne nous présentons pas comme des experts mais les gens savent que nous savons de quoi nous parlons, ceci grâce au partage d’expériences d’autres personnes que nous accompagnons.

Il ne faut pas oublier que les personnes qui s’adressent à nous portent des « étiquettes » assez importantes et donc, savoir qui nous sommes, peut libérer la parole, sans qu’il n’y ait jugement sur leur parcours, sur ce qu’ils ont fait, tout en essayant de les aider à comprendre.

Plus simplement, les personnes que nous accompagnons nous renvoient aussi souvent : « On vous parle parce que vous nous voyez comme des humains ! » Je trouve que notre principal outil, c’est la relation qu’on va réussir à mettre en place et c’est pour ça qu’il est aussi important de voir qui sera le membre de l’équipe avec lequel l’entame et l’accompagnement vont le mieux fonctionner : certaines personnes n’ont pas du tout envie de voir un psychologue, par contre, elles apprécieront un éducateur. Un premier lien peut ouvrir à d’autres relations, d’autres liens, au sein de notre service ou d’autres services.

Notre travail s’inscrit aussi dans une « clinique du lien », si j’ose dire, en aidant les personnes à faire des liens entre les événements de leur vie mais aussi à refaire des liens avec la société, via notamment des services ou des professionnels diversifiés.

Cette personne qui ne voulait pas voir de « psy », peut-être souhaitera-t-elle plus tard en consulter un, grâce au lien tissé avec un éducateur et au travail fait ensemble…

Mais tout cela demande aussi du travail en équipe pour décoder les demandes, débriefer les entretiens, et pour garder une position d’ouverture tout au long de l’accompagnement. Nous entendons des choses qui ne sont pas toujours faciles à entendre tant sur le parcours des personnes que sur les faits commis, donc c’est aussi important que l’on puisse avoir une équipe pour déposer, débriefer et ensuite rebondir de la manière la plus professionnelle possible.

Dans beaucoup de parcours, les gens expliquent comment, à un moment donné, ils se sont questionnés par rapport à l’idéologie à laquelle ils ont adhéré. Le point de départ est souvent une rencontre, une personne qui n’appartient pas à « leur groupe ». En prison, ce peut être un conseiller, parfois musulman mais aussi parfois laïque ou catholique, un agent pénitentiaire qui prend le temps de discuter, un membre de la direction de la prison ou une personne d’un service psychosocial qui va poser un regard différent, en enlevant un peu l’étiquette dont je parlais en disant juste, par exemple, « Explique-moi… ».

Les avocats aussi ont un rôle intéressant, je trouve. Ils vont souvent être la première
personne qui représente en quelque sorte le système judiciaire, qui va à leur rencontre et qui leur parle de leurs droits. Défendre leurs droits et se battre à leurs côtés pour leur respect, cela permet de remettre du lien avec le système judiciaire, de montrer que celui-ci comporte aussi des droits et petit à petit de pouvoir envisager « le système » sous des angles différents.

Cette ouverture par rapport à la Justice permet, je pense, de mieux comprendre son fonctionnement et donc de mieux comprendre sa propre condamnation pour essayer de se « l’approprier » et de lui donner une place, un sens dans sa vie.

JeL : Avez-vous des exemples de parcours ?

A.J. : Derrière les infractions « terroristes », il y a des faits très différents, qui vont d’une présence plus ou moins longue en zone de guerre à des faits sur internet, par exemple.

Derrière un même type de faits, il y a aussi des parcours très différents.

C’est pourquoi nous ne travaillons pas avec des grilles, des hypothèses toutes faites.

Ceci dit, nous constatons des éléments qui peuvent être communs dans plusieurs parcours : un sentiment d’injustice, une recherche de sens, un besoin de valorisation, qui peut pousser à adhérer à un groupe au sein duquel on se sent reconnu.

De ce que les personnes partagent avec nous, on peut dire, je pense, que ces éléments communs vont être « activés » variablement suivant les parcours. Je parle souvent de « moteurs biographiques » diversifiés. Un de ces moteurs, pour les situations de départs en Syrie, peut être marqué par une recherche de place dans notre société à laquelle a répondu, en quelque sorte, une socialisation entre pairs dans l’engagement idéologique.

Par exemple, en 2012 et 2013, plusieurs personnes sont parties en Syrie, de jeunes adultes qui avaient commencé des études et se sont notamment sentis en décalage à l’issue de leurs études secondaires, dans l’entame d’études supérieures.

Parallèlement à ce sentiment de décalage, des personnes de leur quartier ou de l’entourage amical de leur enfance ont pu représenter des repères, voire un refuge.

Ensemble ou par l’intermédiaire de l’un d’entre eux, ils ont commencé à s’intéresser à des discours assez radicaux qui faisaient écho à leur ressenti, puis certains se sont retrouvés à aider d’autres jeunes à partir, puis à partir eux-mêmes.

À l’époque, plusieurs sont partis dans un idéal de société mais, arrivés sur place, ils ont été confrontés à une autre réalité. Plusieurs sont revenus assez rapidement mais sont restés en lien avec les personnes sur place, leurs amis au départ. Ils ont été en détention préventive puis remis en liberté puis condamnés, parfois pour cinq à huit ans de prison.

D’autres ont un parcours scolaire plus difficile dès l’adolescence, ils ont cherché du boulot, n’en ont pas trouvé et ont pu ressentir un grand sentiment d’injustice. Ils ont rencontré des personnes qui ont touché ce sentiment : « Tu vois, tu n’as pas ta place ici ».

Ce ne sont ici que quelques exemples de parcours car il y a d’autres « moteurs » biographiques d’engagement.

Par ailleurs, individuellement, chacun a des explications plus subjectives, en lien avec son histoire familiale, comme le fait d’avoir grandi avec l’absence d’un parent ou de ressentir au sein de sa famille un manque de spiritualité, de religion ou de liens avec son histoire transgénérationnelle.

Certains expriment avoir ressenti un important besoin de sens, voire une quête identitaire et dans ce cheminement, ils ont pu entrer en contact avec des personnes influentes, qui vont précisément leur proposer ce « sens », et petit à petit, être attirés par un autre projet de société.

JeL : Vous aidez aussi des professionnels et des parents

A.J. : Oui, eux aussi nous contactent par téléphone et je tiens à dire que la permanence téléphonique est un vrai métier : il faut pouvoir écouter une personne souvent en stress, en questionnement, en difficulté, lui permettre de déposer un ressenti difficile, et c’est déjà une aide. Il s’agit alors de l’aider à analyser la situation et à faire la part des choses entre ses propres peurs, ses propres émotions et la situation, les faits qui font penser à un problème. L’entretien téléphonique peut déjà aider à mettre les choses à plat.

Nous prenons le temps de poser des questions autour de la situation, pour analyser les faits et voir comment les professionnels peuvent mobiliser leurs propres compétences dans cette situation.

Notre objectif n’est pas de d’office proposer de prendre en charge le jeune qui pose question à un éducateur, par exemple, mais nous cherchons avec lui quels sont les possibles leviers d’action, en examinant le cercle de vie du jeune, ses propos, ses comportements mais aussi ses ressources, ses liens familiaux, amicaux ainsi que le relationnel qui existe avec ce professionnel car ce lien peut être précieux pour dialoguer avec le jeune concerné.

Nous travaillons de la même manière avec les parents, en voyant d’abord avec eux comment parler de cette situation au jeune parce que souvent, cette dernière inquiète tellement qu’on n’ose pas en parler.

Et parfois, on découvre que certains propos sont des appels à l’aide avec d’autres problématiques derrière…

Votre point de vue

  • Skoby
    Skoby Le 11 février 2021 à 16:15

    Je pense que la CAPREV essaye de faire un bon boulot. Mais si dans de nombreux
    cas de violence, la CAPREV peut jouer un rôle important pour la personne condamné à quelques années de prison, je pense que les musulmans qui ont commis des attentats
    terroristes, ne pourront que très difficilement profiter d’une aide pareille.
    En effet pour ceux-là c’est une question de religion, de croyance fanatisée, résultat
    d’un milieu familial et éducationnel.

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Thérèse Jeunejean


Auteur

Diplômée en psycho-pédagogie et journaliste, elle a été la première plume en Belgique francophone à mettre l’actualité socio-économico-politique à la portée d’un jeune public. Sur Questions-Justice, elle décode aujourd’hui le fonctionnement de la justice.

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