La Cour constitutionnelle « botte en touche » : elle valide la loi spéciale sur la nomination des bourgmestres de la périphérie

par Valéry Vander Geeten - 15 mai 2014

Le refus de nomination de bourgmestres de certaines communes à facilités autour de Bruxelles empoisonne la vie politique nationale et locale depuis de nombreuses années. Pour tenter de régler ces questions, une loi spéciale a été adoptée le 19 juillet 2013, qui donne un rôle au Conseil d’État, allant au-delà de ses prérogatives habituelles, lorsqu’il est saisi par un candidat bourgmestre non nommé.

Cette loi vient d’être validée par deux arrêts de la Cour constitutionnelle, le 3 avril 2014.

Que contient cette loi spéciale ? Que contiennent ces arrêts ? Valéry Vander Geeten, avocat au barreau de Bruxelles, répond à ces questions.
Il appartient à présent au Conseil d’État de se prononcer, conformément à cette loi, sur la non-nomination des bourgmestres concernés.

1. Les deux arrêts de la Cour constitutionnelle ont été rendus le 3 avril 2014 et portent les nos 57/2014 et 58/2014 ; ils concernent la loi spéciale du 19 juillet 2012 instaurant un mode particulier de nomination des bourgmestres des six communes dites « à facilités » de la périphérie bruxelloise, à savoir les communes de Drogenbos, Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Wemmel et Wezembeek-Oppem.

2. La loi spéciale précitée maintient la compétence du Gouvernement flamand de nommer les bourgmestres dans ces communes mais permet, en cas de refus de nomination, au bourgmestre d’introduire un recours devant l’assemblée générale de la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat, laquelle peut rendre une décision définitive de nomination. Il a été fait allusion déjà à cette loi sur Justice-en-ligne dans l’article suivant de Jérôme Sohier : « Communes à facilités et circulaire Peeters : les élections de Wezembeek-Oppem en justice ».

Que dit cette loi spéciale ?

La procédure prévoit tout d’abord l’adoption par le conseil communal d’un acte de présentation d’un bourgmestre « désigné » (celui-ci exerce dès ce vote toutes les fonctions dévolues au bourgmestre), lequel est transmis au Gouvernement flamand. Celui-ci dispose alors d’un délai de soixante jours pour procéder à la nomination du bourgmestre ou notifier une décision de refus. A défaut de décision dans le délai imparti, la loi précise que le bourgmestre désigné est définitivement nommé.

Dans l’hypothèse d’un refus de nomination, le Gouvernement flamand doit notifier sa décision notamment au bourgmestre désigné. À la suite de cette notification, l’intéressé peut introduire dans un délai de trente jours un mémoire auprès de l’assemblée générale de la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat. En l’absence de mémoire déposé dans le délai imparti, le refus de nommer devient définitif et le conseil communal doit voter un nouvel acte de présentation. Si le Conseil d’Etat est régulièrement saisi et qu’il estime irrégulier le refus de nomination, il rend alors un arrêt prononçant la nomination définitive du bourgmestre.

3. Cette procédure présente ainsi la particularité de rendre compétent l’assemblée générale de la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat pour procéder elle-même à la nomination définitive du bourgmestre et non, comme c’est habituellement le cas, pour annuler le refus du Gouvernement flamand : dans la plupart des cas, en effet, le Conseil d’État voit ses pouvoirs limités à l’annulation de l’acte administratif attaqué devant lui. Il s’agit donc d’une compétence dite dans le jargon « de pleine juridiction », qui permet au Conseil d’Etat de réformer l’acte et non simplement de le mettre à néant en renvoyant la cause vers l’administration pour lui permettre de reprendre éventuellement un autre acte.

4. Saisie par un recours en annulation et par des questions préjudicielles posées par le Conseil d’Etat, la Cour constitutionnelle a donc été invitée à se prononcer sur la constitutionnalité de la loi spéciale du 19 juillet 2012. En effet, la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle permet à une juridiction de poser une question préjudicielle à la Cour sur la conformité d’une norme de nature législative au regard des règles dont elle assure le contrôle. La procédure en cours devant la juridiction est suspendue le temps de l’examen de cette question par la Cour et elle ne reprend que lorsque l’arrêt de la Cour est notifié à la juridiction. Cette dernière doit alors se conformer à l’arrêt rendu pour résoudre le litige.

Dans le cas présent, plusieurs bourgmestres visés par la nouvelle procédure de nomination ont introduit un recours devant l’assemblée générale du Conseil d’Etat à l’encontre du refus de les nommer par le Gouvernement flamand, ce qui a conduit le Conseil d’Etat à poser deux questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle.

5. Dans ses arrêts du 3 avril 2014 (n° 57/2014 et n° 58/2014), la Cour rappelle qu’elle n’est pas compétente pour contrôler une disposition de la Constitution ou un choix découlant du Constituant lui-même (c’est-à-dire des assemblées législatives modifiant la Constitution).

En effet, la Cour souligne qu’il ressort des travaux parlementaires ayant précédé l’adoption de la loi spéciale concernée que le Constituant connaissait les dispositions relatives à cette loi spéciale, entrées en vigueur le même jour que la révision de l’article 160 de la Constitution, et qu’en adoptant cette dernière révision, il s’en est approprié les choix relatifs aux compétences nouvelles et aux modalités de délibération de l’assemblée générale de la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat.

S’agissant d’une limitation des compétences de la Cour constitutionnelle, lesquelles doivent s’interpréter restrictivement, la Cour précise néanmoins que la loi spéciale n’échappe à son contrôle que dans les domaines précités où le Constituant s’est approprié les choix du législateur spécial.
Or, les dispositions critiquées devant la Cour portaient essentiellement sur les nouvelles compétences et nouvelles règles de fonctionnement du Conseil d’Etat de sorte que la Cour s’est déclarée incompétence pour contrôler ces dispositions.

6. Pour le surplus, la Cour a estimé que l’interprétation donnée par le Conseil d’Etat de la mesure transitoire prévoyant que le refus de nomination antérieure à l’entrée en vigueur de la loi spéciale ne peut être invoqué pour justifier le refus de nomination d’un bourgmestre était manifestement erronée en ce qu’il excluait de tenir compte du comportement de l’intéressé au cours de la période antérieure à l’entrée en vigueur de la loi. En raison de cette lecture manifestement erronée de cette disposition, la Cour a jugé que celle-ci n’appelait pas de réponse.

7. Même si la Cour « botte en touche » et ne se prononce pas à proprement parler sur la constitutionnalité de la loi spéciale en cause, on peut néanmoins approuver la position de la Cour dès lors qu’il ne lui incombe pas de contrôler la Constitution ou les dispositions qui lui sont étroitement liées en raison de la volonté même du Constituant. Comme la Cour l’a rappelé, cette nouvelle procédure concrétise un des points de l’accord institutionnel de la sixième réforme de l’État, vise la recherche d’un indispensable équilibre entre les intérêts des différentes communautés et régions au sein de l’État belge et tend à éviter de nouveaux affrontements communautaires. Il aurait donc été préjudiciable de remettre en cause ce point de l’accord, fruit d’un compromis difficile et approuvé expressément par le Constituant.

Votre point de vue

  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 22 mai 2014 à 15:33

    Le seul regret, mêlé d’inquiétude, que j’ai est que le monde judiciaire intervient dans le débat politique, soi-disant démocratique...Où est la séparation des pouvoirs ??? Regrettable qu’il faille une (des ?) loi(s) pour se mêler du résultat d’élections, du résultat de la décision, du choix, de la volonté des électeurs...Et à part cela, on nous embrouille avec l’indépendance des pouvoirs...On se fiche de nous à tous les niveaux...

    Répondre à ce message

  • skoby
    skoby Le 20 mai 2014 à 18:25

    Il est temps que cette nouvelle loi soit enfin appliquée.
    A quoi sert-il de voter, si notre "démocratie" ne respecte pas le résultat des
    élections en refusant la nomination de bourgmestres présentés suite à ces
    élections.

    Répondre à ce message

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Valéry Vander Geeten


Auteur

Avocat
Assistant à l’Université libre de Bruxelles

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