La dénonciation en matière de terrorisme : coup d’arrêt de la Cour constitutionnelle

par Elise Delhaise - 1er août 2019

La Cour constitutionnelle, par son arrêt n° 44/2019 du 14 mars 2019, a annulé l’obligation de communication active dont sont titulaires les travailleurs sociaux en vertu de l’article 46bis/1 du Code d’instruction criminelle.

Retour, sous la plume d’Élise Delhaise, assistante-doctorante à l’Université de Namur, sur le champ d’application de cette obligation et le signal envoyé par la juridiction constitutionnelle au législateur.

1. L’article 46bis/1 du Code d’instruction criminelle impose deux obligations (passive aux paragraphes 1er et 2, active au paragraphe 3) aux travailleurs sociaux :
 premièrement, ceux-ci sont tenus de divulguer certaines informations suite à une requête écrite du procureur du Roi ; le non-respect de cette obligation est pénalement sanctionné d’une amende de vingt-six à dix mille euros ;
 deuxièmement, les membres du personnel des institutions de sécurité sociale doivent communiquer les informations pouvant constituer des indices sérieux d’une infraction terroriste visée au livre II, titre Ierter, du Code pénal.

2. Le commentaire qui suit se concentrera exclusivement sur cette seconde obligation de communication active.

3. Plusieurs observations peuvent être effectuées concernant le champ d’application de cette obligation :

4. Qui sont les travailleurs sociaux visés ?

Les débiteurs de cette obligation sont les travailleurs des institutions de sécurité sociale visées à l’article 46bis/1, § 1er, du Code d’instruction criminelle. Nous pouvons citer, par exemple les travailleurs des CPAS, de l’ONEM, de l’ONSS ou de l’INAMI.

5. Dans quels cas sont-ils tenus de communiquer les informations ?

Les travailleurs sociaux sont tenus de communiquer certaines informations lorsqu’ils en prennent connaissance et qu’elles peuvent constituer des indices sérieux d’une infraction terroriste visée au livre II, titre Ierter, du Code pénal.

6. Quelles sont les informations « communicables » ?

Le paragraphe 3 renvoie au paragraphe 1er de cet article 46bis/1.

En vertu des travaux préparatoires de la loi 17 mai 2017 ‘modifiant le Code d’instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme’, qui a introduit cet article 46bis/1 dans le Code d’instruction criminelle, sont visées les informations suivantes : les adresses connues, l’adresse du domicile, les données d’identité, les données communiquées dans le cadre d’une demande à une institution et les données relatives à une allocation obtenue ou refusée.

Est cependant exclue une série d’informations : les confidences de l’intéressé, les informations relatives à son état d’esprit ou à sa psychologie, son attitude lors des entretiens et les données médicales à caractère personnel, à savoir « toutes données sociales concernant une personne physique identifiée ou identifiable et dont on peut déduire une information sur l’état antérieur, actuel et futur de sa santé physique ou psychique, à l’exception des données purement administratives ou comptables relatives aux traitements ou aux soins médicaux ».

7. Selon quelle procédure la communication doit-elle s’effectuer ?
La déclaration doit s’effectuer conformément à l’article 29 du Code d’instruction criminelle, instituant une obligation de dénonciation des crimes et des délits, notamment pour les fonctionnaires et officiers publics.
Cette dénonciation prend la forme d’un avis transmis au Procureur du Roi compétent, accompagné de tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.

8. Est-ce une obligation pénalement sanctionnée ?

Cette obligation active n’est assortie d’aucune sanction pénale.

9. Quid de la violation du secret professionnel ?

Le secret professionnel n’étant pas absolu, l’article 458 du Code pénal prévoit que la loi peut ordonner ou autoriser les dépositaires de ce secret à dévoiler des informations couvertes par le secret professionnel.
Nous sommes ici en présence d’une telle exception, l’article 46bis/1 du Code d’instruction criminelle sommant les travailleurs sociaux de communiquer des informations en matière de terrorisme.

Cependant, précisons que, si ces travailleurs venaient à dévoiler des informations couvertes par le secret sans respecter les conditions d’application de cet article (divulgation d’informations en cas d’indices sérieux d’infractions terroristes), ils s’exposent à la peine prévue à l’article 458 du Code pénal, à savoir une peine d’emprisonnement d’un an à trois ans et/ou une peine d’amende de cent euros à mille euros.

10. C’est sous cet angle de la violation du secret professionnel que différents CPAS ont introduit un recours devant la Cour constitutionnelle.

Ils alléguaient une violation du principe de légalité en raison du manque de précision de certaines notions, notamment celle d’ « indices sérieux d’infractions terroristes ». Les travailleurs sociaux peuvent divulguer des informations couvertes par le secret uniquement dans le cas d’indices sérieux d’infractions terroristes. S’ils divulguent des informations, sans que les indices soient sérieux ou qu’ils ne constituent des indices d’infractions terroristes, ils encourent la sanction pénale de l’article 458 du Code pénal. Par conséquent, les requérants estiment que l’expression « indices sérieux d’infractions terroristes » ne permet pas aux travailleurs sociaux de prévoir si leur comportement sera ou non répréhensible.

11. La Cour constitutionnelle rappelle que « le principe de légalité impose que la loi pénale doit être formulée en des termes qui permettent à chacun de savoir, au moment où il adopte un comportement, si celui-ci est ou non punissable ».

Elle précise que les infractions terroristes sont des infractions complexes et requièrent la réunion de plusieurs éléments constitutifs. Or, elle estime que les travailleurs sociaux n’ont « ni la compétence, ni les moyens nécessaires » pour évaluer si le comportement d’un allocataire ou d’un assuré social est constitutif d’une infraction terroriste visée au livre II, titre Ierter, du Code pénal. Ils ne peuvent donc évaluer s’ils commettent ou non une infraction en divulguant des informations couvertes par le secret professionnel.

Par conséquent, la Cour annule cette obligation de communication active à charge des travailleurs sociaux.

12. Nous constatons, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, l’introduction de nouveaux mécanismes de dénonciation, à l’image du régime des repentis ou de cette obligation de communication pour les travailleurs sociaux.

Cet arrêt de la Cour constitutionnelle nous semble être un signal fort envoyé au législateur pour deux raisons.

Premièrement, il est bon de lui rappeler que, même au nom de la lutte contre le terrorisme, le respect des droits et libertés fondamentaux prime (le principe de légalité dans le cas de cet arrêt).

Ensuite, la Cour insiste sur le fait que les travailleurs sociaux ne sont pas des juristes de formation. La lutte contre le terrorisme ne peut justifier que chacun puisse détecter et qualifier des comportements dits « suspects ». Quels seraient alors les prochains professionnels visés par une telle obligation ?

La Cour constitutionnelle a, à raison, refermé la porte ouverte par le législateur. Puisse ce double signal être entendu lors de cette nouvelle législature.

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Elise Delhaise


Auteur

assistante-doctorante à l’Université de Namur

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