1. M. Ouabour, ressortissant marocain, avait été condamné en 2007 en Belgique à une peine de six ans d’emprisonnement du chef de participation aux activités d’une organisation terroriste et d’appartenance à une association de malfaiteurs.
Dès 2005, le Maroc avait émis un mandat d’arrêt international à son encontre et demandé son extradition à la Belgique, en raison notamment des activités terroristes dans lesquelles il était impliqué.
À la suite de l’adoption en 2009 d’un arrêté ministériel autorisant son extradition, l’intéressé s’adressa à la Cour européenne des droits de l’homme après avoir utilisé en vain les recours que le droit belge lui offrait. M. Ouabour soutenait notamment que son extradition vers le Maroc l’exposerait à un risque réel d’être soumis à des actes constitutifs de torture, de peines ou traitements inhumains ou dégradants, en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.
2. Pour parvenir au constat de violation de cette dernière disposition, la Cour européenne s’est fondée sur diverses sources concordantes : rapports et décisions d’organes des Nations Unies (Comité contre la torture, Comité des droits de l’homme, Rapporteur spécial sur la torture, etc.), rapports d’organisations internationales non gouvernementales (Amnesty International, Human Rights Watch).
Contrairement à ce que le Gouvernement belge soutenait, la Cour a estimé que les allégations du requérant ne reposaient pas uniquement sur la situation générale dans le pays de destination, mais également sur une série d’éléments attestant que le Maroc pratiquait systématiquement la torture à l’endroit des personnes impliquées dans des activités terroristes, catégorie à laquelle appartenait indiscutablement M. Ouabour.
3. Faut-il s’étonner de cette décision, à l’heure où la lutte contre le terrorisme revêt une importance majeure dans les Etats européens ?
En réalité, l’arrêt Ouabour s’inscrit dans le droit fil d’une jurisprudence constante et déjà ancienne de la Cour européenne des droits de l’homme.
Depuis la fin des années ’80, il est en effet établi qu’un État partie à la Convention européenne ne saurait procéder à une mesure d’éloignement d’un étranger vers un Etat non partie si l’intéressé y encourt un risque sérieux et avéré pour sa vie ou son intégrité physique.
4. Cette jurisprudence procède de la logique suivante.
La Convention européenne des droits de l’homme ne reconnaît à aucun étranger un droit à s’établir ou à demeurer sur le territoire d’un État partie à cette Convention. Toutefois, lorsqu’un tel État prend une mesure d’expulsion ou d’extradition, il pose un acte de souveraineté et doit dès lors s’assurer que, par ricochet, les étrangers qui en seraient l’objet ne seront pas victimes, dans le pays de destination, d’une atteinte à leur vie ou à leur intégrité physique. Bien entendu, il incombera à l’intéressé d’établir à l’aide d’éléments solides la réalité de la menace.
5. Par ailleurs, les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme relatives à l’intégrité physique revêtent un caractère absolu, en ce sens que les États ne peuvent y déroger. Pour cette raison, tout en reconnaissant aux États parties le droit de faire preuve d’une grande fermeté en matière de lutte contre le terrorisme, la Cour européenne refuse d’infléchir la portée de ces dispositions en fonction de la gravité des agissements des personnes impliquées dans des activités terroristes.
6. Contrairement aux affaires dans lesquelles la Cour se prononce sur une violation déjà commise, la jurisprudence en matière d’éloignement d’étrangers permet d’éviter une atteinte future aux droits et libertés de la personne concernée. La Cour relève en effet, au conditionnel, que la mise en œuvre par la Belgique de la mesure d’extradition entraînerait une violation de l’article 3 de la Convention.
Telle est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans ce type d’affaires, la Cour prend généralement soin d’édicter dès le début de la procédure une mesure provisoire, indiquant à l’État concerné qu’il y a lieu de ne pas éloigner l’intéressé avant l’issue définitive de l’affaire. Ce fut le cas dans l’affaire Ouabour où, contrairement au cas de M. Trabelsi dont il a été question précédemment dans Justice-en-ligne , la Belgique s’est conformée à la mesure en s’abstenant de déférer à la demande d’extradition du Maroc.
7. On relèvera enfin que cette jurisprudence relative à l’éloignement des étrangers a des implications importantes dans le cadre des règles de l’Union européenne relatives au traitement des demandes d’asile (règlement dit « Dublin II » de l’Union européenne). Dans l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce également évoquée précédemment sur Justice-en-ligne, la Cour européenne des droits de l’homme a ainsi retenu la responsabilité de la Belgique pour avoir transféré vers la Grèce, en application dudit règlement, un ressortissant afghan entré par la Grèce sur le territoire de l’Union européenne et s’étant ensuite rendu en Belgique où il avait introduit une demande d’asile. La Cour a en effet estimé que l’Etat procédant à un tel transfert, cette fois auprès d’un État partie à la Convention européenne des droit de l’homme, n’était pas dispensé de vérifier concrètement si l’intéressé n’y encourait pas un risque sérieux d’atteinte à son intégrité physique.
Votre point de vue
Yan Le 30 juin 2015 à 19:54
Je reconnais qu’il aurait mieux fallu livrer le ressortissant marocain à son pays d’origine...mais bon, c’est souvent très compliqué. La France, si je me rappelle bien, avait le même soucis avec un Français qui a été condamné en Indonésie pour traffic de drogue, le problème, c’est que chez eux c’est la peine de mort, je ne sais même plus la suite de l’histoire.
Yannick de Vendôme
Répondre à ce message
Guy Laporte Le 28 juin 2015 à 10:41
Extrait de l’arrêt de la CEDH du 2 juin 2015 :
Début de citation :
2. Appréciation de la Cour
a) Rappel des principes généraux
62. Il est de jurisprudence constante que la protection contre les traitements prohibés par l’article 3 est absolue et qu’il en résulte que l’éloignement d’une personne du territoire par un État contractant peut soulever un problème au regard de cette disposition, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire que l’intéressé, si on l’éloigne vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 88, série A no 161).
63. Par ailleurs, la Cour rappelle qu’elle est pleinement consciente des difficultés que les États rencontrent pour protéger leur population contre la violence terroriste, laquelle constitue en elle-même une grave menace pour les droits de l’homme. Elle se garde donc de sous-estimer l’ampleur du danger que représente le terrorisme et la menace qu’il fait peser sur la collectivité (Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, no 8139/09, § 183, CEDH 2012 (extraits), et références citées). Elle considère qu’il est légitime, devant une telle menace, que les États contractants fassent preuve d’une grande fermeté à l’égard de ceux qui contribuent à des actes de terrorisme (idem). Enfin, la Cour ne perd pas de vue les fondements de l’extradition qui sont d’empêcher les délinquants en fuite de se soustraire à la justice ni l’objectif bénéfique qu’elle poursuit pour tous les États dans un contexte de la criminalité internationale (consulter sur ce point, Soering, précité, § 89).
64. Aucun de ces éléments ne saurait toutefois remettre en cause le caractère absolu de l’article 3. Comme la Cour l’a affirmé à plusieurs reprises, cette règle ne souffre aucune exception. Il y a donc lieu de réaffirmer le principe maintes fois exprimé depuis l’arrêt Chahal c. Royaume-Uni (15 novembre 1996, §§ 80-81, Recueil des arrêts et décisions 1996-V) selon lequel il n’est pas possible de prendre en compte les agissements de la personne considérée, aussi indésirables ou dangereux soient-ils, ni de mettre en balance le risque de mauvais traitements et les motifs invoqués pour l’éloignement afin de déterminer si la responsabilité de l’État est engagée sur le terrain de l’article 3 (Saadi, précité, § 138 ; voir également Daoudi c. France, no 19576/08, § 64, 3 décembre 2009, et M.S. c. Belgique, no 50012/08, §§ 126-127, 31 janvier 2012).
65. La Cour rappelle en outre les enseignements de l’arrêt Saadi précité (§§ 129-132) dans lequel elle a expliqué la manière dont il convenait d’évaluer s’il y avait des motifs sérieux de croire qu’un requérant, si on l’éloigne vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Pour ce faire, l’examen doit porter sur les conséquences prévisibles du renvoi du requérant dans le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans celui-ci et des circonstances propres au cas de l’intéressé. C’est au requérant qu’il appartient en principe de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il serait exposé à un risque de traitement contraire à l’article 3, à charge ensuite pour le Gouvernement de dissiper les doutes éventuels au sujet de ces éléments. Il ne suffit pas de faire valoir la situation générale du pays de renvoi ou une simple possibilité de mauvais traitements en raison de la conjoncture dudit pays pour établir en soi une violation de l’article 3 ; dans le cas où un requérant fait état d’allégations spécifiques telles que, comme en l’espèce, l’appartenance à un groupe systématiquement exposé à des pratiques de mauvais traitements, ces allégations doivent être corroborées par des éléments de preuve.
66. Pour ce qui est du moment à prendre en considération, il faut se référer en priorité aux circonstances dont l’État en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de l’éloignement. Toutefois, si le requérant n’a pas été extradé ou expulsé au moment où la Cour examine l’affaire, la date à prendre en compte est celle de l’examen de l’affaire par la Cour (Chahal, précité, §§ 85-86, Saadi, précité, § 133). Pareille situation se produit généralement lorsque, comme dans la présente affaire, l’expulsion ou l’extradition est retardée par suite de l’indication d’une mesure provisoire par la Cour conformément à l’article 39 du règlement. Partant, s’il est vrai que les faits historiques présentent un intérêt dans la mesure où ils permettent d’éclairer la situation actuelle et son évolution probable, ce sont les circonstances présentes qui sont déterminantes (Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, § 69, CEDH 2005 ?I, Saadi, précité, § 133, et Khaydarov c. Russie, no 21055/09, § 100, 20 mai 2010).
Fin de citation
On relève en outre dans le dispositif (partie finale et décisoire de l’arrêt) que : "que l’État défendeur (ndlr : la Belgique) doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens (ndlr essentiellement les frais et honoraires d’avocat)
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;"
Ce M. Ouabour avait réclamé le double devant la Cour, ce qui donne une idée du caractère lucratif de la profession d’avocat devant la CEDH et des moyens financiers d’un malfaiteur membre d’une organisation terroriste...
Il me semble que la jurisprudence de la CEDH donne à l’article 3 de la Convention européenne un caractère beaucoup trop absolu et un contenu excessivement large, car ce n’est pas l’Etat accordant l’extradition qui commet lui-même une violation directe de cet article 3. Le raisonnement de la Cour est fragile, car il fait appel à un lien de causalité indirect, à une sorte de forte probabilité. L’accroissement du danger terroriste ces derniers temps devrait, espérons-le, conduire la Cour à infléchir en faveur des Etats cette jurisprudence initiée il y a plus de trente ans. }
Guy Laporte Le 28 juin 2015 à 12:33
Lien vers le texte intégral de l’arrêt du 2 juin 2015 :
http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/Pages/search.aspx#{"languageisocode" :["FRA"],"documentcollectionid2" :["JUDGMENTS"],"itemid" :["001-155004"]}
Guy Laporte Le 28 juin 2015 à 12:41
Désolé, le lien n’est pas opérationnel. Merci d’essayer
http:/ h/hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx ?i=001-155004
ou
http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/Pages/search.aspx#{"languageisocode" :["FRA"],"documentcollectionid2" :["JUDGMENTS"],"itemid" :["001-155004"]}
Répondre à ce message
Coli Le 27 juin 2015 à 23:51
Il est temps que les gens ne fassent plus l’amalgame entre les condamnations pour terrorisme et le fait de livrer ces personnes à des traitements inhumains dans un autre pays.
Quelques soient les délits, la torture n’a pas à y faire face ... Si nous n’arrivons pas à respecter l’être humain (en l’envoyant dans un endroit où l’on sait qu’il sera torturé) , sommes nous tellement différents des gens qui ont recours à la violence ?
Quant à ce qui se passe en Tunisie, en France, en Syrie, en Somalie ou au Koweit devait nous laisser indifférents qu’est ce qui nous retiend de bientôt réagir comme l’état islamique (volontairement sans majuscule ...) et se croire tout permis n’importe où. Cela peut aussi arriver chez nous !
Bravo à la Cour européenne qui prend ses responsabilités.
Coli
Répondre à ce message
Gisèle Tordoir Le 27 juin 2015 à 15:34
Nous n’avons pas à nous mêler de la façon dont le Maroc (pour le cas présent) traite ses terroristes. Et si cela passe par la torture, eh bien tant pis pour les terroristes. S’ils sont ressortissants de pays de sauvages, ce n’est pas notre problème...Extrader ce terroriste est indispensable. Qu’il soit jugé et puni dans son pays d’origine. C’est à cela que nous devrions arriver : que toute personne commettant un acte terroriste, criminel, d’incivilité et/ou tout autre sur notre territoire, soit renvoyé d’où il vient, qu’il y soit jugé et surtout qu’il y purge sa peine. Ce n’est pas aux citoyens belges de financer le traitement des terroristes ayant soit la double nationalité (dont la belge qu’on leur a jetée à la figure) soit n’étant pas belges. Retour à Casa...et bon débarras...Il est grand temps de durcir les positions et d’avoir le courage de prendre les décisions ultimes mais si importantes pour que notre pays soit et reste respecté pour ce qu’il est : une très grande nation peuplée de citoyens pleins de bon sens, d’intelligence et capables de sursaut. Quand on voit comment ces terroristes traitent les ressortissants des pays qui les ont (souvent malgré la volonté populaire) accueillis...Nulle place pour un quelconque hypocrite attendrissement neu-neu ou bobo...
Niño Le 27 juin 2015 à 17:54
Donner son avis ne donne pas droit aux insultes ( "pays sauvages "),se sont des propos de ce genre qui aliment la haine et les extrémistes de tout bords .
Gisèle Tordoir Le 27 juin 2015 à 20:33
Si la lucidité et le franc-parler vous paraissent un message de haine et/ou d’extrémisme, vous n’avez rien compris...Je n’ai d’ailleurs pas écrit "pays sauvage" mais "pays de sauvages"...A moins que vous ne préfériez "pays de barbares" ???!!!Même si cela vous choque, je n’insulte pas ; j’exprime, tout simplement, ce que je ressens...Comment qualifier l’attitude de ces musulmans terroristes ??? Quel(s) terme(s) hypocrite(s) accepteriez-vous ? Appelons un chat, un chat...Terrorisme est déjà en soi un modus operandi que l’on doit combattre, entre autres, pour sauver sa peau, son pays...Moi, je le fais par des mots à défaut de pouvoir le faire autrement. Ouvrons les yeux, les oreilles, nos bouches et disons simplement ce que nous n’acceptons et n’accepterons jamais...Moi, c’est mon mode de fonctionnement ; qu’il plaise ou pas n’est pas mon souci. Nous avons la chance de vivre dans un pays où l’on peut encore exprimer son avis, son assentiment ou son refus. Pourquoi, sous le prétexte de quelle sensiblerie devrions-nous nous taire ou adoucir notre discours, nos propos, flatter pour ne pas choquer ? Les terroristes ne se soucient de rien, ne tiennent compte de rien en dehors des promesses débiles d’un "paradis" s’ils tuent les mécréants que nous serions...Allons droit au but et éliminons le terrorisme "religieux"...Pas de pitié pour ces criminels. Il y va de la survie de notre civilisation ouverte, créative, créatrice et accueillante mais nous devons avoir le choix dans l’accueil et dans le rejet de ce qui nous rejette et veut nous détruire. Nulle haine mais simplement un instinct de survie et la prolongation dans le respect des combats menés par nos prédécesseurs pour cette liberté, si chère à payer...Je pense ici, non seulement à moi, aux miens mais aussi aux générations qui me suivent (les enfants de voisins, d’amis, de collègues, e.a.). Ce qui se passe en Tunisie et ailleurs ne m’est pas prioritaire ; c’est vraiment ce qui se passe chez moi, chez nous qui m’est primordial.
Répondre à ce message
Amandine Le 26 juin 2015 à 21:43
Pas de panique ! L’arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme ne met nullement le Maroc dans une situation sans issue : il lui suffirait, pour voir ses demandes d’extradition prises en considération, d’abolir la pratique de la torture sur son territoire. Ne serait-ce pas une bonne idée ?
Répondre à ce message
skoby Le 26 juin 2015 à 09:56
Il est scandaleux pour la Belgique de refuser de livrer au Maroc, un ressortissant
marocain ayant participé à des activités terroristes. Lamentable !
On peut ainsi se bagarrer avec tous les pays de la Terre, et laisser de nombreux
criminels, libres d’agir à leur guise, dans un terrorisme forcéné.
Répondre à ce message