Le principe de primauté du droit de l’Union européenne est-il toujours en vigueur en Pologne ?

par Piotr Bogdanowicz - 8 février 2022

Justice-en-ligne a consacré déjà plusieurs articles à la situation de l’État de droit en Pologne et au conflit qui oppose les autorités polonaises, en ce compris sa Cour constitutionnelle, et les autorités de l’Union européenne, principalement la Commission et la Cour de justice, sur la manière dont la Pologne applique et respecte le droit européen : il est renvoyé à cet égard au dossier « La Pologne, ses magistrats et l’État de droit » du site.

Justice-en-ligne a donné la parole sur ces questions à Piotr Bogdanowicz, professeur associé à l’Université de Varsovie et avocat au barreau de Varsovie, qui est particulièrement bien placé pour faire le point à ce sujet. Il évoque ci-dessous les principales étapes de l’historique de ce conflit et son dernier épisode, à savoir la décision de la Cour constitutionnelle de Pologne du 7 octobre 2021 déniant la primauté du droit européen sur le droit national, qui est pourtant un principe de base de la construction européenne.

1. Le principe de primauté du droit de l’Union européenne sur le droit national (y compris le droit constitutionnel) n’a pas été inscrit dans les traités constitutifs de l’Union européenne. Il constitue pourtant un principe fondamental du droit de l’Union européenne.

Ce principe fondamental trouve sa source dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en permanence développée depuis les années 60. Ainsi, en cas de conflit entre le droit européen et le droit national, les dispositions du droit européen prévalent.

Le principe de primauté du droit de l’Union européenne concerne tous les pouvoirs des États membres, à savoir les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.

2. Malheureusement, ces derniers mois, ce principe est constamment violé par les autorités publiques en Pologne, surtout par le Sejm (chambre basse du Parlement polonais), le gouvernement et la Cour constitutionnelle (Trybunał Konstytucyjny).

3. Par exemple, la Cour de justice de l’Union européenne a maintes fois admis que les juges de la chambre disciplinaire (Izba Dyscyplinarna), créée en décembre 2017 au sein de la Cour suprême (Sąd Najwyższy), n’étaient pas indépendants et impartiaux dans leurs décisions (voir par exemple l’arrêt Commission (européenne) c. Pologne rendu le 15 juillet 2021 dans l’affaire C 791/19) .

Néanmoins, cette chambre disciplinaire continue d’exercer ses fonctions et applique des mesures disciplinaires à l’encontre des juges en les suspendant ou en réduisant leur rémunération uniquement parce qu’ils se conforment aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne concernant l’état de droit en Pologne.

4. La même situation concerne la loi, baptisée la « loi muselière », entrée en vigueur en février 2020.

En pratique, elle interdit aux juges des juridictions de droit commun de contester le statut des juges nommés en violation du droit européen et d’adresser à la Cour de justice de l’Union européenne toute question préjudicielle.

Les juges violant ces interdictions encourent des sanctions disciplinaires, telles que la mise à pied ou la réduction de leurs émoluments, comme mentionné précédemment.

Le 14 juillet 2021, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé, en référé, à titre provisoire, que cette loi viole le droit européen (ordonnance de la vice-présidente de la Cour dans l’affaire C 204/21).

Le 27 octobre 2021, la Pologne a été condamnée à payer à la Commission européenne une astreinte d’un million d’euros par jour.

5. Néanmoins, la « loi muselière » est toujours appliquée par les agents disciplinaires nommés par le ministre de la Justice, les présidents de certains tribunaux (également nommés par le ministre de la Justice) et la chambre disciplinaire.

La Pologne ne paie toujours pas cette astreinte. De la même manière, elle ne paie pas non plus une astreinte de 500.000 euros par jour à laquelle elle a été condamnée par une ordonnance du 21 mai 2021 de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire C-121/21 R , qui l’oblige à l’arrêt de l’extraction du lignite dans la mine de Turów ; Justice-en-ligne a fait écho à cette décision dans un article de Nicolas de Sadeleer, « La Cour de justice de l’Union européenne condamne en référé la Pologne pour ne pas avoir respecté ses obligations procédurales au sujet de l’extraction de charbon près de la frontière tchèque » . Le cumul des astreintes à ce jour se monte à plus de 100 millions d’euros.

6. La décision de la Cour constitutionnelle du 7 octobre 2021 (affaire K 3/21) a été le point culminant des violations du droit européen par les autorités publiques polonaises.

Pour la première fois dans l’histoire, la cour constitutionnelle d’un État membre a jugé illégales des dispositions des traités européens, y compris celles concernant les principes fondamentaux du droit européen : les principes d’état de droit, de coopération loyale et de protection juridictionnelle efficace. Tous ces principes étaient mis en application par la Cour de justice de l’Union européenne dans les arrêts concernant la « réforme » de la justice en Pologne.

Selon la Cour constitutionnelle, qui s’est alignée sur les positions du Premier ministre, la Cour de justice de l’Union européenne agit en dehors du champ d’action dans lequel la Pologne l’a autorisée à agir selon les traités fondateurs de l’Union européenne.

Le contenu de la décision de la Cour constitutionnelle constitue une grave violation du principe de primauté, car celle-ci n’est pas habilitée à statuer de manière autonome sur la légalité des dispositions des traités.

7. La procédure, que la Commission européenne a entamée le 22 décembre 2021 contre la Pologne pour faire constater par la Cour de justice de l’Union européenne la violation de cet important principe du droit européen, n’étonne personne.

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Piotr Bogdanowicz


Auteur

Professeur associé à l’Université de Varsovie, avocat au barreau de Varsovie

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