Le recouvrement forcé des astreintes dues par Fedasil : peut-on saisir les biens d’une institution publique ?

par Émilie Vanhove - 4 avril 2023

Fedasil, l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile, a été condamnée à de nombreuses reprises à offrir immédiatement une aide matérielle aux demandeurs d’asile en attente d’une décision sur leur statut. Justice-en-ligne y a fait écho récemment dans un article d’Hélène Gribomont, « ’Crise de l’accueil’, non-respect des décisions de Justice par Fedasil et mesures provisoires : de Bruxelles à Strasbourg ».
Ces condamnations par la Justice belge ont parfois été assorties d’astreintes, dont les demandeurs d’asile concernés entendent à présent obtenir le paiement puisque Fedasil n’exécutait pas volontairement les condamnations la concernant et ne payaient pas davantage les astreintes en question. C’est ainsi que certains d’entre eux ont fait saisir des biens appartenant à Fedasil.
Émilie Vanhove, assistante à l’Université catholique de Louvain, nous en dit plus ci-dessous sur les possibilités de saisir les biens d’un organisme public tel que Fedasil.

1. L’article 1412bis du Code judiciaire

La saisie de biens d’une personne morale de droit public (l’État, les communautés, les régions, les provinces, les communes, les organismes publics comme par exemple l’INAMI, l’ONEm, la SNCB, la RTBF, etc., et… Fedasil) est encadrée de manière spécifique en droit belge.
Le présent article a pour but de fournir quelques indications sur les conditions dans lesquelles de telles mesures d’exécution forcée sont possibles.
Le siège de la matière se trouve à l’article 1412bis du Code judiciaire depuis une loi du 30 juin 1994. La disposition prévoit un principe d’insaisissabilité des biens appartenant, de manière générale, aux personnes morales de droit public. Il s’agit, selon la Cour de cassation, d’« assurer la permanence des institutions publiques et de leur fonctionnement ».
Cependant, tous les biens appartenant à une institution publique ne sont pas nécessaires pour l’exercice de sa mission. L’on admet que la saisie de ces biens, dès lors qu’elle n’entraverait pas la continuité du service public, doit être possible.
L’insaisissabilité de principe est en conséquence nuancée par le deuxième paragraphe de l’article 1412bis du Code judiciaire. Il impose à l’organe compétent de chaque personne morale de droit public d’établir, sous forme de déclaration, une liste de ses biens qui peuvent être saisis. Cette liste est en principe déposée et peut être consultée, pour Fedasil, au siège de son administration. En cas de saisie portant sur les biens de la liste, l’institution concernée ne peut pas contester le caractère saisissable de ces biens. Elle peut, en revanche, modifier cette liste, qui n’est ni exhaustive, ni définitive tant que les biens qui y figurent n’ont pas été saisis.
À défaut d’une telle déclaration ou si les biens qui y sont repris sont insuffisants pour payer l’intégralité des montants dus, le créancier peut aussi saisir tous les biens qui ne sont manifestement pas utiles à ces personnes morales pour l’exercice de leur mission ou pour la continuité du service public. Dans ce cas, l’institution peut s’opposer à la saisie en arguant, notamment, que les biens n’étaient pas saisissables. Il appartient alors au créancier saisissant de démontrer que les biens qu’il a saisis ne sont pas manifestement utiles à l’exercice de la mission de l’institution concernée ou à la continuité du service public, de sorte qu’il était habilité à les saisir.
L’institution publique peut aussi, à cette occasion, offrir au créancier de saisir un/des autre(s) bien(s). Cette offre lie le créancier, à la condition que le(s) bien(s) se situe(nt) en Belgique et qu’il(s) soi(en)t suffisant(s) pour payer totalement le créancier.

2. Les biens potentiellement saisissables

Pour autant que les conditions posées par l’article 1412bis du Code judiciaire soient remplies, la saisie de biens d’une administration publique s’envisage sur toutes ses catégories de biens.
Il s’agit donc, bien entendu, des biens meubles ou immeubles, mais aussi de créances, telles que des avoirs bancaires. L’absence d’utilité pour la mission de service public sera extrêmement difficile à démontrer mais il a déjà été jugé qu’un compte à vue sur lequel sont versés des excédents budgétaires en vue de générer des intérêts n’a pas d’utilité directe à la mission de service public et, partant, peut être saisi (jugement du tribunal de première instance de Bruxelles du 20 décembre 1990, publié au Rechtskundig Weekblad, 1991-1992, pp. 299 et s.).

3. Compétence limitée du juge des saisies

Lorsqu’il statue sur une opposition à saisie en matière de recouvrement d’astreintes, le juge des saisies, qui est un des juges du tribunal de première instance, n’a qu’une compétence limitée.
Il vérifie si les conditions d’exigibilité, posées par le juge qui l’a prononcée, sont réunies, mais il ne peut la modifier, la diminuer ou l’étendre. Il peut cependant vérifier si, compte tenu d’un élément nouveau, le « titre », c’est-à-dire le jugement prononçant des astreintes, a conservé son actualité et, partant, sa force exécutoire, c’est-à-dire on aptitude à faire l’objet d’une exécution forcée, comme tel est le cas d’une saisie (arrêt de la Cour de cassation du 13 septembre 2019, publié dans la revue de jurisprudence de Liège, Mons et Bruxelles (J.L.M.B.), 2020, liv. 8, 346). Il est également admis qu’il est également compétent pour sanctionner un abus de droit éventuel du créancier saisissant (arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 2019, publié au Rechtskundig Weekblad, 2020-2021, n° 10).

4. Conclusion

En l’espèce, Fedasil a déclaré, en janvier dernier, que les biens saisis sont ceux de la liste qu’elle a dressée, de sorte que l’opposition qu’elle a formée contre cette saisie n’a pas pu être fondée sur le caractère insaisissable des biens concernés.
En revanche, si les montants perçus à l’occasion de ces saisies sont insuffisants, les demandeurs d’asile concernés auront encore la possibilité de saisir, s’ils existent, des biens qui ne se trouvent pas sur la liste, à charge pour eux, en cas d’opposition de Fedasil, de démontrer que ces biens ne sont pas manifestement utiles à l’exercice de la mission de Fedasil.

Votre message

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Votre message

Les messages sont limités à 1500 caractères (espaces compris).

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)

Ajouter un document

Émilie Vanhove


Auteur

Assistante à l’Université catholique de Louvain

Partager en ligne

Articles dans le même dossier

Avec le soutien de la Caisse de prévoyance des avocats, des huissiers de justice et des autres indépendants
Pour placer ici votre logo, contactez-nous