1. Il est devenu banal d’affirmer que l’internet bouleverse les repères qui pouvaient exister dans le paysage médiatique traditionnel. Caractérisé par son aspect multimédia, le support numérique comporte aussi bien des contenus écrits et des images fixes que des contenus audiovisuels (sons et vidéos). Rien d’étonnant dès lors à ce que l’on assiste sur la Toile à un rapprochement entre les activités des acteurs de la presse écrite et celles des entreprises du service public jusqu’ici vouées à la diffusion d’informations par le biais de la radio et de la télévision. Il est en effet devenu fréquent que les contenus audiovisuels mis en ligne par la RTBF se trouvent accompagnés de retranscriptions écrites et d’autres éléments textuels accessoires. A l’inverse, il n’est pas rare de voir les sites web de la presse écrite agrémenter leurs articles écrits de capsules vidéos…
L’importance prise par l’internet dans l’information des citoyens invite ainsi à une réflexion sur la manière dont les pouvoirs publics sont amenés à contribuer au financement des activités de presse qui y sont déployées aussi bien par les médias de service public (à travers l’octroi d’une dotation publique) que par les médias privés (par l’attribution d’« aides à la presse »). Ainsi, les Etats généraux des médias d’information (« EGMI »), organisés sous l’égide du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, avaient déjà permis de mettre en lumière tant la nécessité de retenir une « définition actualisée » des missions du service public et de « soutenir les développements digitaux du service public » que le souci d’éviter que le service public et les aides qui lui sont accordées « ne constituent […] une distorsion de concurrence pour les acteurs privés » (voy. le rapport du premier atelier des EGMI, « Acteurs, marchés et stratégies »).
2. C’est dans ce contexte qu’a été rendu par la Cour d’appel de Mons, le 20 janvier dernier, un arrêt par lequel la juridiction rejette la demande des Journaux francophones belges et les éditeurs de presse (ci-après les « JFB ») tendant à condamner la RTBF à faire cesser ses activités de « presse en ligne » et l’exploitation commerciale de ses activités numériques, pratiques jugées déloyales par les demandeurs.
3. Les JFB invoquent trois arguments à l’appui de leur demande de cessation. Analysons-les successivement en parallèle avec les réponses que la Cour y a apportées.
Les JFB considéraient tout d’abord que, par ses activités de « presse en ligne », la RTBF utilisait de manière illégale la dotation publique qui lui est accordée en contrepartie de sa mission de service public, laquelle ne comprendrait pas l’exercice de telles activités.
La Cour d’appel de Mons a pris appui sur le droit européen pertinent, qui incline vers une approche fonctionnelle de la notion de service public – non limitée à l’audiovisuel classique. Elle a dès lors pu considérer que les termes du décret fixant le statut de la RTBF étaient formulés de manière large et autorisaient à considérer que les activités en ligne de la RTBF s’inséraient aussi bien dans son objet social que dans sa mission de service public.
Opérant une lecture évolutive du décret adopté en 1997 – soit à une époque où l’internet n’en était encore qu’à ses premiers balbutiements –, les juges montois ont relevé que la mission de service public consistant pour la RTBF à fournir au public des programmes de radio et de télévision pouvait être assurée « […] par voie hertzienne, par câble, par satellite ou tout autre moyen technique similaire ».En outre, la juridiction montoise a considéré que le même décret n’excluait pas une activité accessoire comme celle que constitue, d’après elle, l’activité d’information en ligne de la RTBF, dont le site Internet « est principalement composé d’accès à des émissions télévisées et radiophoniques ».
4. Le deuxième argument des JFB tendait à reprocher à la RTBF l’exploitation publicitaire de son site web et en particulier de ses activités de « presse écrite » sur le net.
Ayant déjà conclu à la légalité des activités menées par la RTBF dans l’univers numérique, la Cour d’appel a considéré que le nouveau contrat de gestion 2013-2017 (seul pertinent dès lors qu’il s’agissait en l’espèce d’une action en cessation, c’est-à-dire une demande en justice tendant à mettre fin à une activité illégale) en autorisait expressément l’exploitation commerciale, laquelle, du reste, n’enfreignait en rien le décret statutaire.
5. Les demandeurs en cessation invoquaient enfin la violation des règles européennes du droit de la concurrence qui encadrent l’octroi d’aides d’Etat.
Pour les JFB, l’utilisation par la RTBF de sa dotation publique pour financer ses activités numériques constituait une aide nouvelle qui nécessitait une notification préalable à la Commission européenne. Considérant, quant à elle, les aides litigieuses comme des aides existantes, la Cour d’appel de Mons s’est déclarée sans juridiction pour apprécier leur compatibilité avec les règles européennes sur le marché intérieur, qui proscrivent, sauf exceptions, l’octroi d’aides publiques aux acteurs économiques. Elle a considéré en effet que cette appréciation ressortit à la compétence exclusive de la Commission européenne, laquelle se trouve précisément saisie par les JFB dans le cas d’espèce.
6. Confirmant le jugement du Tribunal de commerce de Charleroi du 30 décembre 2011, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Mons démontre la nécessité d’une réflexion sur la notion de service public à l’heure où les différents médias traditionnels – publics et privés – en viennent à investir l’univers numérique. La décision ne fournit en définitive qu’un élément de réponse parmi d’autres sur la question de l’équilibre à maintenir entre le service public et le secteur privé compte tenu du nécessaire pluralisme des médias (aux termes de l’article 11, § 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, « la liberté des médias et leur pluralisme sont respectés »). Outre un éventuel pourvoi en cassation introduit par les JFB, nul doute que la question connaîtra de nouveaux développements dès lors que, comme on l’a dit, la Commission européenne se trouve saisie de la question du financement des activités de la RTBF sur l’internet et qu’une demande en annulation du nouveau contrat de gestion de cette dernière est pendante devant le Conseil d’Etat…
Affaire(s) à suivre donc…
Votre point de vue
Gisèle Tordoir Le 5 mars 2014 à 14:34
Pour ma part, je déplore les médias, quels qu’ils soient, subventionnés, assistés, sponsorisés car ils sont devenus muselés, contrôlés, bâillonnés...Il n’y a hélas plus place, ou alors à quel prix, en prenant quel(s) risque(s), pour la presse indépendante, libre...Internet ne change pas la donne...
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skoby Le 4 mars 2014 à 12:45
Je comprends le problème, lié à l’évolution des médias.
Mais je ne sais pas ce qu’il faut en penser.
Quel est l’avenir de la presse écrite ???
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