1. Les produits phytopharmaceutiques, ou pesticides, ainsi que les biocides consistent en des mélanges contenant une ou plusieurs substances actives. Parmi ces dernières, le glyphosate se retrouve dans l’herbicide Roundup, qui, commercialisé par Monsanto, est le plus employé dans le monde.
2. Depuis plusieurs années, cette substance secoue le lanterneau scientifique. Alors qu’au mois de mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer de l’organisation mondiale de la Santé (OMS) a considéré que ladite substance devrait être classée comme « cancérogène probable pour l’homme », tant l’Autorité européenne de sécurité des aliments que l’Agence européenne des produits chimiques ont en revanche, conclu que « le glyphosate est peu susceptible de présenter un risque cancérogène pour l’être humain ».
Les méthodologies utilisées par chacune de ces institutions expliquent ces résultats divergents. Forte des avis scientifiques concluant à l’absence d’effets cancérogènes, la Commission européenne a considéré en 2017 comme infondée une initiative citoyenne européenne, organisée par Avaaz et signée par plus d’un million de personnes, laquelle invitait l’exécutif européen à rejeter la demande de réinscription de la substance introduite par Monsanto.
À la suite d’une longue valse-hésitation, la Commission est parvenue à renouveler le 12 décembre 2017 l’inscription du glyphosate pour une durée de cinq ans (règlement d’exécution (UE) n° 2017/2324).
La Région de Bruxelles-Capitale, qui en interdit l’usage (arrêté du 16 novembre 2016), conteste actuellement devant la Cour de justice de L’Union européenne la légalité de cette réinscription.
3. De l’autre côté de l’Atlantique, les procès en responsabilité civile intentés par des agriculteurs et des jardiniers souffrant de leucémie en raison de leur exposition à ladite substance à l’encontre de la société Monsanto, productrice du Roundup, se sont multipliés (4000 à ce jour).
Le 11 août dernier, la Cour suprême de Californie a condamné Monsanto à verser 289 million de dollars de dommages et intérêts à Johnson DeWayne au motif qu’il aurait été victime d’un lymphome non-hodgkinien pour avoir été exposé pendant des années au Roundup dans le cadre de ses activités professionnelles.
4. Dans le cadre d’actions en responsabilité similaires intentées devant une juridiction du Missouri par deux autres victimes du lymphome, la société Monsanto a réclamé à l’ONG Avaaz, devant les juridictions newyorkaises, la communication de toute sa communication interne relative à la substance. On rappellera que cette ONG conteste depuis plusieurs années l’innocuité du glyphosate et qu’elle fut à l’origine de l’initiative citoyenne européenne évoquée ci-dessus. Les informations réclamées par Monsanto comprenaient, entre autres, les noms et courriels des employés de l’organisation et de ses membres, les pétitions, la correspondance avec les pouvoirs publics, les donations, les procès-verbaux, les délibérations relatives à la stratégie de l’ONG, ainsi que les recherches scientifiques menées par cette organisation.
Intentée en vertu du « Uniform Interstate Depositions and Discovery Act » de 2007, cette procédure a permis à la juridiction du Missouri (« trial state subponea ») d’assigner l’ONG Avaaz, partie tierce au procès en responsabilité, vue d’obtenir de la part d’une juridiction de l’État de New York la production des éléments de preuve nécessaires à la solution du litige en responsabilité civile (« discovery state subponea »).
5. La défenderesse (Avaaz) a sollicité devant la Cour suprême de l’État de New York l’annulation du « discovery state subponea » au motif que cette assignation portait atteinte au droit de la liberté d’expression de ses membres découlant du premier amendement à la Constitution américaine, à son droit en tant qu’institution journalistique de ne pas communiquer des informations considérées comme « critiques » pour la défense de la société requérante dans les affaires en responsabilité précitées (« New York’s Reporter’s Shield law »), ainsi que les coûts excessifs entraînés par la recherche et la communication de millions de documents.
Le 6 septembre 2018, la Cour suprême annula l’assignation litigieuse au motif qu’elle ne présentait aucun rapport (« utterly irrelevant ») avec l’action civile intentée devant la juridiction du Missouri : le juge Shlomo S. Hagler estima en effet que communication de millions de documents portait atteinte aux droits fondamentaux de l’ONG. Il insista, en outre, sur l’effet dissuasif considérable (« tremendous chilling effect ») que pourrait avoir une telle action sur la liberté d’expression et la vie privée des membres de l’organisation requérante.
6. On peut se réjouir que la justice newyorkaise ait fait rempart à l’encontre d’une procédure visant à bâillonner un des opposants de Monsanto. L’assignation visait à dissuader l’ONG de faire usage de sa liberté d’expression à propos d’un sujet aussi sensible que l’exposition à l’herbicide le plus utilisé à travers le monde.
L’effet dissuasif d’une telle assignation aurait conduit l’association à s’autocensurer alors que le contrôle de la dissémination des substances dangereuses dans l’environnement est une question d’intérêt général (voy. en droit de l’Union européennel’arrêt du 26 novembre 2016 de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire n° C-442/14 Bayer Crop Science).