Qu’est-ce que la cour d’assises ?
1. La cour d’assises n’est pas un tribunal comme les autres.
La Constitution la réserve aux crimes mais en pratique, par divers mécanismes, ce sont les personnes accusées des infractions les plus graves, en particulier d’assassinat ou de meurtre, qui sont jugées par cette cour. En principe, c’est cette cour qui est également compétente pour les délits de presse et les délits politiques mais il est devenu très rare qu’elle soit réunie pour ce type de procès.
Ce n’est pas non plus une juridiction permanente car elle siège par session consacrée à une affaire déterminée.
Elle est composée de trois magistrats professionnels et d’un jury de douze citoyens tirés au sort. Chaque province compte une cour d’assises de même que l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale.
La procédure présente la particularité d’être complètement orale, les témoins, les parties et leurs avocats étant tous tenus de venir s’expliquer devant les jurés qui décident en fonction de ce qu’ils ont entendu (ils ont cependant le dossier à leur disposition lorsqu’ils délibèrent). Cela fait que des procès complexes peuvent durer des mois.
Les phases du procès d’assises
2. Un procès d’assises comporte plusieurs phases distinctes. On n’abordera ici que les premières.
Lorsque la phase d’enquête (instruction) est terminée, une chambre de la cour d’appel, appelée chambre des mises en accusation, décide s’il existe des charges suffisamment sérieuses pour rendre probable une condamnation. Si tel est le cas, elle renvoie le ou les inculpés devant la cour d’assises.
3. Le procureur général rédige alors un acte d’accusation, consistant en un récit des faits commis, selon lui, par le ou les accusés (c’est ainsi qu’on nomme les personnes qui comparaissent devant la cour d’assises) en pointant les éléments de preuve recueillis lors de l’instruction et qui fondent sa conviction.
C’est le point de vue du parquet, cela ne veut pas dire que les accusés sont coupables. Ce sera le rôle des jurés de le dire à l’issue des débats.
4. Le premier président de la cour d’appel désigne ensuite un juge de cette cour pour présider les débats et deux juges du tribunal correctionnel pour l’assister.
Il fixe aussi la date d’ouverture de la session.
L’audience préliminaire
5. La procédure d’assises pouvant être longue et compliquée, la loi a simplifié le cours du procès, un peu comme on débroussaille un chemin avant de l’emprunter.
Elle a prévu d’organiser une audience préliminaire avant que les jurés soient désignés et entrent en scène (loi du 21 décembre 2009). C’est l’occasion de régler un certain nombre de problèmes de procédure entre professionnels de la justice en vue de faire un sort à des questions techniques et d’assurer plus de fluidité à la procédure devant les jurés.
Il en va ainsi de la confection de la liste des témoins à convoquer, sujet qui polarise souvent les discussions entre le parquet et les avocats de la défense tandis qu’il appartient au président de garder les débats dans des limites de temps raisonnables.
6. Mais c’est surtout le moment où les avocats de la défense peuvent, et même doivent, invoquer les nullités et causes d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique qui devaient naguère être soulevées à l’ouverture des débats sur le fond et prenaient parfois de longs développements difficilement accessibles aux jurés, qui ne sont pas des juges de profession.
L’« action publique », c’est la procédure pénale menée par le parquet (ou « ministère public ») faisant suite à une infraction et pouvant aboutir à ce qu’une juridiction, ici la cour d’assises, soit saisie et juge les personnes poursuivies devant elle en prononçant par exemple une condamnation ou un acquittement.
Une cause d’extinction de l’action publique est par exemple le trop long laps de temps qui s’est écoulé entre les faits reprochés et le procès : c’est ce que l’on appelle la prescription. Lorsque l’action publique est éteinte, les accusés ne peuvent plus être jugés.
7. Si les avocats « doivent » soulever ces points, cela signifie que, s’ils ne le font pas à ce moment, ils ne pourront plus le faire plus tard quand les jurés seront là.
Lorsque le procès démarre vraiment, il se poursuit en principe sans discontinuer jusqu’au bout.
Il y a donc un « momentum » auquel il faut être attentif : une fois le train parti, impossible de le rattraper.
8. Quand on parle de « nullités », on vise par là le plus souvent des éléments de preuve qui ont été irrégulièrement recueillis par les enquêteurs et, si tel est le cas, qu’il faut écarter des débats. Dans les cas les plus graves, cela peut entraîner l’irrecevabilité de la poursuite. Par exemple, la dénonciation de l’accusé a été faite en violation du secret professionnel, le juge d’instruction est soupçonné d’avoir suborné un témoin ou l’accusé n’a pas été entendu en présence de son avocat.
9. Celui qui soulève une cause d’irrecevabilité ou d’extinction de l’action publique entend demander au juge de dire que le procès ne peut pas avoir lieu parce que les conditions que la loi impose pour sa tenue ne sont pas réunies.
C’est par exemple le cas si l’accusé n’a pas reçu la citation à comparaître, s’il a déjà été condamné ou acquitté pour les mêmes faits (il est interdit de juger deux fois une même personne pour les mêmes faits) ou si l’accusé n’est pas en mesure d’exercer ses droits de la défense.
L’audience préliminaire devant la Cour d’assises de Bruxelles dans le procès des attentats de 2016 et l’arrêt du 16 septembre 2022
10. Dans l’affaire des attentats de Bruxelles et de Zaventem, plusieurs problèmes ont été soulevés lors de l’audience préliminaire.
Le principal d’entre eux concernait l’aménagement de la salle d’audience, où l’on avait construit un box de verre et de métal. Chaque accusé devait y être enfermé dans une cellule isolée des autres, avec un accès limité à son avocat (une petite fente dans la cloison) et avec une visibilité limitée sur la salle d’audience.
Les accusés ont fait valoir qu’ils ne pouvaient ainsi pas pleinement exercer leurs droits de la défense.
11. Dans son arrêt du 16 septembre 2022, la présidente de la cour d’assises a accueilli cette demande.
Elle a d’abord dit que l’État doit veiller à ce que les accusés ne soient pas présentés lors de l’audience comme étant coupables par le recours à des mesures de contrainte physique. Elle a cependant considéré, comme la Cour européenne des droits de l’homme l’avait déjà précisé, que des exceptions à l’interdiction de recours à des mesures de ce type, telles que des box vitrés, peuvent être admises, en respectant les principes de subsidiarité et de proportionnalité, dans le but d’empêcher que les accusés ne se nuisent à eux-mêmes ou à autrui, n’endommagent des biens, ne prennent la fuite ou n’entrent en relation avec des tiers, tels des témoins ou des victimes.
12. Elle a ensuite examiné concrètement la situation des accusés et décidé que les mesures de sécurité prises pour les faire comparaître étaient trop sévères.
À l’inverse d’un box unique de type collectif assorti d’un bandeau vitré (comme pour le procès d’assises à Paris concernant les attentats du 13 novembre 2015), dit-elle, l’isolement humain, sonore et partiellement visuel des accusés placés chacun dans un compartiment cloisonné d’un box vitré ainsi que des entraves excessives à la communication entre les avocats et leurs clients sont de nature à réduire ou anéantir leur future participation à leur procès.
Elle en conclut qu’une tel dispositif n’est pas justifié au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité, et viole les droits de la défense garantis par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui forment un des principaux éléments du droit de chacun à un procès équitable.
13. L’arrêt prend enfin position sur les conséquences de cette violation.
Il considère qu’elle ne vicie pas de manière irrémédiable la procédure dès lors qu’il peut être remédié à l’irrégularité constatée en procédant au démontage du box dans sa configuration actuelle.
Si cela est fait, le procès pourra donc se poursuivre, à commencer par la constitution du jury à partir d’un panel de plusieurs centaines de citoyens tirés au sort.
14. D’autres questions ont été soulevées par certains accusés lors de cette audience préliminaire et jugées par la présidente de la Cour d’assises.
Il serait trop long de les aborder ici mais on peut signaler quand même que l’un des accusés a estimé en substance que, puisqu’il avait déjà été jugé par la cour d’assises de Paris dans le cadre du procès des attentats du 13 novembre 2015 et que, lors de ce procès, les faits qui lui sont reprochés dans la présente affaire avaient été évoqués ; il estimait en conséquence qu’il y avait violation de la règle, dont il a été question plus haut, selon laquelle une personne ne peut être jugée deux fois pour un même fait (« non bis in idem »).
Cette argumentation en défense (on appelle cela une « exception » dans le langage du droit) n’a pas été retenue par l’arrêt du 16 septembre 2022 : pour l’essentiel, outre des raisons de procédure, la présidente de la Cour d’assises a en effet considéré que les faits concernés par les deux procès sont distincts.
Les suites de ce procès
15. Mais ce procès nous réservera sûrement encore quelques surprises.
Justice-en-ligne le suivra en fournissant à ses lecteurs l’information la plus complète possible, en complément de l’information que donnera déjà la presse ordinaire, principalement sur les points de droit ou de procédure méritant un éclairage.