1. De longue date, l’Union européenne se préoccupe de protéger, de façon la plus uniforme possible, l’environnement de ses États membres et, par la même occasion, la santé et le bien-être de ses habitants.
Ainsi, partant du principe qu’il vaut mieux prévenir que guérir, et donc éviter les pollutions plutôt que devoir y faire face, l’Union européenne a imposé, dès 1985 , à l’ensemble des nations qui la compose, que le processus d’autorisation d’une série de grands projets urbanistiques et environnementaux comporte des étapes visant à ce que l’autorité qui statue sur les demandes de permis prenne une décision en pleine connaissance de cause. On appelle ce processus « l’évaluation des incidences sur l’environnement » (cette directive a été remplacée depuis par la directive n° 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 ‘concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement’).
2. Les étapes de l’évaluation des incidences sur l’environnement sont au nombre de quatre :
a) Il faut, tout d’abord, décrire le projet, ses effets négatifs sur l’environnement (l’homme, la faune, la flore, le climat, le paysage, etc.) et les mesures déjà envisagées pour les réduire. Pour cela, le demandeur d’autorisation doit faire appel à un « expert compétent ». Pour les projets les plus polluants, les législateurs bruxellois et wallons imposent, dans ce cadre, la réalisation d’une « étude d’incidences » qui doit contenir des recommandations.
b) L’autorité saisie de la demande de permis doit, ensuite, recueillir des avis : celui d’instances spécialisées en matière d’environnement, celui que les citoyens donneront dans le cadre d’une enquête publique et enfin, le cas échéant, celui des États voisins qui pourraient subir les effets négatifs du projet.
c) L’autorité doit, dans la foulée, « prendre en considération » l’étude d’incidences et les avis qu’elle a recueillis. Cela signifie que l’autorité n’est, en principe, pas obligée d’imposer les recommandations de l’étude d’incidences ou de suivre les avis et observations qui lui ont été adressés, mais qu’elle doit s’expliquer lorsqu’elle s’en écarte.
d) L’autorité doit, enfin, donner une publicité à sa décision. Il s’agit, de ce fait, d’accroitre la transparence sur l’autorisation des grands projets urbanistiques et environnementaux et le contrôle démocratique qui en résulte.
3. En 2001 , l’Union européenne a franchi un pas supplémentaire.
Considérant que les pollutions seraient encore mieux évitées si les lois et autres normes qui encadrent le processus d’autorisation des grands projets urbanistiques et environnementaux étaient elles-mêmes soumises à une évaluation environnementale préalable, elle a imposé aux Parlements, Gouvernements et communes de franchir, sous réserve de quelques adaptations, les quatre étapes de l’évaluation des incidences sur l’environnement avant d’adopter certains « plans et programmes » qui seraient susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement.
4. Malheureusement, la règle européenne adoptée en 2001 ne permet pas de comprendre ce que le législateur européen visait précisément par la notion de « plan-programme ». Le champ d’application exact de cette règle posait, dès lors, question.
5. C’est la Cour de justice de l’Union européenne qui, à la demande du Conseil d’Etat de Belgique, a dû combler cette lacune.
Dans un arrêt rendu le 27 octobre 2016 , la Cour a, en effet, enfin donné une véritable définition de la notion de « plan-programme ». Elle a, dans la foulée, décidé que l’arrêté adopté par le Gouvernement wallon pour fixer les conditions d’exploitation à respecter dans les grands parcs éoliens (distance minimale par rapport aux habitations, normes de bruit, etc.) constituait un « plan-programme » qui aurait dû être soumis à une évaluation environnementale comprenant, notamment, la réalisation d’une enquête publique.
Recevant cette réponse, le Conseil d’État a, dès lors, dû annuler l’arrêté précité . Pour préserver la sécurité juridique, il a néanmoins décidé que cette norme pourrait, malgré son illégalité, être appliquée jusqu’en novembre 2020. Il a ainsi voulu laisser le temps au Gouvernement wallon de reprendre un nouveau projet d’arrêté et de le soumettre à l’évaluation environnementale préalable requise par le droit européen.
6. Les conséquences de la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne du 27 octobre 2016 sont, en réalité, très larges.
Jusqu’alors, certaines règles n’étaient, en effet, pas considérées comme des « plans et programmes » et échappaient, en conséquence, à toute évaluation environnementale. La définition donnée en 2016 impose, aujourd’hui, de requalifier, à sa lumière, les normes urbanistiques et environnementales adoptées auparavant.
Ainsi, à nouveau interrogée par le Conseil d’Etat de Belgique, la Cour de Justice de l’Union européenne a décidé, ce 7 juin 2018, que le règlement d’urbanisme zoné adopté par la Région de Bruxelles-Capitale pour définir des nouvelles règles de gabarits et d’implantation des constructions dans le quartier européen constitue un « plan-programme » qu’il aurait fallu soumettre à une évaluation environnementale avant son adoption.
Le même jour , la Cour a décidé que constitue également un « plan et programme » un « périmètre de remembrement urbain » adopté par la Région wallonne pour délimiter un territoire au sein duquel les autorités peuvent s’écarter des règles d’affectation du plan de secteur lors de la délivrance des permis. Elle en conclut qu’il fallait également réaliser une évaluation environnementale avant de l’adopter.
7. À l’heure d’écrire ces lignes, la Cour constitutionnelle est, par ailleurs, saisie d’un recours en annulation dirigé contre certaines dispositions du nouveau Code wallon de l’aménagement du territoire (CoDT).
Si ce nouveau code, qui n’a pas été soumis à une évaluation environnementale préalable, constitue bien un « plan-programme » au regard de la définition européenne, la Cour constitutionnelle devrait annuler les dispositions attaquées. Avant de pouvoir adopter à nouveau de telles normes, le législateur wallon serait, alors, tenu, au préalable, d’analyser leurs effets sur l’environnement, de consulter les citoyens sur cette question et d’exprimer les motifs de ses choix.
Cela constituerait, pour le Parlement, une révolution dans sa façon d’élaborer le droit. Pour le citoyen, une telle décision consacrerait, par ailleurs, le droit que lui a donné le législateur européen, de donner son avis avant l’adoption d’une loi, d’un décret ou d’une ordonnance qui pourrait avoir des effets notables sur l’environnement.