La commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Fortis a exercé sa mission dans un contexte semé d’embûches. Elle a dû composer avec un rapport établi par les experts qu’elle avait elle-même désignés et dont il ressortait qu’elle aurait dû renoncer d’emblée à l’exercice de sa mission. Elle n’a pas pu entendre l’avocat de l’Etat qui s’est vu interdire de témoigner par son bâtonnier, elle a dû supporter des immixtions étranges de magistrats qui n’ont pas hésité à lui communiquer, dans des courriers rendus publics, leur propre version des faits, alors qu’il n’était pas question de les entendre sous la foi du serment. Enfin, elle n’a pu échapper aux inévitables jeux politiques impliquant majorité et opposition, objectifs assumés et intentions voilées des uns et des autres. Dans un tel contexte, il est presque miraculeux qu’elle ait pu mener ses travaux à leur terme.
Ses travaux suscitent quelques réflexions, à chaud.
Il est de bon ton, notamment dans les médias, d’affirmer que cette commission n’a servi qu’à « deux fois rien, mais c’est déjà quelque chose », comme l’a écrit Luc Delfosse, éditorialiste au Soir. Telle n’est pas la réalité. Ses recommandations sont intéressantes et constituent le prélude à une clarification nécessaire, sur le plan constitutionnel et législatif, des liens qui se nouent entre l’exécutif, le ministère public et la magistrature assise. En cela, ces recommandations, dans la ligne de Montesquieu, visent à améliorer la manière dont le pouvoir arrête le pouvoir, en sachant que tous les pouvoirs sont concernés.
La commission d’enquête a consacré une part importante de son activité à déterminer si des membres de cabinets ministériels ont essayé d’influencer le ministère public appelé à rendre un avis dans le dossier Fortis, ce qui, à ses yeux, aurait constitué une atteinte à la séparation des pouvoirs. Et pourtant, il suffit d’avoir fréquenté un prétoire pour savoir que le ministère public affirme haut et clair être là pour représenter la société et défendre l’intérêt général. N’est-ce pas là aussi le rôle du gouvernement, lequel, à l’inverse du ministère public, est soumis au double contrôle de la Chambre des représentants et des électeurs ? Autrement dit, le gouvernement et le ministère public défendent le même intérêt, et cela même s’ils peuvent en avoir une appréciation différente. Dès lors, il ne me semble pas qu’un dialogue entre des représentants du pouvoir exécutif et un membre du ministère public puisse s’analyser comme une violation de la séparation des pouvoirs, et cela d’autant moins que personne ne peut retirer au membre du parquet sa plus absolue liberté de parole et donc son indépendance lors de l’audience.
Les conditions dans lesquelles la Cour de cassation peut mettre en œuvre son pouvoir de surveillance des cours d’appel ont été évoquées devant la commission d’enquête, sans malheureusement qu’il en ait été fait état dans ses conclusions. On peut le regretter, d’autant que la lettre rédigée sur ce point par le Premier Président de la cette Cour au Président de la Chambre des représentants a été à l’origine de la crise politique de décembre 2008 et méritait d’être analysée eu égard au respect de la séparation des pouvoirs.
Pour conclure, l’enquête parlementaire sur la séparation des pouvoirs a sans doute posé plus de questions qu’elle n’a apporté de réponses. Il s’agit cependant de questions fondamentales qui jettent un coup de projecteur sur la citadelle judiciaire, si peu contrôlée, si arrogante et qui, si elle se targue d’être un pouvoir, supporte bien mal qu’on fasse, avec Montesquieu, le constat selon lequel il est une « expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ».