Assassinat de Valentin Vermeesch : les peines prononcées de perpétuité sont-elles compatibles avec la Convention européenne des droits de l’homme ?

par Philippe Frumer - 26 août 2019

Deux des cinq personnes condamnées pour avoir assassiné Valentin Vermeesch, ce jeune garçon torturé avant d’avoir été jeté vivant dans la Meuse, se sont vus infliger une peine de prison à perpétuité.

La Cour européenne des droits de l’homme a dans plusieurs arrêts considéré que des peines incompressibles constituent des traitements inhumains ou dégradants.

Est-ce le cas pour la condamnation à perpétuité dont il est ici question ?
Philippe Frumer, chargé de cours à l’Université libre de Bruxelles, nous éclaire.

1. Ce 18 juin dernier, la Cour d’assises de Liège a rendu son verdict dans le procès des assassins de Valentin Vermeesch, jeune homme de dix-huit ans dont le cadavre avait été retrouvé dans la Meuse entravé par des menottes. Il y avait été précipité vivant après avoir subi des heures d’humiliations et de tortures.

La Cour a condamné à la perpétuité Alexandre Hart et Belinda Donnay et prononcé des peines d’emprisonnement allant de 25 à 29 ans à l’encontre des trois autres accusés. La condamnation à perpétuité d’Alexandre Hart a en outre été assortie d’une mise à la disposition du tribunal de l’application des peines pour une période de quinze ans. Il en va de même pour l’un des autres accusés, mineur à l’époque des faits. Concernant les conséquences pratiques de ces condamnations, il est renvoyé à l’interview publié sur Questions-Justice, « Deux des assassins de Valentin Vermeerch condamnés à la perpétuité : qu’est-ce que cela signifie ? » .

2. Le jury s’est montré particulièrement sévère, à la mesure de la gravité des faits et de la violence inouïe déployée à l’encontre de la victime. La presse n’a d’ailleurs pas manqué de relever que les principaux protagonistes de l’affaire ont écopé de peines plus lourdes que ceux de l’affaire Dutroux.
Il faut relever qu’entretemps, le législateur a durci les conditions d’accès à la libération conditionnelle. En particulier, pour les condamnés à une peine privative de liberté de trente ans ou de perpétuité, le seuil d’admissibilité à la libération conditionnelle est dorénavant fixé à quinze ans, hors cas de récidive. Pour davantage d’explications sur la libération conditionnelle, il est renvoyé à l’article suivant de Damien Vandermeersch publié sur Justice-en-ligne : « Le point sur la libération conditionnelle » .

3. À la suite de ce verdict, la question suivante se pose : des peines aussi lourdes, en particulier la réclusion à perpétuité, sont-elles compatibles avec la Convention européenne des droits de l’Homme, à laquelle la Belgique est tenue de se conformer ?

Pour tenter de répondre à cette question, il faut se tourner vers la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, chargée de veiller au respect de ce traité par les États qui l’ont ratifié.

4. Dans un important arrêt Vinter c. Royaume-Uni rendu en 2013, et dont il a déjà été question sur Justice-en-ligne (Ph. Frumer, « Peines perpétuelles incompressibles et dignité humaine : Strasbourg reconnaît un ‘droit à l’espoir’ en faveur des détenus à vie » ), la Cour européenne avait dégagé les principes suivants concernant les peines perpétuelles :
 les peines perpétuelles ne constituent pas, en tant que telles, des peines inhumaines ou dégradantes ; elles ne le deviennent que si elles revêtent un caractère incompressible ;
 pour être conformes à la Convention européenne des droits de l’homme, les peines perpétuelles doivent dès lors être compressibles ; cela signifie qu’après une période d’emprisonnement minimale d’une durée fixée par la loi, le condamné à perpétuité doit se voir offrir à la fois une perspective d’élargissement et une possibilité de réexamen de sa situation ; cela répond à l’un des objectifs de la peine, à savoir la réinsertion sociale des condamnés ;
 bien entendu, à l’issue d’un tel réexamen, l’intéressé peut être débouté s’il représente toujours un danger pour la société ; en soi, le seul fait qu’une peine de réclusion à perpétuité puisse en pratique être purgée dans son intégralité ne la rend pas incompressible ;
 lorsque la Cour de Strasbourg qualifie une peine perpétuelle incompressible d’inhumaine ou de dégradante, cela ne confère pas pour autant au condamné à perpétuité un droit à être libéré ou une perspective d’élargissement imminent.

5. En 2016, un arrêt Murray c. Pays-Basa apporté une importante précision en la matière.

Il ne suffit pas que la perspective d’élargissement et la possibilité de réexamen existent en théorie. Il faut que, dans les faits, les condamnés à perpétuité puissent être en mesure d’en bénéficier. Cela signifie qu’en fonction de leur situation individuelle, ces détenus doivent dans certains cas être autorisés à entreprendre des thérapies ou des traitements, d’ordre médical, psychologique ou psychiatrique.

De même, ils doivent pouvoir prendre part à des activités, notamment professionnelles, lorsque celles-ci sont de nature à favoriser leur réinsertion sociale. Autrement dit, les conditions de détention et les traitements fournis aux détenus doivent leur fournir une possibilité réaliste de réinsertion.

Dans cette affaire, étant donné que l’intéressé n’avait jamais bénéficié de traitements adaptés à sa situation et que ses besoins médicaux n’avaient jamais été évalués, la Cour en a conclu que, dans les faits, la peine était incompressible. En effet, l’intéressé n’avait aucune chance de pouvoir bénéficier d’un élargissement, en dépit des efforts qu’il aurait consentis, même si cette possibilité existait théoriquement dans l’arsenal juridique néerlandais.

Cette jurisprudence vient d’être confirmée par la décision Dardanskis e.a. c. Lituanie du 11 juillet 2019 .

6. Enfin, quelques semaines plus tôt, la Cour européenne s’était à nouveau prononcée sur les peines perpétuelles dans son arrêt Marcello Viola c. Italie (n° 2) du 13 juin 2019 .

Le contexte était ici particulier. L’intéressé, condamné à la réclusion à perpétuité pour association de malfaiteurs de type mafieux, avait vu sa demande de libération conditionnelle rejetée. La législation italienne exige en effet que, pour pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle, le condamné à perpétuité pour ce type de délit démontre qu’il a collaboré avec la justice et, dès lors, rompu avec le milieu criminel mafieux. Or, l’intéressé avait refusé de collaborer avec la justice.

La Cour européenne a estimé qu’un tel système revenait à infliger à l’intéressé une peine inhumaine et dégradante parce qu’il ne permettait pas à cette catégorie de condamnés, refusant de collaborer avec la justice, de prouver qu’ils sont sur la voie du reclassement et de la resocialisation. Par ailleurs, le soi-disant choix de collaborer avec la justice ne serait en réalité pas réellement libre dès lors qu’en collaborant, l’intéressé aurait pu craindre des représailles de la part de ses anciens « associés », sur lui-même ou sur ses proches…

7. On y insiste : dans ces affaires, si la Cour européenne a conclu au caractère inhumain ou dégradant des peines perpétuelles prononcées, elle a bien pris soin de préciser que les constats de violation ne conféraient pas au requérant une perspective d’élargissement imminent. En revanche, il appartiendra aux États concernés d’adapter leur système juridique pour rendre les peines perpétuelles compressibles.

8. Au regard de cette jurisprudence de la Cour européenne, qu’en est-il des peines de réclusion à perpétuité prononcées par la Cour d’assises de Liège ?
Tout donne à penser que celles-ci sont compatibles avec la Convention européenne des droits de l’Homme.

Le prononcé d’une peine perpétuelle n’est pas en soi contraire à la Convention, pourvu qu’une perspective d’élargissement et une possibilité de réexamen existent. Or, tel est bien le cas pour Alexandre Hart et Belinda Donnay. Ceux-ci pourront, lorsqu’ils auront atteint la date d’admissibilité, solliciter une libération conditionnelle, sans aucune certitude quant à l’issue de leur demande.

Aucune condition de collaboration avec la justice n’est requise en Belgique, comme ce fut le cas dans l’affaire Marcello Viola c. Italie (n° 2).Il resterait à déterminer si, dans les faits, les peines prononcées sont compressibles. Rien, à ce stade, ne permet de penser que ce ne soit pas le cas. Il y aura lieu, lorsque la date d’admissibilité à la libération conditionnelle sera atteinte, de s’assurer que les intéressés auront pu avoir accès aux traitements et aux activités de nature à leur permettre de progresser vers une hypothétique réinsertion sociale.

Votre point de vue

  • Skoby
    Skoby Le 27 août 2019 à 14:03

    Tout d’abord une question. "Lorsque la date d’admissibilité à la libération conditionnelle sera atteinte ...s’assurer que les intéressés auront pu avoir accès aux traitements…..
    Je voudrais savoir dans combien de cas ces traitements sont donnés AVANT que la date de possible libération soit atteinte.
    Moi,je trouve que dans des cas aussi graves que ceux dont on parle ci-avant,
    Alexandre Hart et Belinda Donnay,je regrette que la peine de mort n’existe plus.
    Cet emprisonnement, à charge de l’Etat, remplit inutilement les prisons, ce qui
    pose pas mal de problèmes. Il faut bien entendu une absolue preuve de culpabilité
    avant de décider d’ une mesure aussi importante que la perpétuité ou la mort.

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