La Justice française porte un coup d’arrêt à la commercialisation du Roundup au titre du principe de précaution

par Nicolas de Sadeleer - 5 juin 2019

Le débat est public sur les dangers du glyphosate pour l’environnement et la santé des populations. Il est également mené devant les juridictions.

Ainsi, par une décision du 15 janvier 2019, le Tribunal administratif de Lyon a annulé une autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360, produit à base de glyphosate, prise par une administration française.
Nicolas de Sadeleer, professeur ordinaire à l’Université Saint-Louis à Bruxelles (Chaire Jean Monnet), nous rappelle le contexte de cette affaire et nous précise ci-après la portée de cette décision.

1. Les produits phytopharmaceutiques, ou pesticides, ainsi que les biocides consistent en des mélanges contenant une ou plusieurs substances actives. Afin de garantir le bon fonctionnement du marché intérieur dans l’Union européenne, la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et les « substances actives » que contiennent ces derniers fut, dans un premier temps, réglementée par la directive n° 91/414/CEE du Conseil, datée du 15 juillet 1991. Cette directive fut remplacée à la fin de l’année 2009 par un règlement n° 1107/2009/CE ‘concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques […]’ .
Tant la directive abrogée que le règlement « produits phytopharmaceutiques s’articulent autour d’une approche commune :
 d’une part, l’inscription des substances actives sur une liste communautaire ;
 d’autre part, l’octroi par les autorités nationales des autorisations de mise sur le marché des produits concernés.
Parmi les substances actives figurent le glyphosate, qui se retrouve dans l’herbicide Roundup, qui est le plus employé dans le monde.
En 2001, cette substance fut inscrite à l’annexe I de la directive n° 91/414/CEE.

2. Depuis plusieurs années, cette substance secoue le landerneau scientifique. Alors qu’au mois de mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a considéré que ladite substance devrait être classée comme « cancérogène probable pour l’homme », tant l’Autorité européenne de sécurité des aliments que l’Agence européenne des produits chimiques ont en revanche conclu que « le glyphosate est peu susceptible de présenter un risque cancérogène pour l’être humain ». Les méthodologies utilisées par chacune de ces institutions expliquent ces résultats divergents.

3. Ces controverses scientifiques n’ont pas empêché la Commission européenne de renouveler à plusieurs reprises l’inscription du glyphosate sur la liste des substances actives autorisées, en se fondant sur le règlement n° 1107/2009, au motif que l’évaluation de la substance avait été retardée pour des raisons indépendantes de la volonté de la société demanderesse.
Enfin, le 12 décembre 2017 la commission adopta un règlement d’exécution n° 2017/2324 renouvelant l’approbation de la substance pour une période de cinq ans, à savoir jusqu’au 15 décembre 2022.
Le recours introduit par la Région de Bruxelles-Capitale contre ce règlement fut rejeté le 28 février 2019 par le Tribunal de l’Union européenne au motif que le recours était irrecevable (affaire T-178/18).

4. En France, conformément au règlement « produits phytopharmaceutiques », l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) autorisa en mars 2017 la mise sur le marché du Roundup Pro 360 (Monsanto, devenu Bayer).
La légalité de cette autorisation fut contestée par une association de recherche sur le génie génétique devant le tribunal administratif de Lyon.

5. Dans son arrêt du 15 janvier 2019, le Tribunal administratif de Lyon donna raison à la requérante.
Elle reprocha à l’ANSES de ne pas avoir produit d’étude permettant d’établir que le Roundup Pro 360 n’était ni cancérogène ni toxique pour la reproduction alors même que l’Agence européenne de sécurité sanitaire estima que les préparations à base de glyphosate peuvent être cancérogènes. En effet, le Tribunal souligne que le Roundup Pro 360 constitue une préparation dont la toxicité est plus importante que celle du glyphosate. En d’autres mots, le produit litigieux est susceptible de s’avérer cancérigène sans que la substance active qu’il contient le soit.
Malgré les restrictions posées quant à l’utilisation du Roundup Pro 360, la décision prise par l’ANSES, selon le Tribunal, « porte atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé ».
Fort de cette conclusion, le Tribunal annula cette autorisation de mise sur le marché au motif qu’en autorisant cet herbicide, l’ANSES avait commis « une erreur d’appréciation au regard du principe de précaution », lequel est consacré à l’article 5 de la Charte constitutionnelle de l’environnement, qui, en France, fait partie de la Constitution, c’est-à-dire de la loi fondamentale du pays. Ce principe est appelé à être mis en œuvre par les pouvoirs publics en cas de risque de dommages graves et irréversibles pour l’environnement ou d’atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé.

6. La décision du tribunal administratif de Lyon intervient alors que le débat sur le glyphosate bat son plein tant aux États-Unis qu’en Europe ; il est renvoyé notamment sur ce point à l’article suivant : N. de Sadeleer, « Bataille judiciaire aux USA autour du glyphosate : la Justice américaine fait échec à une ‘procédures bâillon’ menée par Monsanto contre l’ONG Avaaz ». Les juridictions californiennes (le droit de la responsabilité civile relève de la compétence des États et non de la fédération) ont déjà condamné à trois reprises Monsanto, détenu par Bayer, à verser des dommages et intérêts à des victimes de cancer qu’ils attribuent à l’emploi du Roundup. Enfin, on observera par exemple que la Cour constitutionnelle de Belgique a rejeté, le 28 février de cette année, un recours intenté par l’association belge de l’industrie des produits de protection des plantes à l’encontre d’un décret de la Région flamande restreignant l’usage du glyphosate (arrêt n° 38/2019).

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Auteur

professeur ordinaire à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles (Chaire Jean Monnet)

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