Le procès des attentats de Bruxelles entre dans sa phase finale : la parole est à la défense, le jury va délibérer sur la culpabilité

par Benoît Dejemeppe - 29 juin 2023

Le procès des attentats de Bruxelles et Zaventem entre dans sa phase finale. La défense s’explique, il y aura peut-être des répliques, puis les accusés auront l’occasion de s’exprimer une dernière fois. Le jury va alors entrer en délibération pour décider de la culpabilité ou de l’acquittement des accusés.
Benoît Dejemeppe, président de section émérite à la Cour de cassation, maître de conférences honoraire à l’Université Saint-Louis Bruxelles, explique comment la loi organise cette étape clé de la procédure.

La fin des plaidoiries et la clôture des débats

1. Ces dernières semaines, la Cour d’assises francophone de Bruxelles a entendu les avocats des parties civiles, les réquisitions des deux procureurs et les plaidoiries des avocats des accusés.
Toutes les parties auront encore le droit de répliquer sur l’un ou l’autre point justifiant un mot d’explication : il ne s’agit pas de répéter ce qui a été dit mais de rectifier ici un fait, d’ajuster là une réponse en droit pour permettre aux jurés de délibérer dans la connaissance la plus complète de la cause ou d’insister en particulier sur un élément considéré comme essentiel.
La parole sera donnée alors aux accusés ou à leurs avocats, qui auront toujours le droit de s’exprimer en dernier lieu. Certains ne vont rien dire, d’autres persister dans leurs déclarations, d’autres encore attirer l’attention sur certaines circonstances appelant la mansuétude du jury. Il arrive parfois que le procès bascule in extremis, par exemple lorsqu’un accusé qui avait jusque-là dénié les faits mis à sa charge, se met à table, les reconnaît et s’en explique. Mais cette situation est rare et relève plutôt de la spéculation.
La présidente de la cour d’assises va ensuite prononcer la clôture des débats.

2. À ce stade, il n’appartiendra au jury que de se prononcer sur la culpabilité des accusés. La question de la peine suppose que la culpabilité ait été au préalable établie ; dans ce cas, elle fera l’objet d’un débat public ultérieur et d’une nouvelle délibération.

La liste des questions pour les jurés

3. Mais, avant de permettre aux jurés de se retirer pour délibérer, la présidente leur remettra une liste de questions qu’elle aura rédigées après avoir recueilli l’opinion des parties. Ces questions ont trait aux faits sur lesquels les accusés ont été amenés à se défendre sur la base de l’arrêt de la chambre des mises en accusation qui a décidé de leur renvoi devant la cour d’assises.
Les cas échéant, elle ajoutera d’autres questions résultant des débats.
Le jury devra répondre à chacune d’entre elles.

4. Compte tenu de la complexité de l’affaire et du nombre d’accusés et de victimes, il faut s’attendre à une longue liste de questions. En effet, il ne suffit pas de demander si les accusés ont commis un attentat, mais de préciser pour chacun d’eux les faits tels que la loi les définit en termes d’infractions. C’est l’application d’un principe fondamental en droit, selon lequel il n’y a pas de crime sans loi (« nullum crimen sine lege », disait-on déjà en droit romain).
Ainsi, pour une prévention d’assassinat, qui est un homicide avec intention de donner la mort (ce que la loi qualifie de meurtre) avec la circonstance de la préméditation (préparation), la loi prévoit que deux questions doivent être posées séparément pour chacune des personnes poursuivies :

  1. L’accusé est-il coupable d’avoir commis un homicide avec intention de donner la mort sur telle personne ?
  2. L’accusé a-t-il commis ce crime avec la circonstance aggravante de la préméditation ?

5. Mais il y a de nombreuses autres infractions dans cette affaire. Par exemple, pour les victimes qui n’ont pas perdu la vie, les coups ou blessures volontaires avec préméditation, avec encore des différences selon que les conséquences des attentats sont des incapacités temporaires ou permanentes. Ou encore les infractions terroristes ou celles relatives aux armes. Sans parler du niveau de responsabilité, la préventions étant distinctes selon que l’on est poursuivi en tant qu’auteur ou complice.

6. N’allons pas plus loin ici, au risque d’égarer le lecteur, mais cela donne un avant-goût du travail titanesque qui attend les jurés. Il est possible que la présidente de la cour d’assises et les parties s’entendent pour regrouper certaines questions relatives aux mêmes faits pour lesquels seules les victimes sont différentes mais, même dans ce cas, le nombre de questions restera très élevé (plusieurs centaines, voire davantage).

7. La présidente remettra également aux jurés, en même temps que l’acte d’accusation, les actes de défense des accusés et l’ensemble du dossier la procédure, qu’ils pourront donc consulter pendant la délibération.
Elle les informera enfin de la manière dont ils devront procéder et voter.

La délibération : où, dans cette affaire hors normes ?

8. La délibération pourra alors commencer. Elle aura lieu avec l’assistance des magistrats professionnels, qui forment ensemble un « collège » présidé par la présidente de la cour d’assises, mais les magistrats de la cour ne participeront pas au vote sauf dans un cas dont on parlera plus loin.

9. Mais où la délibération aura-t-elle lieu ?
La loi prévoit une règle stricte : les membres du collège ne peuvent sortir de la chambre des délibérations qu’après avoir fini leur travail et nul ne peut entrer dans cette chambre pendant le délibéré pour quelque cause que ce soit sans l’autorisation écrite du président.
D’ordinaire, il s’agit d’une salle du palais de justice où les membres du collège se réunissent durant quelques heures. Pour ce procès exceptionnel, il faudra prévoir plusieurs semaines de délibération impliquant une véritable quarantaine de jour comme de nuit, ce qui entraîne des problèmes de logistique particuliers. Ce n’est en effet pas une mince affaire de trouver un lieu où douze jurés, trois juges, deux greffiers et pas loin de trente jurés suppléants interdits de contact avec les jurés effectifs devront « cohabiter » pendant une durée indéterminée.
Il est déjà arrivé que des délibérations aient lieu dans des hôtels loués en tout ou en partie à cette fin. Il est aussi imaginable d’opter pour un bâtiment relevant des pouvoirs publics où le gîte, le couvert et la sécurité peuvent et doivent être garantis. On ne sait pas encore le lieu qui sera choisi, mais il y a peu de chances qu’on leur réserve le château de Val Duchesse…
En tout cas, c’est une épreuve, car on peut parler d’épreuve, qui attend ce petit monde qui devra faire l’expérience de vivre reclus dans la chaleur de l’été, même les jurés suppléants, sans contact avec le monde extérieur (pas d’accès à la famille – sauf exception –, aux informations de la presse ou des médias en général, pas de gsm, pas de TikTok et autres Facebook…).

La délibération : comment ?

10. Quelle que soit l’importance de l’affaire, c’est la procédure de droit commun qui s’applique.
En voici les éléments essentiels.

11. Les membres du collège délibèrent ensemble pour chaque accusé sur le « fait principal » (par exemple l’homicide volontaire) et sur chacune des circonstances (par exemple la préméditation) mais seuls les jurés votent ensuite à scrutin secret sur les questions concernant chaque accusé.
En pratique, les questions posées font l’objet chacune d’un vote à billets pliés sur lesquels sont notamment imprimés les mots « oui » et « non », les jurés biffant l’un ou l’autre. Au cas aucun de ces mots n’est biffé ou s’ils le sont tous les deux, le billet est comptabilisé en faveur de l’accusé. L’exercice requiert une bonne dose de concentration car il faut éviter de se contredire.

12. Les jurés se prononcent et répondent en âme et conscience aux questions en retenant comme seul critère « les éléments de preuve établissant la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable ». Le temps est révolu où les jurés se prononçaient sur la seule base de leur intime conviction, d’autant qu’aujourd’hui ils doivent ensuite rendre compte par écrit de leurs motifs.

13. La décision se forme, pour ou contre l’accusé, à la majorité.
Pour la facilité, on peut distinguer trois cas de figure :

  • 8 « oui » (ou plus) contre 4 « non » (ou moins) : l’accusé sera déclaré coupable ;
  • 7 « oui » contre 5 « non » : cette majorité ne suffit pas et les trois magistrats professionnels devront se prononcer à leur tour ; si la majorité des magistrats se rallient au vote « oui », l’accusé sera déclaré coupable ; si ce n’est pas le cas, l’accusé sera déclaré non coupable et acquitté ;
  • 6 « oui » (ou moins) et 6 « non » (ou plus) : l’accusé sera déclaré non coupable et acquitté.

La motivation du verdict

14. Après le vote, le collège sera appelé à motiver le verdict du jury. Les accusés, les parties civiles et l’opinion publique doivent en effet être à même de comprendre pourquoi un verdict de culpabilité ou d’acquittement a été prononcé.
Cette tâche peut prendre beaucoup de temps car le droit à un procès équitable implique que les raisons ne soient pas formulées de manière abstraite. Ainsi, ce serait se dérober à l’exigence de motivation que de se borner à mettre sur papier une généralité du genre, pour un acquittement : « le jury a eu un doute sur la culpabilité ». Pour être pertinente et satisfaire à la loi, cette motivation doit mettre en avant les considérations qui ont convaincu le jury de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé, par l’indication des raisons concrètes pour lesquelles il a été répondu positivement ou négativement à chacune des questions soumises aux jurés.

15. La décision et ses motifs doivent être consignés dans un arrêt dit de motivation.

La prononciation de l’arrêt

16. Une loi récente prévoit que l’arrêt de la cour d’assises ne doit plus être prononcé intégralement. Seul le dispositif (en d’autres termes, la décision de culpabilité ou d’acquittement) sera lu à l’audience.
S’il est déclaré non coupable, l’accusé sera acquitté. L’affaire sera finie pour lui, sous la réserve d’un pourvoi en cassation formé par le parquet.
S’il est déclaré coupable, un débat distinct sera organisé à propos de la peine, après quoi la cour et les jurés se retireront à nouveau pour délibérer.
Mais c’est une autre histoire, sur laquelle on reviendra bientôt.

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