Les élus qui tranchent les recours des candidats déçus : un système doublement condamné à Strasbourg

par Frédéric Bouhon - 23 juillet 2020

Le 10 juillet dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Belgique en raison des critiques qu’appelle son système de contrôle de la validité des élections fédérales, communautaires et régionales.

Quelle est la portée de cet arrêt ? Qu’implique-t-il pour l’avenir ? Frédéric Bouhon, professeur à l’Université de Liège, nous l’explique.

1. En Belgique, ce sont les élus qui, pour l’essentiel, contrôlent le bon déroulement des élections et qui tranchent les litiges qui surviennent à ce propos : sauf pour ce qui concerne les élections locales, ce sont les assemblées qui vérifient les pouvoirs des élus. Aucun tribunal, aucun juge, ne peut intervenir. En d’autres mots, ceux qui viennent d’être élus et aspirent à siéger pendant cinq ans à la Chambre des représentants ou dans un parlement de région ou de communauté sont amenés à traiter les plaintes de candidats concurrents, qui pourraient, s’ils obtenaient satisfaction, prendre leur place.

En réservant à l’assemblée le pouvoir de contrôler sa propre composition et en évitant de le confier à toute autre instance, notamment judiciaire, le constituant souhaitait – ce qui est en soi louable – assurer l’indépendance du parlement et garantir la séparation des pouvoirs.

Le mécanisme pose toutefois question en ce qu’il conduit des candidats (et leurs partis) à prendre, en réponse aux recours introduits, des décisions qui peuvent avoir des effets directs sur leur propre carrière, sur celles de leurs amis politiques ou sur la constitution d’une coalition majoritaire.

2. À la suite des élections régionales wallonnes de mai 2014, un candidat non élu du PTB, Germain Mugemangango, avait introduit une réclamation auprès du Parlement wallon. L’intéressé avait manqué l’obtention d’un siège à quelques voix près et mettait en doute la régularité du scrutin.

Le Parlement wallon, exerçant sa compétence de contrôle, lui a toutefois refusé la demande de recomptage qu’il avait formulée. C’est à la suite de cette affaire que la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a prononcé, le 10 juillet 2020, un arrêt par lequel elle juge que l’application de ce système a engendré la violation de deux droits fondamentaux : le droit à des élections libres (article 3 du Protocole additionnel à la Convention) et le droit à un recours effectif (article 13 de la Convention).

3. Avant d’arriver à cette conclusion, la Cour a rappelé que le parlement, en tant que « lieu unique de débat qui revêt une importance fondamentale », bénéficie d’une autonomie qui mérite protection. Mais elle ajoute que la volonté de protéger cette autonomie ne peut se faire aux dépens du caractère véritablement démocratique du régime ou du respect de la prééminence du droit. Or, la Cour considère que l’organe auquel les réclamations électorales sont confiées l’assemblée plénière du Parlement wallon, après un premier examen par une commission ad hoc ne présente pas les garanties suffisantes d’impartialité et n’est pas de nature à protéger le requérant contre une décision partisane.

Les juges de Strasbourg considèrent par ailleurs que le pouvoir du Parlement wallon, au moment de l’examen des réclamations électorales, n’est pas encadré par des règles suffisamment précises pour éviter les abus.

Enfin, la Cour estime que les garanties d’une décision équitable, objective et suffisamment motivée n’ont pas été clairement prévues par le droit et que, dans la pratique, le requérant n’en a pas suffisamment bénéficié au cours de la procédure menée en 2014.

4. Qu’est-ce que cela implique pour l’avenir ?

L’arrêt par lequel la Cour européenne des droits de l’homme condamne la Belgique oblige celle-ci à modifier les règles en vigueur, ce qui pourrait nécessiter la révision de la Constitution et de lois spéciales qui organisent le fédéralisme belge et donc la mise en œuvre de procédures lourdes et la réunion de majorités larges.
Respectueuse de la souveraineté des États, la Cour n’impose aucun système particulier, mais elle indique qu’un recours juridictionnel, soit comme dispositif unique, soit comme moyen de contester une décision qui pourrait d’abord être prise par une assemblée, serait de nature à remplir les obligations de la Belgique.

5. On peut regretter que l’État belge n’ait pas revu plus tôt les règles du contentieux électoral. En effet, il y a dix ans, la Cour européenne des droits de l’homme avait jugé qu’un mécanisme semblable, mis en œuvre en Roumanie, violait la Convention (arrêt Grosaru c. Roumanie, 2 mars 2010). L’encouragement donné par de nombreux spécialistes pour réformer le système belge, devenu archaïque, n’avait cependant pas été entendu.

Votre point de vue

  • Amandine
    Amandine Le 24 juillet 2020 à 17:45

    Quels ont été les motifs du refus de recomptage des voix par les parlementaires wallons élus en 2014, après que la commission de vérification des pouvoirs de l’assemblée wallonne ait jugé cette demande recevable et fondée, cf. l’agence Belga :

    " Publié le vendredi 10 juillet 2020 à 17h07

    Germain Mugemangango, qui avait raté son élection en 2014 à 14 voix près dans la circonscription de Charleroi où il s’était présenté, avait réclamé un recomptage des votes blancs et nuls, arguant de certaines irrégularités.

    Sa requête avait été examinée à l’époque par la commission de vérification des pouvoirs du Parlement wallon qui l’avait jugée recevable et fondée. Mais lors d’un vote en plénière quelques jours plus tard, cette même requête a été jugée non fondée, et aucun recomptage n’a donc eu lieu.

    Pour le candidat débouté, l’assemblée a agi comme juge et partie, d’autant que plusieurs des députés qui s’étaient prononcés étaient issus de la même circonscription électorale que lui.
    https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_elections-2014-germain-mugemangango-ptb-fait-condamner-la-belgique-pour-manque-d-impartialite-apres-une-longue-bataille-judiciaire?id=10540478"

    Un tel refus des élus, contre l’avis de la Commission de vérification, est-il chose courante ou exceptionnelle ?

    L’"empêcheur de siéger en rond", M. Mukemangango, a depuis lors été élu, en 2019, au parlement wallon.

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